Ange Nzihou, catalyseur de talents

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Sciences de la matière

Ange Nzihou, catalyseur de talents

Ange Nzihou
© Frédéric Maligne

Professeur internationalement reconnu, fondateur d’un cycle de conférences internationales et d’une revue scientifique dédiés à la valorisation des déchets et biomasses, récompensé par l’un des plus prestigieux prix américains, Ange Nzihou a réussi à fédérer sa communauté scientifique. 

Par Camille Pons, journaliste scientifique.

Son récit est à l’image de l’accueil qu’il réserve à l’équipe d’Exploreur dans ses locaux à l’École des Mines d’Albi-Carmaux (EMAC). Sans prétention, alors que ce chercheur s’est notamment vu récompenser aux États-Unis pour l’ensemble de ses travaux par le Prix présidentiel pour la chimie durable, rarement décerné à une personnalité non américaine.

« Ma vie scientifique est une histoire de pragmatisme. Je me suis demandé au début de ma carrière comment mon travail pourrait répondre des enjeux à la fois industriels et sociétaux »

résume Ange Nzihou avec modestie.

Une histoire de persévérance aussi. Car ce docteur en génie des procédés, dont la thèse portait sur la cristallisation de composés issus de produits pétroliers, a finalement trouvé sa voie dans un domaine plus durable : celui de la valorisation des déchets et biomasses pour la production d’énergie et de matériaux renouvelables, où il a acquis une réputation internationale. Devenu directeur du centre de recherche Rapsodee  dans lequel il a démarré ses projets, il est aujourd’hui professeur invité dans pas moins de quatre universités, en Chine et aux États-Unis, notamment à Princeton.

« Je me suis demandé comment mon travail pourrait répondre à des enjeux à la fois industriels et sociétaux »

Pour autant, Ange Nzihou, originaire de la République du Congo, a fait le choix de rester en France, le pays qui l’a accueilli fin 1987, et de passer les premières années à Toulouse où il a décroché son doctorat à l’INP-ENSIACET, avant de s’établir à Albi. Un choix opéré, s’amuse le chercheur, « à Roissy quand mes camarades africains venus m’accueillir m’ont expliqué que dans l’autre ville qui pouvait m’accueillir, Nancy, il faisait froid ! »

DES PROJETS EN SÉRIE

Doctorat en poche, il travaillera un an dans une PME mais connaîtra ensuite deux ans de chômage avant d’accéder à la nationalité française, confie-t-il sans s’attarder sur cette période de sa vie. Des années difficiles durant lesquelles il travaille bénévolement pour ne pas couler sa carrière scientifique, et qu’il met à profit pour construire le projet sur lequel il bâtira sa réputation.

Deux grandes dates marquent ses travaux : l’année 2000, lors de laquelle il signe un contrat durable avec le groupe mondial de chimie Solvay et débute ses travaux autour de la valorisation des résidus de combustion avec son partenaire de toujours, le professeur Patrick Sharrock, de l’IUT de Castres, et l’année 2004, lorsqu’il rentre de son premier séjour effectué à Princeton. L’université américaine lui a « ouvert les portes de l’international », et il ramène dans ses bagages un état d’esprit qui l’engage à «prendre davantage d’initiatives » et qui sera le point de départ du lancement de projets en série. Dix tournent à ce jour, qui mobilisent des équipes de cinq pays (USA, Chine, Inde, Sénégal, Colombie) et 38 chercheurs, dont huit doctorants et deux post-doctorants venus du monde entier.

LA RECHERCHE INDUSTRIELLE AU SERVICE DE LA RECHERCHE FONDAMENTALE

Il n’aurait pu les mener à bien sans cultiver un rapport privilégié avec le monde industriel. Il a bâti une dizaine de partenariats avec notamment Solvay, mais aussi Terreal, spécialiste des matériaux de construction en terre cuite, avec qui il planche sur la fabrication de matériaux innovants – des briques et des tuiles notamment – incluant des coproduits et résidus agricoles. Ou encore, dans le domaine des phosphates, avec l’Office chérifien des phosphates du Maroc, leader mondial, et la société belge Prayon. Des travaux qui ont déjà fait l’objet de quatre brevets dont deux avec Solvay.

Ces partenariats permettent aussi de financer la recherche fondamentale. Actuellement, l’un des projets phares de l’équipe, mené avec l’université de Princeton et des partenaires industriels, vise à mettre au point des catalyseurs à propriétés contrôlées, dans la perspective de la production de biocarburants. Autres débouchés pour ces travaux : des matériaux pour le stockage thermique de l’énergie dont la nature est encore confidentielle, ou des filtres à bas coût pour traiter les eaux usées, notamment destinés aux pays en voie de développement.

