Peut-on dévier un astéroïde ?

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Terre・Espace

Peut-on dévier un astéroïde ?

Astéroïde et planète Terre

Quand Bruce Willis fait exploser un astéroïde menaçant la Terre avec une tête nucléaire dans Armageddon, c’est sans doute un final atomique ! Mais en réalité, les débris générés par l’explosion pourraient retomber sur Terre et multiplier les risques de collision. Fausse bonne idée Bruce. Les agences spatiales pensent à d’autres stratégies, dont celle de dévier la trajectoire d’un astéroïde par l’impact d’une sonde. Cela s’est réalisé en 2022 lors de la mission DART. Mieux connaitre la surface, la constitution du sol et les propriétés des astéroïdes permettrait une efficacité optimale des manœuvres de déviation et d’atterrissage. Dans la perspective du lancement fin 2024 d’Hera, une nouvelle sonde, Alexia Duchêne, doctorante en planétologie, analyse les données provenant de DART. Elle réalise aussi, en équipe, un projet expérimental pour comprendre les forces en jeu sur ces sols faits de roches et de poussières.

Mini expo : Une série de galeries artistiques, esthétiques, patrimoniales et scientifiques pour découvrir le monde autrement. Les scientifiques se transforment en chargé·es d’expositions et partagent en images les coulisses de la recherche.

 

Le système solaire et la ceinture principale d’astéroïdes : adapté d’une illustration de la NASA via Wikimedia Commons NASA/ Wikimedia, CC BY.
Le système solaire et la ceinture principale d’astéroïdes : adapté d’une illustration de la NASA via Wikimedia Commons NASA/ Wikimedia, CC BY.

 

Mais en fait, c’est quoi un astéroïde ? Et quelle différence entre astéroïde et météorite ?

Notre système solaire s’est constitué il y a 4,6 milliards d’années à partir de gaz et de poussières. Les roches se sont formées par accrétion (agglomération des poussières) qui ont ensuite formés les huit planètes du système solaire comme nous les connaissons. Certains amas de poussières ne se sont pas agglomérés aux planètes et ont formé des astéroïdes indépendants. Ils sont majoritairement regroupés dans ce qu’on appelle la ceinture principale, située entre les orbites de Mars et Jupiter. Cette ceinture est composée de 1,1 à 1,9 million d’astéroïdes plus grands qu’un kilomètre de diamètre. Cérès est le plus imposant avec ses 940 kilomètres de diamètre (la distance du Nord au Sud de la France). L’ensemble, planètes et astéroïdes, est en orbite autour du Soleil.

Certains astéroïdes peuvent pénétrer l’atmosphère terrestre. Les météores ou étoiles filantes sont les phénomènes lumineux provoqués par la traversée dans l’atmosphère de petits astéroïdes (des météoroïdes). Si un météoroïde touche le sol, il devient alors une météorite ! Si la probabilité qu’un astéroïde supérieur d’une dizaine de mètres s’écrase sur Terre est assez faible (rassurez-vous), cela s’est déjà produit dans le passé. Le dernier de cette taille a été observé dans le ciel du sud de l’Oural en Russie, au-dessus de la ville de Tcheliabinsk, le matin du 15 février 2013. Si ce bolide s’est fragmenté dans l’atmosphère, sous l’onde de choc, des milliers de fenêtres se sont brisées ! Autre exemple, le Meteor Crater en Arizona s’est formé il y a environ 50 000 ans, suite à l’impact d’une grosse météorite. Il mesure environ 1200 mètres de diamètre et a une profondeur de 180 mètres. 

 

L’orbite de l’astéroïde Didymos autour du Soleil, et les orbites des planètes Mercure, Venus, Terre et Mars. Source : NASA / JPL-Caltech.
L’orbite de l’astéroïde Didymos autour du Soleil, et les orbites des planètes Mercure, Venus, Terre et Mars. Source : NASA / JPL-Caltech.

Don’t Look up : Didymos, l’astéroïde qui frôle la Terre

Certains astéroïdes sont plus proches de nous, croisant la trajectoire de la Terre, et sont nommés « Near-Earth asteroids » (« astéroïdes géocroiseurs » en français). Sur l’image représentée ici, on peut visualiser l’orbite de la Terre et celle de l’astéroïde Didymos, et lorsque leurs trajectoires se rapprochent (en haut à droite). En arrière-plan, sont représentés 2 200 autres orbites d’astéroïdes potentiellement dangereux, PHA (« potentially hazardous asteroids »). Ça en fait du monde dans le ciel…

S’ils sont plus proches, il y a potentiellement des risques de collision. Pourrait-on alors dévier un astéroïde dont la trajectoire impacterait la Terre ? Cette question n’est pas simple à régler. Pas d’inquiétude Bruce, différents programmes sont développés par les agences spatiales du monde entier, dont européenne et américaine, afin d’obtenir des données sur ces objets célestes et tester des méthodes de déviation. 

 

Image 1 : Le système astéroïde binaire, Dimorphos (à gauche) et Didymos (à droite). Source : NASA / Johns Hopkins APL.  Image 2 : Dimorphos. Source : NASA / Johns Hopkins APL.
Image 1 : Le système astéroïde binaire, Dimorphos (à gauche) et Didymos (à droite). Source : NASA / Johns Hopkins APL.  
Image 2 : Dimorphos. Source : NASA / Johns Hopkins APL.

Deux astéroïdes pour le prix d’un

L’astéroïde Didymos en orbite n’est pas seul. On en observe deux pour le prix d’un. Sur la première image, vous pouvez voir un second astéroïde à gauche, Dimorphos, plus petit, qui gravite autour de lui, comme la Lune autour de la Terre. Didymos et Dimorphos forment un système binaire, enregistré sous le doux numéro 65803. 

La seconde image présentant l’astéroïde Dimorphos résulte de la superposition des dix dernières images à la plus haute résolution obtenues par une mission de la NASA (la célèbre agence spatiale américaine).  Lors de cette mission, la sonde appelée DART s’est impactée volontairement sur l’astéroïde, afin de tester, pour la première fois, la déviation de cet objet céleste.

C’est à ce système et plus spécifiquement à Dimorphos que s’intéresse Alexia Duchêne, doctorante à l’ISAE-SUPAERO (Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace) à Toulouse. 

 

L’orbite de Dimorphos (la petite lune de l’astéroïde Didymos) avant et après l’impact de la sonde DART de la NASA. Source : NASA / Johns Hopkins APL.

 

Viser un astéroïde (ou comment jouer aux fléchettes dans l’espace)

En 2022, la mission DART (« double asteroid redirect test », « test de redirection de double astéroïdes », ou plus simplement « fléchette » en français) a atteint Dimorphos afin de modifier son orbite autour de Didymos. La sonde a impacté l’astéroïde avec une vitesse supérieure à 20 000 km/h pour le « pousser » et ainsi le dévier de sa trajectoire. C’est une réussite puisque l’orbite a été réduite ! 

Un satellite embarqué par la sonde DART a été relâché avant l’impact pour observer l’effet de la sonde sur Dimorphos (c’est le LICIA Cube, un « CubeSat », un petit satellite cubique de la taille d’un grille-pain !). Les données obtenues lors de l’approche de la sonde, notamment les dernières images transmises par la caméra avant l’impact, ont été étudiées par l’équipe de recherche SSPA (systèmes spatiaux pour la planétologie et ses applications) de l’ISAE SUPAERO, dont fait partie Alexia. Cela a permis de mieux connaître la surface de Dimorphos.

 

Vue d’artiste de la sonde Hera (à gauche) et ses deux CubeSat (satellites miniatures) Juventas et Milani. Source : ESA.
Vue d’artiste de la sonde Hera (à gauche) et ses deux CubeSat (satellites miniatures) Juventas et Milani. Source : ESA. 

