Un membraneux sans filtre

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Sciences de la matière

Un membraneux sans filtre

chercheur en génie chimique avec bouteille d'huile de tournesol

Un petit cancre curieux qui découvre la science et cherche à lui trouver du sens : voici comment se présente Jean-Christophe Remigy. Préoccupé par les enjeux sociaux et environnementaux actuels, ce chercheur en génie chimique plaide pour une recherche qui aille dans le bon sens. Pour exemple ses derniers travaux : à l’aide de CO2 et de membranes, on pourrait produire de l’huile de tournesol proprement en réalisant jusqu’à 90% d’économies d’énergie.

La série Les deux font la paire met en scène des couples insolites : un·e scientifique se prête au jeu de l’interview avec un objet du quotidien pour tirer un portrait décalé de celles et ceux qui font la science.

 

Tee-shirt, chino, baskets et bouteille d’huile de tournesol : à première vue Jean-Christophe Remigy ne verse pas dans le cliché du chimiste en chemise, lunettes, blouse blanche et tubes à essais (en même temps ça serait étrange d’arriver à une interview comme ça). Et puis de toute façon Jean-Christophe n’est pas chimiste, mais chercheur en génie chimique. Oui, on dirait qu’on joue sur les mots, mais le génie chimique c’est en fait l’application d’expériences faites en laboratoire à l’échelle industrielle. Et ça change pas mal de choses dans les pratiques et réflexions de notre chercheur…

Lorsqu’on lui demande quel super-pouvoir il aimerait bien avoir il répond avec humour : « [celui de] changer les propriétés du CO2 » ! Et sa bouteille d’huile de tournesol est justement pleine de super-pouvoirs et d’ingéniosité…

Dans l’industrie, les huiles végétales sont extraites des graines par des procédés mécaniques (comme le broyage) et/ou avec des solvants (une substance, généralement liquide, qui a le pouvoir de dissoudre d’autres substances, comme le dissolvant qui va éliminer votre vernis à ongles). Et pour ce faire, la star des solvants c’est l’hexane : grande affinité pour les lipides, facile à évaporer, faible coût d’utilisation. Malheureusement, il est aussi facilement inflammable et toxique pour l’être humain et l’environnement. Un bilan plus que mitigé donc.

Les membranes : des super filtres

Une solution serait donc d’utiliser un solvant non toxique, biodégradable et/ou agro-sourcé. Rien que ça. Un bon candidat pourrait être le CO2 supercritique. Supercritique ne renvoie pas à un super-héros à la critique facile, mais à un état de la matière obtenu à des pressions élevées et une température modérée. Dans le cas du CO2, il faut maintenir le gaz à plus de 100 bars (soit environ 100 fois la pression exercée par l’atmosphère terrestre sur nos petits corps). Le CO2 change alors d’état, il n’est plus gazeux mais supercritique, ce qui lui octroie des propriétés particulières, comme le fait d’être un bon solvant capable de dissoudre la précieuse huile contenue dans la graine de tournesol. Actuellement, on applique plutôt ce procédé pour les huiles essentielles (leur extraction étant plus rentable que celle de l’huile de tournesol de Jean-Christophe, mais vous avez l’idée).

Jean-Christophe Remigy

Et Jean-Christophe dans tout ça ? Et bien obtenir du CO2 supercritique ça demande beaucoup d’énergie pour arriver à le maintenir à plus de 100 bars. Une fois qu’il a été utilisé pour extraire l’huile, ce serait donc dommage (coûteux) de le décomprimer pour séparer huile et CO2 ; puis de le recomprimer pour recommencer le processus... C’est là que notre chercheur entre en jeu avec ses membranes. Et vous allez enfin comprendre l’intitulé mystérieux de cet article…

Jean-Christophe fait partie d’un groupe de scientifiques, un gang d’élite, qui se donne le petit nom de « membraneux et membraneuses ». « On s’appelle souvent comme ça entre nous », sourit le chercheur. « Les membranes, c’est une espèce de plat de spaghettis. Entre les spaghettis, il y a des trous, donc on peut faire passer du CO2 (une petite molécule), mais une molécule d’huile qui est plus grosse ne va pas pouvoir passer ». Les membranes permettent ainsi de « filtrer », séparer l’huile obtenue à l’aide du CO2 supercritique de ce dernier. Il peut ainsi rester dans son état supercritique et être réutilisé directement ; ce qui permet de réaliser jusqu’à 90% d’économies d’énergie par rapport à un processus conventionnel. On n’est quand même pas loin du super-pouvoir à ce stade.

