Marketing : vers une consommation plus responsable ?
Le marketing est souvent associé à des notions négatives, comme la surconsommation. Pourtant, c'est un outil qui s'avère utile pour aider citoyens, entreprises et services publics à aller vers des actes de consommation plus éclairés et responsables. Comment utiliser des techniques marketing, telles que les labels ou une communication transparente, loin du greenwasching, pour avoir un impact positif ? Leila Elgaaied-Gambier, enseignante-chercheuse à Toulouse Business School, nous répond à partir de ses recherches sur les comportements pro-environnementaux des consommateurs.
L'Université de Toulouse et le Quai des Savoirs lancent Questions de confiance : un cycle de huit rencontres chaque dernier mardi du mois, de janvier à octobre 2022, proposé dans le cadre de l’exposition "Esprit Critique, détrompez-vous !" et des rencontres #Exploreur.
Rencontrez Leila Elgaaied-Gambier, enseignante-chercheuse en marketing, spécialiste du comportement du consommateur, à Toulouse Business School, et Cendrine Augueres, enseignante-chercheuse en marketing à l'École d'Ingénieurs de Purpan (Toulouse INP), membre de la Chaire In’FAAQT (Innover dans les filières agricole et agroalimentaires, la qualité et les territoires), le 31 mai 2022 à 18h au Quai des savoirs, en direct sur YouTube et en rediffusion dans cet article.
Par Clara Teixeira, de l’équipe Exploreur.
Marketing et écologie, ce sont des notions qui semblent très différentes ?
Leila Elgaaied-Gambier : On a l’image du marketing qui manipule et pousse à acheter des choses dont on n’a pas besoin. C’est plutôt associé à la surconsommation. Mais le marketing est avant tout un outil. On peut utiliser une pelle pour creuser un trou et planter un arbre ou pour assommer quelqu’un. De la même manière, le marketing peut avoir des impacts positifs ou négatifs. De nombreux chercheurs s’intéressent aujourd’hui aux impacts sociétaux positifs du marketing, notamment dans des domaines comme la santé publique ou l’environnement. Pour ma part, je travaille depuis dix ans sur les comportements écologiques des consommateurs. Dans un premier temps, j’ai cherché à comprendre les freins et les motivations qui les amènent à adopter des comportements écoresponsables. Ensuite, l’objectif est de proposer des interventions efficaces, à la fois aux pouvoirs publics et aux entreprises, pour encourager ces comportements. J’ai par exemple mené des études sur les conditions d’efficacité des communications environnementales ou des étiquetages écologiques affichés sur les produits de consommation.
Qu’est-ce qu’a révélé votre étude sur les labels écologiques affichés sur les produits de consommation ?
L. E-G : Il y a deux problématiques principales actuellement. Premièrement, il y a une profusion de labels. Au lieu d’aider le consommateur, ça crée encore plus de confusion et de scepticisme vis-à-vis de ce type d’information. Ensuite, pour que les consommateurs puissent s’y référer, le label doit être systématiquement renseigné sur tous les produits. Si on prend l’exemple du Nutri-score, certains produits l’affichent et d’autres non. Comment le consommateur peut-il s’y référer ? Il ne peut pas le prendre en compte pour comparer.
Comment rendre ces labels plus efficaces ?
L. E-G : Avec mes collègues nous avons mis en place une expérimentation pour répondre à cette question. Nous avons imaginé un label qui répond à un code couleur simplifié. Les produits les moins nocifs pour l’environnement étaient étiquetés en vert et les produits les plus nocifs en rouge. Nous avons constaté, entre autres, que c’est l’écart de nocivité entre deux produits qui va pousser le consommateur à choisir le produit qu’il perçoit comme moins nocif. Plus il y a de contrastes entre les produits, plus les gens vont se diriger vers ce qui a le moins d’impact environnemental. Cela montre encore une fois l’importance d’avoir un label facile à comprendre, renseigné sur tous les produits de manière systématique. Concrètement, ça nécessiterait une prise en charge de l’État pour que ce soit réalisable. Les entreprises n’indiqueront pas l’information si elle ne valorise pas leur produit.
Étudiez-vous les émotions des consommateurs pour comprendre leurs comportements ?
L. E-G : Les émotions sont centrales dans mes recherches. Pendant longtemps la recherche en marketing a délaissé le rôle des émotions et s’est focalisée sur une approche très rationnelle du consommateur. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Dès ma thèse, je me suis intéressée au concept de "culpabilité anticipée". Par exemple si un consommateur voit qu’il ne pourra pas correctement trier ses déchets, il va anticiper l’émotion négative de la culpabilité. À partir de cette anticipation, il va réajuster ses comportements pour éviter cet état émotionnel négatif. Lorsqu’on est spécialisé sur l’étude du comportement des consommateurs, comme je le suis, l’approche est forcément pluridisciplinaire, entre psychologie et sociologie.
Quelle est la limite entre influencer et manipuler le comportement du consommateur ?
L. E-G : En marketing, le terme clef c’est la persuasion. Il y a une nuance fondamentale entre persuasion et manipulation. Quand vous êtes manipulés, vous pensez agir sur la base de votre propre libre-arbitre, sans savoir que vous agissez sous l’influence d’autre chose. Alors qu’avec la persuasion, l’intention de vous convaincre est transparente. Quand vous voyez une publicité à la télé, vous n’êtes pas manipulé. Vous savez bien que la personne qui communique n’est pas neutre et qu’elle essaye de vous convaincre d’agir. Lorsqu’on tombe dans la manipulation, c’est qu’on utilise des pratiques qui sont condamnables, notamment du point de vue de la loi.
