Le nouveau visage des « seniors »

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Cultures・Sociétés

Le nouveau visage des « seniors »

Dessin de Fiamma Luzzati
Dessin de Fiamma Luzzati

Les personnes âgées d’aujourd’hui ressemblent peu à celles d’hier. Leur mode de vie, d’habitat, leur parcours de santé sont très divers et en constante évolution. C’est ce qu’indiquent plusieurs études réalisées par des chercheuses de l’Université Toulouse - Jean Jaurès et l’Université Toulouse Capitole.

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VIEILLIR sans être vieux

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Par Carina Louart, journaliste scientifique.

En France, passé 60 ans, nous entrons dans la catégorie des " personnes âgées ". Ce critère chronologique (établi en 1982) permet à l’État de cibler ses politiques publiques, notamment l’âge du passage à la retraite.

« Mais il relève d’une construction sociale. L’état de santé physique et psychique et l’aptitude à mener une vie relativement indépendante sont beaucoup plus déterminants pour définir la vieillesse »

souligne la sociologue Marina Casula.

Un point de vue partagé par Anastasia Meidani, pour qui cette question doit être abordée « en tenant compte des différentes figures du vieillir, mais aussi des disparités de situations et de trajectoire de vie. Les avantages et les acquis durant la vie active continuent de se manifester au cours du vieillissement. Les inégalités ne s’effacent pas par magie en vieillissant ».

Les premiers résultats confirment l'hétérogénéité des profils

C’est pour rendre compte de la diversité des expériences du vieillissement qu’une vaste étude pluridisciplinaire longitudinale baptisée APROVICO (pour Analyse du PROcessus de VIeillissement par la méthode des COhortes) a été lancée en avril 2014 dans le cadre du LabEx Structuration des mondes sociaux (SMS) sous la direction de Michel Grossetti, directeur du LabEx, d’Anastasia Meidani et d’Alice Rouyer. Elle vise à suivre sur une période de 4 ans (en deux vagues d’enquête) un échantillon de 470 personnes résidant en Midi-Pyrénées, réparties en trois classes d’âge : les 60-75 ans, les 75-90 ans et les plus de 90 ans. L’enquête s’est déroulée à Toulouse (centre-ville et quartier Empalot) et sa périphérie (L’Union, Ramonville), à Cahors, à Rodez et dans des villages ariégeois et aveyronnais La recherche porte sur trois domaines : habitat et mobilité, santé et autonomie, réseaux de sociabilité et aide, auxquels s’ajoute un axe transversal autour des inégalités sociales.

Les premiers résultats confirment l’hétérogénéité des profils « et mettent à bas le modèle gériatrique dominant et typiquement français selon lequel la vieillesse serait synonyme d’immobilité, de déficit, et plus largement de dépendance », relève Anastasia Meidani. Pas moins de 83,8 % des personnes interrogées s’estiment en bonne santé et ils ne sont que 5 % à bénéficier de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Parmi ces personnes, on retrouve essentiellement des femmes de plus de 75 ans, pour la plupart veuves aux revenus modestes du fait de leur ancien statut de femme au foyer. « Mais avec la hausse du taux d’activité des femmes, les plus jeunes de nos aînées ont intégré les principes féministes et se montrent plus indépendantes et plus engagées dans la vie sociale et associative ; les plus favorisées délèguent même les soins de santé apportés au mari ou à des parents, ce qui était inconcevable pour leurs aînées ! » constate Anastasia Meidani.

En termes de logement, l’étude révèle aussi de fortes disparités. Près de 20 % des personnes âgées – essentiellement celles ayant des revenus modestes – sont locataires, et ce taux s’accroît avec l’âge. « Dans les quartiers populaires, être locataire est parfois associé au veuvage, à un niveau d’instruction et à un réseau relationnel faibles, voire à un parcours de santé fragile », souligne Alice Rouyer, responsable du volet habitat et mobilité de l’étude. À l’inverse, 70,7 % sont propriétaires, dont 34,9 % d’au moins une autre résidence.

