Étudiantes et étudiants en apesanteur avec Thomas Pesquet

Partagez l'article

Terre・Espace

Étudiantes et étudiants en apesanteur avec Thomas Pesquet

ISS thomas pesquet
La capsule Eklosion présentée par Thomas Pesquet ©ESA/NASA/Thomas Pesquet

Quoi de plus motivant, que de concevoir une expérience scientifique envoyée dans l’espace auprès de Thomas Pesquet ? Lauréats du concours Génération ISS, les projets Tetr’ISS et Eklo ont permis à plus de 250 étudiantes et étudiants de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier et de l’Ecole de Design de Nantes Atlantique de se projeter dans la station internationale. Avec leurs enseignants et les experts qui les accompagnent, découvrez les défis qu’ils ont dû relever et les premiers résultats de ces deux projets. Prêt au décollage !

Propos recueillis par Nadia Vujkovic et Anne-Claire Jolivet, de l’équipe Exploreur. Publication de la série « Les sciences en apesanteur ».

 

Le projet Tetr’ISS a rassemblé sur 3 ans une équipe de plus de 250 étudiantes et étudiants en DUT Mesures physiques et Génie mécanique et productique de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier (IUT Paul Sabatier). Initialement, il a pour objectif de montrer l’influence de la pesanteur sur divers phénomènes physiques et chimiques, à travers 4 expériences regroupées au sein d’une plateforme automatisée. Au final, la boite envoyée dans l’espace le 10 août dernier contenait uniquement l’expérience des figures de Chladni en 3D. Philippe Garnier (enseignant-chercheur Université Toulouse III – Paul Sabatier (UT3), astrophysicien à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie – IRAP/OMP, coordinateur Tetr’ISS), Nadia Lalanne (enseignante-chercheuse UT3, chimiste au laboratoire des Interactions moléculaires et réactions chimiques et photochimiques – IMRCP), Benoît Champin (enseignant de sciences physiques UT3) et Noémie La Haye (enseignante en expression / communication UT3) partagent leur expérience.

groupe tetriss

 

Le projet Eklo est réalisé par une étudiante en Master Biologie Végétale à l’Université Toulouse III - Paul Sabatier et 9 étudiants de l’École de Design Nantes Atlantique. Ensemble, ils ont développé une capsule dans laquelle doivent grandir des fleurs d’œillets d’Inde, sous le regard et les soins de Thomas Pesquet qui découvrira également des cartons odorants avec des messages de sa famille. L’association Eklo propose, en parallèle, de nombreuses déclinaisons sur Terre en impliquant le grand public dans ce projet afin de créer un lien encore plus fort entre la Terre et l’espace. Flavie Simon-Barboux de Nantes et Eve Teyssier de Toulouse nous racontent leur aventure spatiale.

eklo

 

En tant qu’enseignants ou étudiantes, quelles sont les raisons principales qui vous ont conduits à candidater au concours Génération ISS en 2019 ?

Philippe Garnier, pour Tetr’ISS : Avant l’annonce du concours, nous avions déjà constitué entre collègues motivés une équipe pédagogique avec laquelle nous invitions les étudiants à développer « des idées folles » à expérimenter dans l’espace. Je me souviens d’étudiants imaginant reproduire une trombe marine, une tornade dans l’ISS ! Plus concrètement, le concours a donc permis de se confronter au réel avec l’objectif de participer à la prochaine mission de l’emblématique Thomas Pesquet. Au printemps 2019, c’est avec les étoiles pleins les yeux que nous avons déposé 9 projets pluridisciplinaires sur les 200 candidatures nationales, émanant certaines de grandes écoles renommées. Quelle fierté partagée d’avoir été lauréat !

Eve Teyssier, pour Eklo (étudiante UT3 Paul Sabatier) : Ayant effectué un stage au sein du Groupement scientifiques en biologie et médecine spatiale à Toulouse, j’avais déjà de l’intérêt pour l’espace et notamment la biologie dans l’espace avant même de participer à ce concours. Puis j’ai voulu proposer un projet en lien avec les sens (odorat, vue, toucher) et qui amènerait de la beauté dans l’ISS. J’ai conçu le projet « La rose du petit Prince » mêlant art et science qui a ensuite fusionné avec le projet « Groot » des étudiants de l’Ecole de design de Nantes.