Une nouvelle mission spatiale pour Bruce - ou plutôt les scientifiques toulousain·es !

Les études de l’équipe de planétologues toulousain·es permettront de préparer l’arrivée sur ce système d’astéroïdes fin 2026 de la sonde Hera (une nouvelle mission de l’agence spatiale européenne, ESA). Son lancement étant programmé pour octobre 2024, elle atteindra son but après un voyage de deux ans ! Cette sonde transporte deux petits satellites (CubeSat, nos grille-pain), Juventus et Milani, dont au moins un atterrira à la surface de Dimorphos. 

L’objectif de la thèse d’Alexia est de comprendre où la sonde va mettre les pieds… Autrement dit, de déterminer les propriétés mécaniques de ces astéroïdes, comme par exemple la cohésion et la friction des roches et grains qui composent sa surface. Ces propriétés de surface sont des éléments clés pour mieux comprendre les effets produits par l’impact d’une sonde, tels que la nouvelle forme de l’astéroïde, son remodelage après impact et sa forme finale.

La cohésion, c’est les forces attractives entre les grains de la surface de l’astéroïde. Sur nos plages, les grains de sable secs glissent entre nos doigts : ils sont peu cohésifs. Cependant ce même sable, lorsqu’il est mouillé, devient plus résistant et moins fluide, c’est dû à l’augmentation de sa cohésion. Les astéroïdes possèdent une gravité très faible. Une surface non cohésive y est encore plus facilement fluidifiée et moins résistante qu’en gravité terrestre. Autrement dit, pas facile de planter son parasol sur une plage céleste sans risque qu’il s’enfonce trop. 

 

La dernière image complète reçue par la sonde DART juste avant l’impact avec l’astéroïde Dimorphos. Les roches en couleurs sont celles analysées et caractérisées via un système d’analyse d’images. Source : Robin et al. 2024, Nature Communications.
La dernière image complète reçue par la sonde DART juste avant l’impact avec l’astéroïde Dimorphos. Les roches en couleur sont celles analysées et caractérisées via un système d’analyse d’images. Source : Robin et al. 2024, Nature Communications.

Observer les astéroïdes sous un autre angle…

On n’a pas découvert de petits bonhommes verts, ni de roches rouges et bleues sur l’astéroïde Dimorphos ! À partir de la dernière image complète reçue par la sonde DART avant son impact, Colas Robin et Alexia Duchêne, doctorant·es à l’ISAE SUPAERO, ont examiné la forme des blocs de roches observés à la surface. Les rochers sélectionnés et analysés sont colorés en bleu et rouge. Ceux en bleu sont plus grands, comportent plus de pixels, donc ont une meilleure résolution. Ceux en rouge sont les rochers plus petits avec une plus faible résolution.

L’analyse de la forme des roches, notamment leurs angularités, permet de calculer la friction entre elles. C’est un autre paramètre pour étudier la stabilité de la surface de l’astéroïde. Plus la friction est élevée, plus la résistance augmente et les roches bougent moins facilement entre elles ! En gros, plus elles se frottent, plus c’est stable.

 

Comparaison de la morphologie des roches sur différents astéroïdes. Source : Robin et al. 2024, Nature Communications.
Comparaison de la morphologie des roches sur différents astéroïdes. Source : Robin et al. 2024, Nature Communications.

Des gravats célestes ?

La morphologie des blocs de roches à la surface de Dimorphos (image a) a été comparé avec celles à la surface de trois autres astéroïdes : l’astéroïde 25143 Itokawa (image b), l’astéroïde 162173 Ryugu (image c) et l’astéroïde 101955 Bennu (image d). Cette étude comparative des quatre astéroïdes, publiée dans Nature Communications, a démontré une morphologie des roches très semblable qui suggère un mécanisme commun de formation et d’évolution pour ces astéroïdes. Ils appartiennent tous à une catégorie nommée « Rubble pile » (qu’on peut traduire par « pile de débris » ou « tas de gravats »). Ils sont composés de morceaux de roche qui se sont assemblés sous l'influence de la gravité. Étudier Dimorphos serait donc le début d’une meilleure connaissance de ce type d’astéroïdes…

 

Design final de l’expérience SILOE (surface investigation in low gravity environment). Source : A. Duchêne.
Design final de l’expérience SILOE (surface investigation in low gravity environment). Source : A. Duchêne.