À l’image de l’ensemble de la société, la mobilité résidentielle des seniors a aussi fortement augmenté. Mais à partir de 80 ans, ils deviennent sédentaires et réduisent leurs déplacements.

« La ville devient alors une barrière à la mobilité. Sortir de chez soi constitue une prise de risque telle que le territoire de vie n’excède pas les 500 mètres autour du domicile »

constate Marina Casula.

Face à ce problème récurrent et à l’arrivée massive des baby-boomers, les pouvoirs publics se mobilisent désormais pour intégrer le vieillissement aux programmes d’habitat et d’aménagement urbain. Des " living-labs santé-autonomie " (structures d’innovation associant personnes âgées, acteurs du monde économique, de la santé et chercheurs) se multiplient dans les métropoles. L’enjeu ? Favoriser le maintien à domicile en inventant de nouveaux concepts d’habitat. Cela passe par la création d’îlots intergénérationnels, de résidences seniors proposant des services mutualisés, « mais surtout par des logements adaptés à mi-chemin entre l’EHPAD et le logement ordinaire », souligne Alice Rouyer, co-auteure avec Marina Casula d’une étude sur les living-labs. Le recours aux " gérontechnologies " fait partie des solutions.

« L’enjeu est bien sûr médical mais il est aussi économique, car ces logements high-tech ciblent les nouvelles générations plus technophiles et habituées à s’adapter à des environnements technologiques changeants »

poursuit Alice Rouyer.

L’étude APROVICO révèle que 70 % des plus de 60 ans possèdent aujourd’hui un ordinateur et près de la moitié l’utilisent souvent pour surfer sur Internet. La " silver-économie " a de beaux jours devant elle.

Une maison très smart !

Capteurs de mouvement, chemin lumineux, lavabo et évier motorisés, objets communicants, station de e-santé sont quelques-uns des dispositifs proposés par ces deux pièces de 80 m2 baptisé " maison intelligente de Blagnac ". Situé sur le campus de l’IUT, cette plate-forme expérimentale associe enseignants, industriels et chercheurs en sciences techniques (électronique, informatique, réseaux) et en sciences humaines et sociales.

« Cet outil nous permet d’imaginer des systèmes sociotechniques innovants pour permettre le maintien à domicile des personnes âgées. Mais c’est aussi un concept d’habitat évolutif, c’est-à-dire pré-équipé de manière à intégrer, si besoin, des dispositifs d’assistance ou de télésurveillance médicales »

précise Éric Campo, responsable scientifique du projet de la "Maison intelligente de Blagnac".

Après 5 ans d’existence, la plate-forme passe à la phase évaluation. Une étude auprès de 150 volontaires âgés de plus de 60 ans est en cours. Objectif : observer la manière dont ceux-ci occupent la maison, utilisent ses différents équipements et s’approprient les technologies numériques. Résultats attendus fin 2016.

 

Marina Casula est sociologue à l’Université Toulouse Capitole, rattachée à l’Institut du droit de l’espace, des territoires et de la communication (IDETCOM).

Anastasia Meidani est sociologue au LISST-CERS à l’Université Toulouse - Jean Jaurès (CERS – Centre d’études des rationalités et des savoirs, LISST - Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires – CNRS, EHESS, ENSFEA, Université Toulouse - Jean Jaurès) . Chercheuse associée à l’Inserm UMR 1027.

Alice Rouyer est sociologue au LISST-CIEU  (CIEU - Centre interdisciplinaire d’études urbaines, LISST - Laboratoire interdisciplinaire, solidarités, sociétés, territoires - Université Toulouse - Jean Jaurès, ENSFEA, EHESS, CNRS).

Éric Campo est enseignant à l’Université Toulouse - Jean Jaurès, rattaché au LAAS-CNRS – Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes – CNRS.