L’agriculture urbaine pour des villes plus fertiles et durables ?
Poulaillers urbains, jardins collectifs et zones hybride d’habitations et de maraichage... Les projets d’agriculture urbaine engagent les acteurs de la société et mettent sur le devant de la scène la production alimentaire locale, les pratiques agroécologiques et l’économie circulaire. Jardiniers, étudiants et scientifiques se mobilisent autour de la vie des sols et de la qualité des légumes produits, notamment au sein du Réseau-Agriville. Zoom sur le protocole de science participative « Moutarde » qui en permettant une évaluation pragmatique de la qualité des sols peut éviter que la question des sols urbains pollués nous monte au nez !
Par Camille Dumat, chercheuse à l’Université Toulouse - Jean Jaurès et enseignante à Toulouse INP-ENSAT
L’agriculture urbaine, un vecteur de transitions écologiques ?
En 2050, deux personnes sur trois vivront en zones urbaines. Un mouvement d'urbanisation galopant est observé : entre 1985 et 2015, chaque année, près de 10.000 km2 de terre ont été investis par la ville dans le monde, selon une étude basée sur des images satellites. Cette croissance urbaine accélérée fait peser des pressions sur l'environnement, les sols, eaux et l’air, ainsi que sur la santé publique.
Des solutions techniques et organisationnelles peuvent cependant favoriser la durabilité des villes : c’est le cas de l’agriculture urbaine (AU). Elle permet en effet une production alimentaire locale et souvent labellisée agriculture biologique (AB). Elle apparait aussi comme un vecteur d’écologisation des pratiques, c’est-à-dire une prise en compte de la dimension environnementale dans les différents secteurs d’activités anthropiques (réalisées par et pour les humains) : amélioration de la qualité des sols et biodiversité, économie circulaire durable pour valoriser les déchets organiques, sensibilisation large de la société pour une production alimentaire durable….
La production maraîchère locale : un atout des collectivités pour l’alimentation durable !
Le pôle d'équilibre territorial et rural (PETR) du pays Tolosan soutient l’émergence de nouveaux projets alimentaires sur des parcelles (péri)urbaines, dans une logique de transformation de l’agriculture du territoire face au changement climatique, d’accompagnement de la restauration collective, d’accessibilité à l’alimentation durable et de renforcement de la cohésion territoriale.
Pour exemple, le « Prodistribio » vise à expérimenter des pratiques agroécologiques, accompagner et former les agriculteurs pour co-construire une filière locale de production et de commercialisation en proximité de légumes bio en demi-gros. Piloté par le lycée agricole de Ondes, il est soutenu depuis 2020 par le programme national d’enseignement agricole au service des transitions agroécologiques, et implique de nombreux acteurs complémentaires de la production à la formation en passant par la société, la recherche et les politiques publiques.
Ce projet de recherche sociotechnique s'appuie sur trois sites d’agriculture urbaine : une parcelle de l’exploitation du lycée agricole à Ondes en conversion AB, une « ferme-pilote légumière » AB, propriété de l’association paysanne « Terre de Liens » à Villemur-sur-Tarn, un chantier d'insertion « Jardin de Cocagne » sur des terres municipales et une serre expérimentale « high tech » en centre-ville de Fenouillet.
L’attention portée à la qualité du sol par les différents acteurs engagés est étudiée à travers la co-construction de procédures d’évaluation de cette qualité et des outils de communication sur les pratiques agroécologiques. Par la co-construction et la diffusion de retours d’expérience et autres ressources pédagogiques réalisées sur le terrain, ce projet favorise volontairement le développement des compétences agroécologiques en intelligence collective et la constitution d’un réseau en Occitanie, et aussi plus largement grâce au Réseau-Agriville, un réseau international d'innovations pédagogiques et de recherches participatives pour les agricultures urbaines (France, Maroc, Gabon, Pakistan...).
Des films pédagogiques ont notamment été réalisés sur le terrain avec les apprenants, postés sur YouTube et diffusés dans les différents réseaux :
- L'importance des pratiques agroécologiques (Villemur/Tarn en 2021)
- L'importance de la vie du sol en agroécologie (Villemur/Tarn en 2021)
- Les leviers et verrous de la transition agroécologique (Ondes en 2021)
- Les stratégies pour cultiver bio et local dans une serre de pleine terre (Fenouillet en 2021)
L’agriculture urbaine : une activité sensible à raisonner pour éviter les risques sanitaires !
Des pollutions de sols sont cependant couramment observées en zones urbaines (en raison des émissions industrielles, des transports...) et peuvent devenir des vecteurs d’exposition à divers éléments métalliques toxiques et persistants dans l’environnement : plomb, cadmium, arsenic, cuivre... De plus, les perturbations climatiques peuvent favoriser la dispersion des polluants dans l’environnement (transferts accentués lors de fortes pluies et/ou vents forts) et donc augmenter l’exposition humaine.
Or, les jardins collectifs urbains se développent très rapidement sous la pression de l’espace public qui souhaite renouer avec la nature en ville pour profiter de ses bienfaits : activité concrète de production alimentaire, fraicheur, beauté des paysages, liens sociaux...
Il est donc crucial d’anticiper et de faire face de façon raisonnée, interdisciplinaire (agronomie, environnement, sociologie...) et collective (citoyens, élus, chercheurs…) aux problèmes liés aux conflits d’usages des sols et à leur qualité. C’est pourquoi, afin de protéger la santé humaine et environnementale, les organismes gestionnaires des risques Santé-Environnement (en France : Ademe, ANSES, ARS, SPF...) renforcent les études scientifiques sur les territoires, les mesures de gestion et dispositifs « garde-fou » (réduction à le source, immobilisation des polluants...).