Flavie Simon-Barboux, pour Eklo (ancienne étudiante de l’Ecole de design de Nantes) : Il est habituel en école de design de participer à des concours pendant ses études et lorsque nous sommes tombés sur celui-ci, nous nous sommes tout de suite demandé quels besoins avaient un astronaute en dehors de ses besoins vitaux et techniques. On a alors pensé à lui apporter de la poésie, du bien être et un lien avec ses proches sur Terre. Et comme Thomas Pesquet, nous avions dès le départ l’objectif d’éveiller la curiosité et renforcer l’attrait des jeunes pour le spatial.

 

Comment avez-vous intégré ce projet exceptionnel dans un parcours universitaire ?

Noémie La Haye et Benoît Champin, pour Tetr’ISS : Pour nous, enseignants, c’était l’occasion rêvée de proposer un projet tutoré qui rassemble les premières et les deuxièmes années dépendant de plusieurs départements de l’IUT : mesures physiques, génie mécanique et productique, techniques de commercialisation. Nous avons appris les uns des autres, entre nous mais aussi avec les étudiants, nous étions tous « sans filet », à nous adapter à toutes les contraintes logistiques, réglementaires et techniques inhérentes à un programme spatial. Même le rapport enseignant-étudiant s’est gommé au profit d’une co-construction.

Eve Teyssier et Flavie Simon-Barboux, pour Eklo : Ce projet ne s’est pas intégré dans notre parcours mais en plus ! Nous l’avons mené à côté de nos études en mode « gestion de projet » : réunions hebdomadaires, organisation en pôles, etc. Tout ça à distance entre Paris, Nantes, Montréal et Toulouse. Nous étions donc déjà habitués à la visio avant que la crise du Covid ne nous l’impose. Mais toute cette expérience de gestion de projet est un point fort que nous pouvons aujourd’hui valoriser dans notre parcours.

 

Pourquoi réaliser les figures de Chladni dans l’espace ?

Philippe Garnier : Pour les voir en 3D ! Sur Terre, les figures de Chladni sont formées classiquement en faisant vibrer des grains de sable sur des plaques. Chaque fréquence de vibration offrant des formations géométriques spécifiques en 2D. C’est une expérience très pédagogique et assez spectaculaire qui n’a jamais été faite en apesanteur et donc en trois dimensions.

 

Pourquoi faire pousser des œillets d’Inde dans l’espace ?

Eve Teyssier et Flavie Simon-Barboux : Notre objectif était de faire pousser une fleur dans l’espace et nous pensions au départ à une rose ou une tulipe. Mais nous avons très vite été rattrapées par les contraintes techniques imposées dans l’ISS : apport d’eau limité, nécessité d’un bon taux de germination, température constante, petite taille et pousse rapide. Nous nous sommes donc rapidement tournées vers l’œillets d’Inde. En parallèle, nous avons travaillé sur un projet autour des odeurs, sens très peu stimulé dans l’ISS, et la découverte hebdomadaire de mots de la famille. Le tout dans le but de garder une connexion avec la Terre.

 

Entre les intentions initiales et les contraintes liées au spatial, quel a été le choix le plus difficile à faire et à l’inverse, celui qui s’est imposé à vous avec joie ? Quelle a été la bonne ou mauvaise surprise ?

Benoît Champin, pour Tetr’ISS : Nous devions réajuster sans cesse les expériences en fonction des consignes hebdomadaires, voire journalières, que nous remontaient l’Agence spatiale européenne et la NASA, via le CNES. Par exemple : impossible d’utiliser des grains de sable, ni des billes de cuivre jugées toxiques pour les astronautes, et pas de verre non plus pour les parois transparentes. Il a fallu choisir des billes en inox et des parois en polycarbonate. Nous avons également appris que chaque trou de visseries des objets métalliques a un diamètre normé toujours plus petit que la taille présumée d’un doigt d’astronautes : il faut éviter toutes blessures intempestives !

Eve Teyssier et Flavie Simon-Barboux, pour Eklo : L’un de nos principaux problèmes a été de s’assurer de l’étanchéité de la capsule. Il a fallu ajouter de nombreuses couches de protection tout en respectant les autres critères (poids, dimensions, etc.). Idem pour l’électronique liée à l’éclairage car il faut s’assurer que les graines puis la plante aient suffisamment de lumière pour pousser.

Et un des moments forts a été le 19 août dernier lorsque Thomas Pesquet a découvert la capsule. Nous avions la chance d’assister à ce moment en direct depuis le CADMOS (https://cadmos.cnes.fr/fr/) au CNES. Le moment crucial a été la mise en route des LEDs : nous avons tous retenus notre souffle et compté les secondes au moment de l’allumage ! Puis ouf… cela fonctionnait.