Quelle est la place de l’éthique dans vos recherches ?
L. E-G : Depuis quelques décennies, le marketing a évolué. Il ne ressemble plus à celui de la société de surconsommation des années 1950 à 2000. Aujourd’hui, les questionnements éthiques font partie intégrante de la démarche du chercheur en marketing. On réfléchit à la manière d’impacter positivement la société. L’Association française de marketing, dont je fais partie, a travaillé sur une redéfinition du marketing et rendra prochainement public un projet collectif intitulé "Marketing pour une société plus durable". Le but est de redéfinir le marketing en intégrant complètement les notions d’éthique, de responsabilité et de développement durable. La question du bien-être des consommateurs est notamment au cœur des préoccupations.
De quelle manière les entreprises peuvent-elles faire du marketing plus éthique ?
L. E-G : Le point crucial aujourd’hui, c’est la transparence. À la fois sur ce qu’on fait déjà bien et sur ce qu’il nous reste à améliorer. Certaines entreprises l’ont bien compris. La marque de basket française Veja liste sur son site les éléments sur lesquels il faut encore travailler. Ils cherchent à avoir une démarche globale plus cohérente, par exemple via l’utilisation d’électricité renouvelable ou le choix de banques qui ne se trouvent pas dans des paradis fiscaux. C’est payant du point de vue du consommateur qui est plus informé, mais c’est une démarche difficile pour les entreprises. Elles restent des organisations à but lucratif. Il peut y avoir parfois des contradictions entre les valeurs d’éthique et de responsabilité et la pression au profit et à la compétitivité. Le service marketing d’une entreprise ne peut pas porter seul les enjeux éthiques. Si leur démarche n’est pas soutenue au plus haut niveau de la pyramide hiérarchique de l’entreprise, celle-ci équivaut à être de l’affichage de façade. Ce qui n’améliore pas la confiance des consommateurs.
Quels bénéfices retirent les consommateurs lorsqu’ils sont proactifs dans leur consommation ?
L. E-G : C’est justement ce que nous sommes en train d’étudier avec plusieurs collègues en nous penchant sur la tendance de co-création. De plus en plus d’entreprises demandent l’avis de leurs consommateurs en vue de lancer une nouvelle campagne ou un nouveau produit. Beaucoup d’études regardent si les prototypes développés par les consommateurs fonctionnent plus ou moins bien que les produits typiques. Notre objectif est d’étudier l’impact de ces co-créations sur le comportement à long-terme des consommateurs impliqués. Est-ce que ça les amène à être plus attentifs aux caractéristiques écologiques de ce qu’ils consomment ? Nous étudions cela dans le temps long en faisant participer des gens à un challenge pour une entreprise. Quelques semaines plus tard, nous leur demandons de choisir entre plusieurs gammes de produits de même type. Pour l’instant, ce qui semble se dégager, c’est que les consommateurs qui participent à des challenges éco-responsables pour des entreprises finissent par adopter des choix plus écologiques dans la catégorie de produit concerné. Donc c’est plutôt bénéfique de faire participer les consommateurs.
Quels constats peut-on faire concernant la confiance des consommateurs ?
L. E-G : Pendant longtemps, la littérature scientifique en marketing mettait en évidence le rôle de la confiance des consommateurs. Maintenant c’est leur scepticisme qui est le plus palpable, notamment concernant les allégations environnementales des entreprises. Le consommateur est toujours un peu sur la réserve, il a l’impression qu’on va lui mentir. Ces inquiétudes sont légitimes, il y a eu des pratiques douteuses par le passé. Il y a eu des cas extrêmes comme le diesel gate de Volkswagen, qui avait trafiqué les chiffres des émissions de ses moteurs diesel. Mais le greenwashing est un phénomène plus vaste et souvent plus nuancé. C’est le fait de communiquer son impact environnemental de manière sélective, de ne pas donner de preuve, être trop ambigu et utiliser des termes comme "100% naturel". Certaines marques utilisent de faux labels qui laissent penser au consommateur qu’un organisme indépendant a certifié qu’elles respectaient une soi-disant norme. Le public est forcément plus méfiant face à de telles pratiques.
Est-il toujours bénéfique pour les entreprises de mettre en avant leurs engagements écologiques ?
L. E-G : Justement, beaucoup d’entreprises se posent la question. Dans le cadre d’un cours que je donne à des étudiants, une entreprise leur a demandé si elle avait intérêt à communiquer davantage sur ses engagements en matière de développement durable. Elle a une image de marque jeune et communique par l’humour. Serait-ce bénéfique pour elle dans un contexte où tout le monde communique sur ses engagements environnementaux ? L’étude de marché des étudiants a montré que non, ce n’est pas dans son intérêt. Ce n’est pas parce qu’une entreprise fait quelque chose de positif pour l’environnement qu’elle doit communiquer dessus. Parce qu’en réalité, surcommuniquer sur ce genre d’information renforce le scepticisme des consommateurs.
Travaillez-vous régulièrement avec des entreprises ?
L. E-G : Le marketing est une discipline très appliquée. Dans le cadre de mes cours, je fais appel à des entreprises pour permettre aux étudiants de travailler sur des cas concrets. En revanche, dans le cadre de mes recherches c’est beaucoup plus rare. De manière plus globale, il y a malheureusement une séparation très forte entre le monde des entreprises et celui de la recherche publique. Certaines questions se posent encore dans les services de marketing, alors que la recherche y a déjà répondu depuis dix ans. On bénéficierait tous d’avoir une meilleure collaboration entre les chercheurs et les entreprises.