L’IA, un outil pour une mobilité propre ?
De la voiture à l’avion en passant par le train, les transports de demain auront intégré des algorithmes d’IA pour répondre à de multiples fonctions. Ces outils contribueront-ils à réduire l’empreinte écologique de ce secteur significativement contributeur du réchauffement climatique ? Une question posée conjointement à Daniel Delahaye, qui dirige l’équipe Optimisation et machine learning à l’ENAC et à Olivier Lefebvre, philosophe de la technique.
Par Valérie Ravinet, journaliste. Podcast enregistré en juin 2021 à Toulouse.
Morceaux choisis
Les chiffres à retenir pour évaluer l’impact du transport aérien sur l’environnement
Daniel Delahaye : « Le trafic aérien n’est en effet pas un contributeur majeur en termes d’émission de C02 ; en revanche, les trainées de condensation, appelées contrails, retiennent le rayonnement pendant 90 minutes au maximum et sont critiques concernant le réchauffement climatique pendant cette période ».
Olivier Lefebvre : « Il faut distinguer l’effet CO2 et celui des forçages radiatifs, supérieurs au CO2. Le professeur David Lee, spécialisé en sciences de l’atmosphère à l’Université métropolitaine de Manchester a récemment publié une étude qui fait référence. L’impact global du transport aérien sur le réchauffement climatique serait de l’ordre de 5,5%, dont 2,4% imputable au CO2.
Vous avez dit technique ?
DD : « Nos travaux portent sur la réalisation d’outils d’aide aux contrôleurs aériens et aux pilotes pour diminuer la consommation de kérosène : limiter les rallongements de trajectoires ou donner aux pilotes les bons niveaux d’altitude pour éviter la formation des trainées de condensation par exemple. Il s’agit d’optimiser les opérations aériennes pour rendre le ciel plus sûr et diminuer l’impact du trafic aérien sur l’environnement. L’intelligence artificielle est l’un des outils d’aide que nous utilisons ».
OL : « Mon travail s’inscrit dans un courant de théories critiques ; il s’agit de porter un regard lucide sur les effets sociaux de la technique et de comprendre les moteurs du développement technologique. Nous obéissons à des dépendances de trajectoires techniques qui rendent difficiles les changements de paradigme pour relever les défis écologiques. C’est ainsi que l’on envisage de mettre la technique au service d’un transport aérien plus propre, dans une logique de croissance de transport aérien, sans se poser la question de la diminution du trafic passagers »
Les progrès techniques pour l’aérien sont-ils au service du climat ?
DD : « la propulsion à hydrogène tel qu’imaginée par Airbus pour son avion vert doit d’abord faire l’objet d’un saut technologique. Et à ce stade, on ne mesure pas le coût écologique de la production d’hydrogène. Cela fait partie des questions actuelles. On peut aussi penser à des modes de transports moins émissifs pour les courts et moyens courriers, et réserver l’avion aux longs courriers ».
OL : « L’hydrogène est une ressource non carbonée, de même que les agrocarburants. Mais il faudra établir des règles de partage entre les différents secteurs et ne pas réserver ces carburants au seul transport aérien ».
Les véhicules autonomes (voiture, train, bus et même avion) participent-ils de la transition écologique ?
OL : « L’éco-conception, qui vise la réduction de l’empreinte écologique des objets que l’on fabrique, n’est pas à la base des intentions concernant le développement des véhicules autonomes. Les questions environnementales viennent a posteriori, pour motiver le but premier : augmenter la productivité ».
DD : « La question première à se poser concernant l’autonomie, c’est celle de la sécurité ; ce sont les aspects dont nous nous préoccupons aujourd’hui. Dans ce contexte, les outils d’intelligence artificielle sont aujourd’hui pensés comme des aides à la décision pour améliorer les performances des opérations, y compris en terme environnemental ».
L’IA peut-elle être utile pour un transport multimodal plus vert ?
DD : « Les recherches pour imaginer des évolutions dans les choix de transports et leurs coordinations sont récentes. Les outils d’IA y trouvent leur utilité. Par exemple, assurer la transmission d’informations pour éviter de faire décoller des avions à vide parce que des passagers ont été retenus dans des embouteillages ou à cause de panne de transport en commun. Ce système d’interconnexion semble pertinent pour coordonner l’ensemble des transports et réduire les temps de transit de porte à porte ».
OL : « Ces évolutions vont-elles suffire à réduire de 80% les émissions de CO2, qui constituent le défi auquel nous sommes confrontés ? C’est la question que je me pose ».
La dimension écologique est-elle prise en compte dans les nouveaux métiers ?
OL : « un mouvement de transformation est enclenché, pour se former aux nouvelles technologies mais aussi apporter réponse à l’attente des étudiants ingénieurs conscients des enjeux environnementaux ».
DD : « la prise en compte de la dimension environnementale est aujourd’hui une réalité à l’ENAC, dans un mouvement qui s’amplifie. »
À propos des intervenants
Daniel Delahaye est professeur à l’ENAC, et dirige l’équipe de recherche Optimisation et Machine Learning du laboratoire de l’école. Il est titulaire de la chaire « IA pour la gestion du trafic aérien et mobilité urbaine à grande échelle » de l’institut interdisciplinaire d’intelligence artificielle de Toulouse, ANITI.
Olivier Lefebvre est docteur en robotique et intelligence artificielle et diplômé en philosophie. Après plusieurs années professionnelles au sein de service Recherche et développement en entreprises, il enseigne aujourd’hui la philosophie de la technique dans plusieurs écoles d’ingénieurs et est membre de l’Atelier d’écologie politique Atécopol.
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À propos d’Investiga’Sciences
Investiga’Sciences est une série de podcasts scientifiques, dont l’objectif est d’explorer un sujet avec deux experts, dans un débat au long cours. Chaque épisode est dédié à un thème et croise les regards et les expériences pour comprendre ses enjeux, ses défis, ses perspectives. Créé par la journaliste Valérie Ravinet, ce projet est soutenu par ANITI et l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées. Ont contribué à la réalisation de cet épisode : le dessinateur Ström pour le visuel, le Studio du Cerisier pour la prise de son et le jingle.