FÉDÉRATEUR DES SPÉCIALISTES DU DOMAINE

Ange Nzihou aurait pu s’en tenir à des travaux remarqués. Mais il avait aussi la volonté de fédérer sa communauté. En 2005, à 39 ans seulement, il lance un cycle de conférences internationales dédiées au domaine des déchets, les WasteEng Conference Series. La première édition avait eu lieu à Albi, ville où cette manifestation retourne en 2016 pour sa sixième édition, après des passages en Grèce, en Chine, au Portugal et au Brésil. Aujourd’hui, ces conférences rassemblent 400 à 500 chercheurs venus du monde entier.

Pour fédérer davantage les chercheurs, il lance en 2010 la première revue scientifique dédiée au domaine, Waste and Biomass Valorization [" valorisation des déchets et de la biomasse "], et convainc Springer, une maison prestigieuse, de l’éditer. Il en sera d’entrée de jeu le rédacteur en chef. Responsabilité méritée, car :

« Ange Nzihou combinait des publications solides et nombreuses et avait le soutien d’un impressionnant groupe de chercheurs de premier plan dans le monde entier »

résume Fritz Schmuhl, le directeur des publications en sciences de l’environnement chez Springer.

La revue a, en outre, gagné très vite en visibilité puisqu’elle a obtenu son facteur d’impact cette année, « ce qui est relativement rapide pour un si jeune journal » remarque Fritz Schmuhl, et à un niveau déjà élevé. Un facteur d’impact estime indirectement la visibilité d’une revue scientifique en s’appuyant sur le nombre moyen de citations de chaque article par les autres revues durant les deux années précédentes. Celui de la revue d’Ange Nzihou est de l’ordre de 1,1 alors qu’il est rarement au-dessus de 0,6 au démarrage.

« Une réussite exceptionnelle, due autant à son travail qu’à la réflexion qu’il a menée sur les enjeux importants dans ce domaine »

résume de son côté Patrick Sharrock.

L’intéressé insiste de son côté sur l’importance de son équipe multiculturelle sans qui tous ces travaux ne pourraient être menés. Il se dit aussi très attaché au regard de ses confrères. Et il n’hésite pas, quand il démarre un projet, à le soumettre « à des collègues de très bon niveau qui ont une analyse critique objective. Parce que je suis naturellement prudent, explique Ange Nzihou. D’ailleurs, j’aime les arts martiaux, le karaté particulièrement où l’on ne porte une attaque que lorsque l’on est sûr de toucher sa cible ! »

Enfin, et cela n’a chez lui rien d’un paradoxe, ce proche des grands industriels clame haut et fort son attachement au service public, en donnant des conférences et en planchant sur des projets de collectivités ou de l’État notamment :

« Je considère que c’est normal de rendre quelque chose ce beau pays, la France, qui m’a tout donné et où j’ai trouvé ma place. »

Logo Rapsodee
Ange Nzihou dirige le centre de Recherche d’Albi en génie des Procédés des SOlides Divisés, de l’Énergie et de l’Environnement (Rapsodee). L’effectif de 110 personnes se répartit en deux départements : « énergétique et environnement », qui travaille sur la valorisation des déchets et la production d’énergies renouvelables (solaire, biomasse) ; et « poudres et procédés », qui met au point des procédés plus durables pour la fabrication de poudres (pour la pharmacie et l’agroalimentaire notamment). Rapsodee est membre du Labex Solstice et de l’Equipex Génépi.

Dates-clés

  • 1966 Naissance à Dolisie (République du Congo)

  • 1994 Doctorat à l’INP-ENSIACET

  • Depuis 1998 Enseignant-chercheur l’École des Mines d’Albi-Carmaux

  • 2005 Création du cycle de conférences internationales WasteEng

  • 2010 Création de la revue Waste and Biomass Valorization et obtention du Prix présidentiel pour la chimie durable

  • 2016 Organisation du WasteEng2016 à Albi en mai

 

RAPSODEE  : Centre de Recherche d’Albi en génie des Procédés des SOlides Divisés, de l’Energie et de l’Environnement – – École des Mines d’Albi-Carmaux, CNRS.

INP-ENSIACET : Institut national polytechnique de Toulouse - École nationale supérieure des ingénieurs en arts chimiques et technologiques