« J’imaginais pas qu’un chercheur ça puisse être moi. »

Pourtant cet enseignant-chercheur aurait bien pu ne jamais arriver dans le monde de la recherche. « J’étais pas très fort, j’étais un petit cancre. J’ai redoublé deux fois : au collège et au lycée ». Malgré cela, l’enfant qui dévorait les magazines de vulgarisation scientifique va persévérer jusqu’à découvrir les laboratoires de chimie... « J’étais un cancre là où je n’étais pas intéressé. Quand il y a de l’intérêt, il y a beaucoup moins d’effort d’apprentissage. » Et c’est en dernière année d’école d’ingénieur·es en génie chimique qu’il découvre l’existence même de la recherche. « J’avais aucune idée de ce que c’était, je savais même pas qu’un doctorat ça existait. J’imaginais pas qu’un chercheur ça puisse être moi ».

Après une thèse en sciences appliquées, un poste d’attaché temporaire d’enseignement et de recherche et une période de chômage, une opportunité se présente à l’Université Toulouse III - Paul Sabatier en 1998. Le petit cancre curieux et créatif passe alors de l’autre côté de l’amphi.

Être enseignant-chercheur, au-delà des heures passées à faire de la recherche et de l’administratif (trop d’administratif), c’est aussi encadrer des étudiant·es auxquel·les il faut donner confiance, et pour ça la formule est toute trouvée : « Quand ils me demandent « Est-ce que je peux postuler à ce stage ? » Je leur demande s’ils connaissent le slogan de la Française des jeux : « 100% des gagnants ont tenté leur chance. » ». Comme lui-même l’a fait avant eux…

Engagement et anxiété climatique

Jean-Christophe se préoccupe du devenir de ses étudiant·es… et de ses travaux… « Quand vous avez fait quelque chose, votre objet, quand vous l’industrialisez, c’est quelque chose qui vous échappe. » S’il n’a aucun doute sur l’intérêt qu’il y a à faire de la recherche, le développement qui suit de nouvelles avancées peut, en revanche, échapper aux scientifiques, et dépendre de décisions politiques ou économiques. Cette problématique qui a toujours été d’actualité en génie chimique (puisque l’on parle de procédés industriels), préoccupe d’autant plus Jean-Christophe dans le contexte du changement climatique.

« En ce moment c’est le gros doute : est-ce que mon travail de recherche n’est pas absurde par rapport à la problématique du réchauffement climatique ?». Jean-Christophe n’a pas peur des mots (on pourrait même dire qu’il est sans filtre, héhé), et nous avoue éprouver une forme d’« anxiété climatique ».  Travaillant à l’optimisation de la production de matière (comme l’huile de tournesol dans sa bouteille), il regrette que l’on pense plus volontiers à utiliser ces nouvelles techniques pour produire plus, plus rapidement, plutôt que pour produire autant - voire moins -, en consommant moins, et donc avec un impact moindre.

Jean-Christophe Remigy

Également co-responsable du développement durable au sein de son laboratoire et animateur Fresque du climat et atelier 2tonnes (deux outils d’animation pour sensibiliser le public au changement climatique), Jean-Christophe conduit ses projets de recherches pour qu’ils puissent répondre à des enjeux sociétaux. « Je me demande comment je peux chercher pour avoir une action qui soit intéressante de ce point de vue-là. » Il travaille par exemple depuis 2006 au captage du CO2 (présent dans l’atmosphère, dans des réactions post combustion, etc…) via l’utilisation de membranes.

Ses travaux s’inscrivent dans la lignée de son prédécesseur, Philippe Aptel, directeur de recherche au CNRS, qui a joué un rôle pionnier dans l’utilisation de membranes, dites fibres creuses, pour la filtration et le traitement des eaux (voir notre article sur Exploreur).

Jean-Christophe trouve également l’inspiration sur les enjeux environnementaux actuels du côté de ses filles. De son propre aveu, elles exercent sur lui une influence positive sur divers sujets de société, écologie et féminisme en tête de proue. Aussi, lorsqu’il nous cite des personnes qui l’inspirent, on retrouve les militantes écologistes Greta Thunberg et Camille Etienne, ainsi que la journaliste Salomé Saqué, qui selon lui « représentent l’avenir et le défendent ». Ces choix correspondent finalement bien au portrait que l’on peut se faire de Jean-Christophe : un enseignant-chercheur humain, profondément engagé, à l’écoute de la nouvelle génération et qui tente de mettre sa recherche au service de la société.

 

Jean-Christophe Remigy est enseignant-chercheur en génie chimique à l’Université Toulouse III - Paul Sabatier, au sein du LGC - Laboratoire de génie chimique (CNRS, Toulouse INP, Université Toulouse III - Paul Sabatier).

 

Aller plus loin :

 

Les deux font la paire est une série Exploreur - Université de Toulouse (Rédaction et coordination éditoriale : Gauthier Delplace, Clara Mauler et Hélène Pierre. Visuel : Delphie Guillaumé et Hélène Pierre). Photos : Sébastien Chastanet. Studio photos : Maison de l'image et du numérique, Université Toulouse - Jean Jaurès. Ces recherches et cet épisode ont été financé·es par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Cet épisode est réalisé et financé dans le cadre du projet Science Avec et Pour la Société « CONNECTS » porté par l’Université de Toulouse.