 

Est-ce que les observations de la mission Alpha 2021 vont nourrir vos réflexions ou élargir vos horizons de projets de recherche et plus largement vos perspectives professionnelles ?

Philippe Garnier, pour Tetr’ISS : Cette expérience a nourri mon goût pour l’aspect technique, en complément de mes recherches fondamentales. Nous travaillons également à une version complète de la plateforme, contenant les 4 expériences prévues initialement, et qui sera exposée dans le showroom de la nouvelle Maison de la Formation Jaqueline Auriol (MFJA) regroupant l’ensemble des formations du domaine génie mécanique et productique orientées aéronautique et espace.

Nadia Lalanne pour Tetr’ISS : D’un point de vue scientifique, le projet nous a invité à chercher des nouvelles compétences. Les contraintes principales dans l’ISS sont le volume et la masse, il faut être toujours plus petit et léger ! Une autre contrainte et non des moindres a été l’utilisation de produits et matériaux autorisés par la NASA pour des raisons de sécurité évidentes. Alors, pour vous donner un exemple, nous nous sommes rapprochés du Laboratoire de Génie Chimique (LGC), en particulier de Sébastien Teychené  pour son expertise dans l’élaboration de systèmes microfluidiques indispensable à la conception d’une des expériences de Tetr’ISS et qu’il a par ailleurs dirigé. Cela a impulsé des collaborations qui vont perdurer avec ou sans apesanteur ! Autre exemple, une problématique autour des phénomènes de mouillage et des effets Marangoni nous ont également amené à consulter nos collègues de l’Institut de Mécanique des Fluides de Toulouse (IMFT) pour leur expertise dans ce domaine. Les  étudiants ont vraiment apprécié l’intérêt porté à Tetr’ISS par les scientifiques de ces laboratoires et des vocations sont probablement nées.

Eve Teyssier et Flavie Simon-Barboux, pour Eklo : En dehors des résultats même, cette expérience nous aura permis de tisser des liens avec de nombreuses personnes travaillant dans le domaine du spatial. Nous avons donc élargi notre horizon en ce sens. Tout comme notre travail autour de la transmission des connaissances auprès du grand public et des scolaires notamment grâce au projet parallèle « Graines d’Eklo » consistant à reproduire l’expérience à la maison. Ce projet a indéniablement eu un impact positif dans nos compétences en gestion de projet et travail en équipe. Certains de nous ont déjà pu le valoriser lors d’entretien d’embauche.

 

Le projet a-t-il eu un impact dans l’orientation professionnelle de vos étudiants ?

Noémie La Haye et Benoît Champin, pour Tetr’ISS : Sans aucun doute pour les étudiants. Nous étions une véritable « PME ». Ils ont appris les outils de gestion de projet, le travail en équipe et l’engagement professionnel, avec les joies et déceptions, les amitiés et les tensions interpersonnelles – en particulier, quand nous avons appris que seule l’expérience de Chladni serait envoyée alors que les étudiants avaient travaillé sur trois autres expériences qui devaient aussi intégrer la plateforme. Certainement pour nous aussi. Nous avons affiné nos connaissances de l’expertise des autres départements de l’IUT qui nous permettront de mener d’autres projets communs. Par exemple, après quelques quiproquos nous nous sommes rendu compte que nous n’avions tout simplement pas la même définition du terme « conception » entre nos deux spécialités « mesures physiques » et « génie mécanique et productique ».  Nous avons également perfectionné nos compétences en démarche qualité, méthodologie importante pour de nombreuses entreprises, futurs employeurs de nos étudiants. Malgré la pandémie, le projet ne s’est jamais arrêté et a permis au groupe de maintenir un lien fort pendant toutes les périodes de confinement.

 

Si vous deviez décrire en trois mots cette aventure …

Pour l’équipe Tetr’ISS ce sera :

« Enthousiasme – Relations humaines – Collectif »

Pour l’équipe Eklo ce sera :

« Rêve – Partage – Cosmique »

 

Épilogue

Parties en cargo le 10 août dernier les expériences ont été réalisées dans l’ISS par Thomas Pesquet lors de sa mission ALPHA. Voici les résultats…

Extrait de compte Instagram du projet Tetr’ISS (mp_in_space) du 19 octobre 2021

tetriss pesquet
L’expérience TETRISS présentée par Thomas Pesquet © ESA/NASA.

