Codeur pour céramiques

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Maths・Ingénierie

Codeur pour céramiques

chercheur en génie mécanique et code avec céramique

Des milliers de lignes de codes, voilà l’outil dont dispose Thierry Canet pour étudier des matériaux bien particuliers : les céramiques composites. Utilisés jusque dans l’industrie spatiale, elles présentent des propriétés thermiques, chimiques et mécaniques remarquables. Pour les étudier, notre doctorant a recours à la modélisation, soit une bonne dose de code et de maths ! Rencontre avec un chercheur-codeur dans la matrice…

La série Les deux font la paire met en scène des couples insolites : un·e scientifique se prête au jeu de l’interview avec un objet du quotidien pour tirer un portrait décalé de celles et ceux qui font la science.

 

Un plat en terre cuite. À première vue, difficile de voir comment un objet fabriqué depuis des millénaires pourrait bien intéresser des scientifiques autres que des archéologues. Et pourtant, la terre cuite fait partie de la famille des céramiques, une catégorie de matériaux qui est loin d’avoir livré tous ses secrets. Thierry Canet, doctorant en génie mécanique et mécanique des matériaux, nous explique comment il s’est retrouvé à écrire des lignes de codes pour mieux concevoir une jarre d’huile d’olive, ou plutôt une pièce de réacteur d’avion, ou encore un bouclier thermique destiné à des modules spatiaux. 

Céramiques : de la terre cuite à l’industrie spatiale

Si la terre cuite fait partie de la famille des céramiques, Thierry travaille lui sur un type de céramiques particulier : les composites à matrice céramique (on parlera ici de céramiques composites). Un peu comme de la terre lie des fibres végétales dans un torchis, en plus technique… Ces céramiques se composent de fibres (pour Thierry il s’agit d’oxydes d’aluminium) liées entre elles par une matrice poreuse (une céramique, composée d’un mélange d’alumine et de silice). Utilisées par exemple à l’arrière de certains réacteurs d’avions, ces matériaux présentent à la fois une bonne résistance thermique (à haute température notamment), chimique (résistance à l’oxydation) et mécanique (c’est du solide !).

Thierry Canet, chercheur avec une céramique

Cependant, cette résistance mécanique mérite d’être améliorée, et Thierry y travaille. Son objectif est de comprendre l’impact du procédé de fabrication sur les propriétés mécaniques de la céramique. Grâce à son travail (et celui de ses collègues), on pourra à l’avenir mieux contrôler le procédé de fabrication des céramiques composites, et le rendre potentiellement moins énergivore.

Plutôt que de casser des assiettes dans son labo, Thierry casse des céramiques virtuellement (Ses collègues lui disent merci)

Pour arriver à cela, le point central de la thèse de Thierry, c’est le travail de modélisation. En complément d’expérimentations qui peuvent être longues et coûteuses, un modèle bien calibré permet de tester très rapidement de nombreuses conditions expérimentales, et peut être utilisé pour guider et optimiser de futures expériences. En résumé, plutôt que de faire voler et casser des assiettes dans son labo IRL, Thierry casse des céramiques virtuellement pour repérer leurs points de fragilités... 

Comment devient-on codeur pour céramiques ? Un parcours tracé comme une ligne de code ? Après une classe préparatoire PCSI (physique, chimie et sciences de l’ingénieur⸱e) puis PC (physique-chimie) au lycée François Arago de Perpignan, Thierry ressort diplômé en ingénierie des matériaux avancés et des structures de l’École des Mines d’Albi-Carmaux. Sa poursuite en recherche semble cependant être à contre-courant. Lui qui a vu une partie de ses camarades, une fois quittés les bancs de l’École, basculer sur du management ou de la gestion de projets, il a préféré, comme d’autres, rester dans des travaux techniques. « Cette voie était plus assurée en poursuivant en thèse. Et je voulais faire de la recherche depuis un moment, profiter d’apporter une petite contribution, à mon échelle, à la science de manière générale. » 

 « Quand ça marche du premier coup, c’est qu’il y a une erreur ! »

Ce qui plaît à Thierry dans son travail actuel, c’est aussi ce qui fait la particularité de sa thèse : « Je ne bouge pas de mon bureau, je passe le plus clair de mon temps à coder ou à traiter des résultats. C’est loin de l’image du chercheur dans son laboratoire qui fait des expériences ! Moi je fais beaucoup de maths et de codage et ça me va très bien », sourit le doctorant.

Thierry Canet, chercheur avec une céramique

Lorsqu’on lui demande ce qui lui plaît dans les maths et le code, le jeune chercheur répond sans hésiter : « L’aspect déterministe. Si on se trompe c’est de notre faute. C’est uniquement nous, notre feuille, et l’ordinateur. » Aucun autre élément ne joue sur les résultats. Une rigueur qui impose un sens de la persévérance. En effet, certaines journées peuvent être englouties à passer en revue des milliers de lignes de codes, tout ça pour corriger une majuscule en minuscule… Thierry préfère en rire : « Si ça marche du premier coup, c’est qu’il y a une erreur ! »

Un code ouvert et décryptable par toutes et tous (Les non-geeks lui disent merci

Démarrée en 2021, Thierry termine sa thèse en septembre 2024. Une question anime le jeune chercheur-codeur : celle du devenir de son travail. « J’aimerais que le code que je suis en train de monter ne soit pas perdu, et que ça soit utilisé par quelqu’un. On a vu trop de morceaux de codes, de données, qui ont disparus et dont plus personne ne peut se servir. C’est le problème quand on code nous-même des choses : si on ne forme personne ou qu’on ne donne pas d’instructions avec le code, personne ne peut l’utiliser à part son concepteur ou très difficilement. »

Un de ses objectifs est donc de produire un manuel accompagnant son code. D’autre part, il souhaite que celui-ci puisse être utilisé en « boîte noire », c’est-à-dire sans avoir besoin de rentrer dedans (de la même manière que l’on utilise Photoshop, sans avoir à rentrer la moindre ligne de code et jouer les chercheur⸱es dans la matrice). Cette volonté de contribution ouverte correspond finalement bien à l’état d’esprit de Thierry, ouvert sur des enjeux scientifiques dans la matrice et dans la vraie vie.

 

Thierry Canet est doctorant en génie mécanique et mécanique des matériaux à l’IMT Mines Albi-Carmaux, au sein de l’Institut Clément Ader-Albi (IMT Mines Albi, INSA Toulouse, ISAE-SUPAERO, Université Toulouse III – Paul Sabatier, CNRS).

 

Les deux font la paire est une série Exploreur - Université de Toulouse (Rédaction et coordination éditoriale : Gauthier Delplace, Clara Mauler et Hélène Pierre. Visuel : Delphie Guillaumé et Hélène Pierre). Photos : Sébastien Chastanet. Studio photos : Maison de l'image et du numérique, Université Toulouse - Jean Jaurès. Cet épisode a été réalisé dans le cadre de la Nuit européenne des chercheur·es.