En particulier, la communication et l’implication des populations dans la réduction de l’exposition aux polluants est cruciale ! C’est ainsi que les sciences participatives se développent, engageant dans les projets d’AU des chercheurs, citoyens, élus, entreprises (par le biais de la RSE - responsabilité sociétale des entreprises) qui souhaitent mobiliser et développer des connaissances et méthodes scientifiques interdisciplinaires, afin d’agir en connaissance de cause pour profiter et participer à une ville plus saine, plus inclusive pour les humains et non humains et in fine plus résiliente.
Co-construire des protocoles pour évaluer la santé des sols et des outils de communication, tels que des retours d’expérience, autour de la qualité des sols et des productions alimentaires dans les sites d’AU est un enjeu crucial afin d’aborder de façon rationnelle et pragmatique les éventuelles questions de pollutions : Quel est l’historique des usages du site ? Quels transferts et toxicités des substances chimiques sont possibles ? Quelles sont les pratiques de jardinage adaptées pour améliorer la santé humaine et des écosystèmes ? C’est ainsi que chercheurs, apprenants, jardiniers et maraichers se sont rassemblés au sein du Réseau-Agriville pour partager à l’international des informations, co-construire et utiliser sur le terrain des protocoles dans les jardins collectifs ou familiaux.
Le protocole « Moutarde » : une expérimentation citoyenne pour comprendre les potentiels risques sanitaires dans les jardins et surtout les éviter !
« Un homme averti en vaut deux », c’est pourquoi, en octobre 2021, le protocole « Moutarde » a été lancé pour évaluer avec les jardiniers la qualité environnementale des sols destinés à une production alimentaire. Au casting de la plante « serviable » pour améliorer la fertilité des sols cultivés, la moutarde coche de multiples cases :
- Phytoextraction, car elle absorbe et concentre dans ses parties aériennes (tige, bourgeons, feuilles, fleurs et fruits) certains polluants métalliques présents dans les sols, comme l’arsenic ou le plomb. Et elle est couramment utilisée en « phytoremédiation » (décontamination et assainissement) des sols pollués,
- Bioindicateur, car l’analyse de sa composition témoigne de la qualité du sol,
- Plante de services pour la fertilité des sols et la biodiversité : la moutarde est en effet une plante engrais vert couramment utilisée en agroécologie pour favoriser la fertilité des sols.
Quatre étapes réunissent jardiniers et scientifiques : semer les graines de moutarde, récolter les parties aériennes, rincer et laisser sécher. Dernière étape en laboratoire : préparer et analyser les échantillons. Cette expérimentation participative « Moutarde » favorise les échanges avec les jardiniers concernant leurs perception et gestion autonome et éclairée des risques potentiels liés aux pollutions environnementales. Elle fera l’objet de retours d’expériences.
Ce protocole imaginé en 2018 pour répondre aux interrogations des collectivités en France, lors d’une formation à Chaumont/Loire, est désormais développée dans le cadre de différents projets scientifiques participatifs en Occitanie avec des jardiniers, sur différents sites où des questions de pollutions se posent ; par exemple à Conques sur Orbiel ou à Castanet-Tolosan.
Prendre soin des sols et profiter des services écosystémiques
Les sols vivants et fertiles (non pollués, ni tassés) permettent la biodégradation des matières organiques (transformées en minéraux pour l’alimentation des plantes), le stockage de l’eau ou du carbone, la production de denrées alimentaires saines, etc. fournissant ainsi de nombreux services écosystémiques. Les pratiques agroécologiques préservent ou revitalisent les sols et favorisent la biodiversité avec la présence de pollinisateurs, oiseaux, hérissons... Certains sont des auxiliaires des agriculteurs et jardiniers. Elles sont soutenues par la loi Labbé depuis 2014, qui limite l’usage des produits phytopharmaceutiques (à l’exception des produits de biocontrôle, à faible risque) dans les jardins, espaces verts et infrastructures.
Une agriculture tout-terrain : des sous-sols aux toits d’immeubles
La forme que prend l’agriculture urbaine n’est pas normée, elle s’adapte au contexte (contraintes spatiales, usages des terres, qualité des écosystèmes) et valorise des espaces et des dynamiques sociales. Elle redynamise les ceintures maraichères en créant des interactions et transitions entre les espaces ruraux et urbains. Ainsi les sites d’agriculture urbaine (toits, friches, sous-sols, parkings…) et les modes de production sont multiples (hydroponie, aquaponie, cultures verticales, pleine terre, élevages...).
Au-delà de sa fonction de production, l’AU restaure la biodiversité des villes par la création de corridors écologiques et d’habitats refuges pour la faune et la flore. Ce type d’agriculture induit une réduction de l’empreinte écologique grâce aux circuits courts et la promotion de l’économie circulaire : transformations des matières organiques en composts ou énergie ; « technosols » fabriqués en ville à partir des déchets inorganiques, comme le béton, et organiques, comme la tonte des espaces verts, qui peuvent ensuite servir de supports de cultures.
En lien avec la variété des projets, les parties prenantes des projets d’agriculture urbaine sont multiples : citoyens, agriculteurs, collectivités locales, entreprises et associations. Ce mode d’agriculture s’intègre donc aux dynamiques de transition écologique par le biais de l’alimentation durable, la santé environnementale et l’éducation à l’environnement avec l’accueil des enfants sur différents sites d’AU pour cultiver et récolter des légumes, observer les sols et la biodiversité.
Le Réseau-Agriville par ses projets d’innovation pédagogiques et de recherche soutient cet objectif d’intelligence collective pour développer des actions en faveur du bon usage des sols, de la santé humaine et des écosystèmes !
Pour aller plus loin
Camille DUMAT & Olivier BORIES. 2021. 12 repères clés pour (se) former à l'agriculture urbaine. Editions Educagri, Collection Approches, 137 pages.