« Thomas Pesquet a mis en œuvre l’expérience des figures de Chladni une première fois le 3 septembre matin. L’électronique, les caméras, le moteur ont bien fonctionné, mais malheureusement beaucoup de billes sont restées collées par électricité statique. Seules quelques-unes se sont agglutinées et se sont déplacées apparemment de manière cohérente avec la modification des nœuds des ondes. En collaboration avec le CNES et l’ESA, plusieurs actions correctives ont été imaginées afin d’éviter que les billes collent entre elles et aux parois.

Le 7 octobre, Thomas Pesquet a ouvert la plateforme afin de frotter son doigt contre les parois du compartiment transparent et ainsi mieux répartir les charges électriques. Il a ensuite branché la plateforme à la « masse » de la station pendant 24h, toujours pour réduire l’électricité statique. Le 8 octobre matin, il a lancé l’expérience pour un deuxième run, devant les yeux de plusieurs membres du projet présents au CADMOS. Nous avons récupéré les vidéos des caméras embarquées dans la plateforme quelques jours plus tard. Nous vous en présentons un extrait accéléré. Notez à la fin de la vidéo la lumière de la lampe torche de @thom_astro qui observe les résultats en direct ! On peut voir qu’il y a moins de billes collées que la première fois, et qu’elles se déplacent sur ce qui semble être les nœuds des ondes sonores. Néanmoins on ne voit pas les figures de Chladni clairement car il n’y a pas assez de billes qui flottent librement. Mais c’est la science et on sait que ça ne marche pas toujours du premier coup ! Derrière cette petite déception se cache surtout une grande satisfaction d’avoir fait fonctionner la plateforme parfaitement. Nous sommes fiers d’avoir mené ce projet à son terme et heureux d’avoir eu la chance de pouvoir proposer une deuxième tentative malgré le planning très chargé des astronautes ! Encore félicitations à tous les membres du projet et à nos partenaires du @cnes_france pour leur travail depuis 3 ans. Merci à l’@europeanspaceagency pour son soutien et merci à Thomas d’avoir consacré plus de temps que prévu à notre expérience ! »

 

Second run de l’expérience TETRISS mené par Thomas Pesquet le 7 octobre 2021 ©ESA/Projet Tetr’ISS

 

Extrait du compte Instagram du projet Eklo (eklo.space) du 25 octobre 2021

« La capsule a passé 2 mois dans l’ISS, et comme vous pouvez le constater aucune plante n’a pu pousser... on vous explique pourquoi ci-dessous. Après plusieurs semaines de recherche aux côtés du CNES et avec l’aide précieuse de Thomas Pesquet depuis l’espace, nous comprenons petit à petit pourquoi les graines ne sortent pas et pouvons enfin vous en donner les raisons. Après la 1ère hydratation effectuée par Thomas Pesquet le 19 août dernier, la capsule a été manipulée avant que la fibre de coco n'ait eu le temps d’absorber l’eau, laissant ainsi du liquide dans la partie basse. Cette manipulation fait suite à une contrainte logistique : les espaces de stockage pour les expérimentations sont très encombrés dans la station et leur gestion depuis le sol complexe. L’espace prévu pour accueillir Eklosion n’étant plus disponible, Thomas Pesquet a été contraint de déplacer la capsule à plusieurs reprises. En conséquence de ces mouvements : l’eau non-absorbée par la fibre de coco est remontée dans la capsule et a stagné au niveau des trous placés juste au-dessus des graines, empêchant ainsi leur développement. Malgré les efforts de l'astronaute pour sauver les graines, le vivant reste très fragile et les graines ne semblent pas avoir survécu. Ces informations restent pour le moment à l’état d’hypothèse. Néanmoins, ces résultats constituent en eux-mêmes un retour d'expérience important puisqu’ils pourront être utiles à d'autres expériences, utilisant notamment la fibre de coco comme substrat. De plus, l’expérience Eklosion ne s’est pas arrêtée pas là. Toutes les semaines, Thomas Pesquet a découvert une odeur et un message de sa famille, conservant ainsi le lien symbolique que nous souhaitions avec la Terre. Par ailleurs, la capsule a parfaitement fonctionné : le système électronique a rempli sa fonction d'éclairage et la capsule est restée étanche. »

eklo_pesquet
La capsule Eklosion présentée par Thomas Pesquet © ESA/NASA/Thomas Pesquet