Ground control : tests de surfaces

En complément de l’analyse d’images, Alexia Duchêne et quatre étudiant·es de l’ISAE-SUPAERO ont imaginé une expérience nommée SILOE (« surface investigation in low gravity environment », soit « enquête de surface dans un environnement à faible gravité »), afin de questionner l’importance de la cohésion sur ces surfaces planétaires.

L’équipe SILOE conduira des expériences d’enfoncement de projectile (représentant une sonde) dans diverses surfaces. Une chambre à vide reproduit les conditions présentes sur les astéroïdes. Les tests consistent à lâcher le projectile sur différentes surfaces granulaires (billes de verre, sable, simulant de sol lunaire...) qui comportent donc différents niveaux de cohésion et à différents niveaux de gravité (faible gravité de 0,1 m/s², gravité lunaire de 1,62 m/s², gravité terrestre de 9,81 m/s²). 

L’hypothèse ici testée est que la cohésion deviendrait une force prédominante à prendre en compte sur une surface d’astéroïde à la gravité très faible. Quand une force est très faible (ici la gravité), une autre (ici la cohésion) prendrait le dessus, s’exprimerait et jouerait davantage dans la balance. Une faiblesse peut devenir une force, tout dépend du contexte. Tout n’est pas une question de muscles Bruce.

 

GraviTower Bremen Pro, une des tours de chute à l’institut ZARM (Center for applied space technology and microgravity) permettant de conduire des expériences scientifiques dans des conditions de gravité réduites. Source : University of Bremen / ZARM.
GraviTower Bremen Pro, une des tours de chute à l’institut ZARM (Center for applied space technology and microgravity) permettant de conduire des expériences scientifiques dans des conditions de gravité réduites. Source : University of Bremen / ZARM.

Un ascenseur vers l’apesanteur

Pour expérimenter ces différentes gravités, il faut embarquer dans un gigantesque ascenseur, une « tour de chute », comme dans certains parcs d’attractions où ce dispositif permet de ressentir une sensation d’apesanteur pendant quelques secondes. L’accélération de l’ascenseur de votre immeuble est trop faible pour percevoir cette sensation de flotter…

L’expérience SILOE a été sélectionné par l’ESA Academy Experiments programme pour être intégré dans la capsule de la tour de chute GraviTower à l’institut ZARM de Brême en Allemagne. Cette tour de 16 mètres de haut permet de simuler des conditions de gravité réduite jusqu’à 0,001 m/s². En décembre 2024, l’équipe SILOE a prévu de réaliser 50 essais dans cette tour de chute en testant cinq surfaces différentes.

Un nouveau pas pour mieux fouler le sol des astéroïdes… Et laisser Bruce tranquille.

 

Alexia Duchêne est doctorante en planétologie au sein de l’équipe SSPA (systèmes spatiaux pour la planétologie et ses applications) de l’ISAE-SUPAERO - Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace. Sa thèse est financée par l’Université Toulouse III – Paul Sabatier. Le programme SILOE est soutenu par l’ESA Academy Experiments programme, EUR TESS Booster et la Bourse Espace de la Fondation Ailes de France.

 

Aller plus loin : 

 

Publication scientifique :

 

Mini expo est une série Exploreur - Université de Toulouse. Journaliste : Catherine Thèves. Visuel : Delphie Guillaumé et Caroline Muller. Conception et suivi éditorial : Clara Mauler. Cet article a été réalisé dans le cadre d'UNIVERSEH (European space university for earth and humanity).