Face à l’urgence : des scientifiques toulousains se mobilisent pour l’écologie politique

Partagez l'article

Terre・Espace

Face à l’urgence : des scientifiques toulousains se mobilisent pour l’écologie politique

Atecopol_désert_exploreur

Dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité, contaminations chimiques, nos modes de vie causent des dégâts environnementaux mais aussi sociaux et politiques… or, tout cela ne fait que s’amplifier. Savoir ne suffit pas, il faut inventer de nouvelles façons d’agir.

Propos recueillis par Anne-Claire Jolivet. Interview de Jean-Michel Hupé, chercheur CNRS, de Laure Teulières et de Steve Hagimont, enseignants-chercheurs de l’Université Toulouse – Jean Jaurès, pour l’Atelier d’écologie politique (Atécopol).

Quel a été votre déclic pour passer à l’action ?

Face aux constats alarmants des conséquences du réchauffement climatique et des autres atteintes environnementales, beaucoup de scientifiques ne savent pas forcément comment intervenir, en particulier à l’intérieur du monde de la recherche. C’est pourquoi sans doute l’idée d’un collectif expérimental a remporté très vite l’adhésion de plus de 70 chercheuses et chercheurs toulousains. L’Atelier d’écologie politique (Atécopol) est lancé à Toulouse fin 2018. Il nous permet d’inventer des moyens d’agir là où nous sommes, dans l’enseignement supérieur et la recherche, et surtout de comprendre que nous sommes légitimes de le faire en qualité de chercheuses et chercheurs.

L’Atécopol vise à faire dialoguer des savoirs dispersés et à questionner le rôle de la science dans et avec la société. Cette initiative répond à un fort besoin d’action et d’engagement. Concrètement, elle est née à partir d’un manifeste, agrégeant de façon inclusive toutes et tous les collègues intéressés. Nous nous sommes depuis rapprochés de la Maison des sciences de l’homme et de la société de Toulouse (MSHS-T), à laquelle l’Atécopol s'adossera prochainement sous la forme de « plateforme d'expertise ».

Êtes-vous des lanceurs d’alerte écologique ?

L’alerte quant à la situation écologique sonne depuis longtemps, et beaucoup de nos collègues y contribuent dans leur domaine de spécialités. Si l’Atécopol est lanceur d’alerte, c’est peut-être contre les fausses solutions, technoscientifiques ou économiques, qui amènent à de nouvelles impasses. Avec la lettre aux chercheurs, financeurs, industriels et aficionados du véhicule autonome, initiée par Julian Carrey, enseignant-chercheur à l’INSA Toulouse, nous  développons dans une tribune (publié dans Le Monde du 3 mai 2019) pourquoi « l’avenir est au transport low-tech ». Nous souhaitons pointer l’incapacité ou du moins la difficulté de nos sociétés occidentales à changer de modèles et d’imaginaire. Par ailleurs, dans notre lettre à Thomas Pesquet publiée le 25 juin 2019 en tribune de Libération, nous demandons à l’astronaute de se prononcer contre le tourisme spatial, car, comme il l’a déclaré, il n’y a pas de «Plan B» face à l’urgence climatique.

Longtemps l’alerte écologique n’a pas été prise au sérieux. Maintenant que la crise prend la forme d’une catastrophe environnementale, nous devons plus que jamais dénoncer les injonctions contradictoires : « sauver la planète » des dévastations croissantes, mais maintenir le « business as usual » qui les engendrent et les justifient ; sortir des énergies fossiles, mais déployer des technologies qui surexploitent les ressources minérales ; prétendre lutter contre l’artificialisation des sols, mais multiplier les grands projets ; interdire le glyphosate, mais le remplacer par d’autres pesticides qui poseront à leur tour problème et maintenir le modèle agricole industriel dont ils sont le symptôme...

Comment allez-vous vous y prendre pour être entendus ?

Manifeste, tribunes et autres « lettres à… » publiés dans les médias nationaux et régionaux, interventions académiques, participation à des débats publics, formations bientôt… nous avançons pas à pas. Dans le but de contribuer à un mouvement de fond co-construit avec les citoyennes et les citoyens, avec l’espoir d’amener la société vers un nouveau modèle. Car on ne peut pas protéger l’environnement sans remettre profondément en cause certains de nos fonctionnements sociaux, économiques, techniques, culturels, qui sont à la racine même de l’impasse écologique actuelle.

Fort de son succès, notre séminaire interdisciplinaire d’écologie politique, soutenu par le Labex SMS (Structuration des mondes sociaux) et ouvert au grand public, sera reconnu dès la rentrée prochaine par l’École des docteurs de Toulouse. Nous souhaitons aussi renforcer nos échanges avec les collègues de l’Éducation nationale et approfondir les liens déjà établis avec les associations, les collectifs étudiants, et certains acteurs du territoire… avec qui nous serons évidemment lors de la prochaine grande mobilisation pour le climat du 20 septembre prochain.

Militantisme et démarche scientifique sont-ils compatibles ? L’injonction de tenir un discours scientifiquement neutre vis-à-vis des enjeux de société est-elle périmée ?

Oui, l’épistémologie et la sociologie des sciences nous ont appris que cette prétendue neutralité est périmée, car elle est impossible. Les sciences sociales ont intégré cela depuis longtemps. Mais attention, cela ne veut pas dire qu’on peut dire n’importe quoi, ni surtout que tout se vaut.

La démarche scientifique a des impératifs méthodologiques : nous sommes tenus à la rigueur logique, à l’exactitude des connaissances, à fonder nos méthodologies et notre argumentation, etc. Mais nous ne saurions chercher en étant coupés du monde, surtout pas dans la situation présente ! Les savoirs sont liés aux enjeux de leur temps ; ils sont en mouvement permanent.

Il est toujours nécessaire de questionner la part d’idéologie qui préside aux orientations données à la recherche ; et imaginer des façons de renouveler l’articulation du milieu académique et de la société civile. Une forme de militantisme, évidemment non partisan, est non seulement compatible avec la science mais nous pensons qu’elle est une obligation morale.

Est-il facile de rendre plus écologique l’activité de recherche ? Vous est-il possible de prendre moins l’avion, sans mettre à mal votre carrière ?

Changer de modèle implique évidemment des choix. Certains peuvent parfois s’apparenter à des deuils mais nous y voyons surtout des opportunités de retrouver plus de simplicité, de convivialité, de curiosité, de proximité.

L’avion est un sujet épineux qui touche aux besoins d’échanges liés à nos métiers, mais aussi à un désir de mobilité grande distance fortement valorisé. Cela oblige à ne pas incriminer d’abord les choix individuels, mais à exiger que les cadres institutionnels changent pour que la multiplication des déplacements ne soit plus un critère de recrutement ou d’évaluation des carrières et des projets. Nous participons pour cela aux initiatives nationales du collectif Labo 1.5, et nous avons animé ce printemps deux « forums de la recherche » pour réfléchir à ces questions avec l’ensemble des collègues toulousains intéressés.

Dès nos premiers échanges au sein de l’Atécopol, nous avons voulu questionner notre milieu, celui de la recherche et de l’univers académique. Quelle est son empreinte écologique directe (bilan carbone, etc.), mais aussi plus largement, quels sont ses effets sur les trajectoires de nos sociétés et le façonnage du monde ?

MSHS-T : Maison des sciences de l’homme et de la société de Toulouse (CNRS, Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées)