Femmes & Sciences : l’engagement de la physicienne Nadine Halberstadt
Dans le milieu très masculin de la physique moléculaire, Nadine Halberstadt conjugue son enthousiasme pour la recherche avec son engagement auprès des femmes scientifiques ou étudiantes en sciences. Rencontre avec cette physicienne-théoricienne et présidente de l’association Femmes & Sciences.
Par Julie Pelletanne. Publication de la série LA PAUSE ÉTUDIANTE, rédigée dans le cadre de l’atelier d’écriture du Master Culture et communication, parcours Médiations scientifiques, techniques et patrimoniales de l’Université Toulouse – Jean Jaurès, avec l’accompagnement pédagogique de Delphine Dupré, docteure en sciences de l’information et de la communication.
Chercheuse CNRS, Nadine Halberstadt fait partie des 27% de femmes présentes dans le milieu de la recherche en sciences fondamentales. Face à ce constat, elle décide d’œuvrer pour qu’un changement ait lieu. L’association Femmes & Sciences a pour objectifs principaux de promouvoir les carrières des femmes scientifiques, d’inciter les jeunes filles à s’engager dans des filières scientifiques et de constituer un réseau d’entraide pour toutes les femmes de ce milieu.
Intéressons-nous à cette femme qui n’a pas peur de mener de front des projets tant sur le plan professionnel que sur le plan militant.
Des débuts marqués par un sexisme ambiant
Nadine Halberstadt n’est pas de celles qui disaient « Moi petite, je rêvais d’être… ». Elle a suivi son chemin sans savoir dès le départ où celui-ci la mènerait. Il y a une chose dont la jeune femme de l’époque est sûre : elle a beau ne pas savoir exactement ce qu’elle veut faire, elle sait très bien ce qu’elle ne veut pas faire. Pas de biologie, pas de médecine. Puis, petit à petit, elle s’oriente vers les sciences dures. Curieuse, elle se pose des questions et veut comprendre comment fonctionne le monde : « La physique ne répond pas à toutes les questions mais à un certain nombre quand même », plaisante-elle.
En classe préparatoire, le nombre de filles et de garçons présents est révélateur des inégalités de genre : 4 filles pour 40 garçons. Nadine Halberstadt se souvient : « Les quelques fois où je venais habillée en jupe par exemple, il y a des garçons qui se mettaient à siffler ‘Ooh cuisse cuisse cuisse !’… ». Une manière pour les étudiants masculins de la renvoyer à sa place de fille ? De l’exclure, de lui faire comprendre qu’en tant que fille elle ne fait pas partie du groupe ? « Après ça, je réfléchissais à ma façon de m’habiller avant d’aller en cours ».
Encore aujourd’hui, le milieu des sciences dures reste peu accueillant pour les femmes. Quand les hommes doivent se concentrer sur leurs études et le contenu des cours, les femmes doivent en plus « se blinder » psychologiquement. Une demande supplémentaire en énergie qui peut finir par en décourager certaines…
Une accumulation d’inégalités qui débouche sur le plafond de verre
« Lorsque les garçons obtiennent de bons résultats, on dit qu’ils ont un très bon potentiel et on les pousse à s’améliorer. Des filles qui ont de bonnes notes, on dit qu’elles sont de bonnes élèves, mais qu’elles ont surement atteint leur maximum. »
Ces stéréotypes, qui concernent toutes les étapes de la vie scolaire jusqu’aux études supérieurs, entravent également la carrière des femmes scientifiques. Nadine Halberstadt a participé à de nombreuses conférences tout au long de son parcours. Déterminantes dans la carrière de tout scientifique, c’est le moment d’exposer ses recherches, ses résultats, ses interprétations et de se confronter à ses pairs.
« J’ai l’impression que les gens étaient non pas agressifs envers moi, mais qu’au contraire ils n’osaient pas me bousculer. Ils n’osaient pas me poser des vraies questions sur mes résultats Je n’étais pas poussée dans mes retranchements comme pouvaient l’être mes collègues masculins. »
analyse Nadine Halberstadt, chercheuse CNRS au Laboratoire Collision, agrégats, réactivité (LCAR - CNRS, Université Toulouse III Paul Sabatier)
Comme beaucoup de femmes, Nadine Halberstadt n’avait pas été sensibilisée aux problématiques relatives au genre : « En analysant a posteriori, j’ai bien été confrontée à des stéréotypes mais sauf qu’à ce moment-là je n’ai pas été capable de les identifier ». Les inégalités liées au genre se révèlent dans plusieurs types de situations. Les femmes semblent évincées de manière quasi-systématique. Dans le champ d’expertise des sciences physiques, lorsque les hommes organisent des conférences, ils ont tendance à s’inviter entre eux et à oublier leurs homologues féminines, qui travaillent pourtant sur les mêmes sujets de recherche… Nadine Halberstadt nous apprend également que ses collègues féminines sont moins sollicitées pour des prises de responsabilités, pour lancer leur propre programme de recherche, etc. En résulte un CV moins riche que leurs homologues masculins, moins d’expérience et moins de visibilité. « Du coup, quand on rentre en compétition pour les promotions, on passe derrière. »
Ce procédé a pour résultat que plus on grimpe dans la hiérarchie et les responsabilités, moins on retrouve de femmes. Mais cela n’est pas inhérent au domaine des sciences fondamentales. C’est un schéma que nous retrouvons dans presque tous les corps de métiers. C’est le fameux plafond de verre.
Un engagement pour sensibiliser le public et favoriser la carrière des femmes
La chercheuse nous raconte qu’en 2000 elle a lu une enquête menée par deux chercheuses suédoises qui montrait que les femmes devaient faire plus de recherches et présenter plus de résultats que les hommes pour obtenir un financement. Un état des lieux qui a fait écho à l’expérience de Nadine Halberstadt : « Un certain nombre d’observations que j’avais accumulées dans l’arrière de mon esprit ont ressurgi. Ça a été un électrochoc : certaines de mes difficultés n’étaient pas de ma faute à moi. Ce n’était pas forcément parce que je n’étais pas assez douée, ou que je ne faisais pas les choses qu’il fallait. C’était aussi parce que j’étais une femme ».
La même année, une association se créée sous l’impulsion de la professeure Claudine Hermann -par ailleurs première femme à enseigner à l’école polytechnique. Nadine Halberstadt la rejoint dès 2001, et une antenne toulousaine se forme avec notamment la chercheuse en biologie Dominique Morello, et Josette Coste, professeure agrégée de mathématiques. Le groupe met rapidement en place des projets d’interventions en milieu scolaire. L’objectif est de montrer aux jeunes élèves que oui, il existe des femmes scientifiques, et que non, ce n’est pas un domaine réservé aux hommes.
« Ce qui me tient à cœur, c’est de leur montrer que c’est possible. Il ne faut pas croire que les maths et la physique ne sont pas pour les filles. »
résume Nadine Halberstadt en une phrase.
Nadine Halberstadt se remémore une anecdote à ce sujet : « lors d’une intervention en milieu scolaire, je suis entrée dans la salle et ai posé mon sac sur la table. A ce moment-là, un élève s’est exclamé : « Oh mais madame vous êtes une femme normale, vous avez un sac à main ! » Je me suis dit « ah oui ça commence bien ». On se rend compte que l’intériorisation des stéréotypes de genre commence dès le plus jeune âge. » Peut-être que pour certains enfants, une scientifique n’est pas une femme normale. Mais après tout, qu’est-ce qu’une femme « normale » ?
Une recherche biaisée qui pèse sur la santé des femmes
La recherche scientifique a toujours été marquée par des disparités de genre importantes : recherches réalisées par des hommes, sur des sujets importants pour les hommes. En biologie par exemple, nombre de sujets concernant le corps des femmes ont été délaissés. Les posologies médicamenteuses sont-elles les mêmes pour les femmes que pour les hommes, qui sont considérés comme la norme ? Quels sont les symptômes de la crise cardiaque chez les femmes, dont on vient d’apprendre qu’ils étaient différents de ceux des hommes, et donc moins bien détectés ? Comment agir sur l’endométriose, qui touche 10% des femmes, causant douleurs chroniques et infertilité ? Les femmes s’intéressent statistiquement plus à la biologie, mais ce n’est pas sans raison. Pour certaines d’entre-elles, il s’agit de saisir ces problématiques qui concernent leur genre et qui ont été mises de côté par les hommes scientifiques.
Le démantèlement des clichés sur les genres revêt donc une importance capitale pour l’avancement, la qualité et la complétude des démarches de recherche. En montrant aux femmes qu’elles peuvent rejoindre des carrières scientifiques, cela pourrait permettre plus d’égalité dans la recherche et par conséquent dans la société.
Le futur de l’association Femmes & Sciences
« Il y a plein de choses extrêmement motivantes qui se passent à Femmes & Sciences. »
Malgré un emploi du temps professionnel bien rempli, Nadine Halberstadt affirme que mener à bien des projets pour l’association Femmes & Sciences reste un plaisir. En prévision : la réalisation de vidéos pour présenter l’association, des ateliers sur les stéréotypes en collaboration avec le Quai des savoirs, création d’une formation pour les universités… L’un des projet phare reste « La Science taille XX elles ». Une exposition nationale de photographie en partenariat avec le CNRS qui place les femmes scientifiques sur le devant de la scène.
La scientifique nous confie également qu’il est nécessaire de se pencher sur des questions de vocabulaire, qui selon elle ont toute leur importance, notamment l’écriture inclusive : « Il faut se rappeler qu’il y a des femmes et des hommes dans la société, et donc rédiger les textes en conséquence ». Si l’on dit aux petites filles qu’il n’y a que des « chercheurs », comment pourraient-elles imaginer devenir des chercheuses ? Il faut que les jeunes filles et les jeunes femmes puissent s’identifier et se reconnaître dans ce type de métier. Le domaine des sciences fondamentales n’est pas déconnecté du reste de la société. Si l’écriture invisibilise les femmes, cela engendre inévitablement des répercussions dans le milieu des sciences dures.
Même si l’on compte un certain nombre d’hommes parmi les adhérent.es de Femmes & Sciences (environ 10% selon Nadine Halberstadt), il lui arrive de regretter le manque de proactivité d’autres de ses collègues masculins : « ils sont d’accord pour dire qu’il y a un problème mais ils ne vont pas mettre en place des actions pour le régler ». Les hommes pourraient penser que la responsabilité d’inciter les jeunes filles à briguer des carrières scientifiques revient aux femmes. Nadine Halberstadt ne souscrit pas à ce point de vue : « C’est le problème de tout le monde, et non pas juste le problème des femmes. Tout le monde doit agir à son échelle. Les femmes ne doivent pas être les seules à œuvrer pour que toute la société évolue ».
Pour clore notre entretien, nous demandons à Nadine Halberstadt ce qu’elle voudrait dire aux filles qui envisagent une carrière en sciences dures ou aux femmes qui subissent des injustices liées à leur genre :
« Vous n’êtes pas seule, essayez toujours de vous raccrocher à quelque chose qui vous tire vers le haut. Si vous en avez besoin, demandez de l’aide : à vos professeur.es, à des collègues, et sinon il faut aller vers les associations. Venir nous voir à Femmes & Sciences. Si on peut vous aider on le fera bien sûr. Il faut chercher la positivité. Rappelez-vous que vous n’êtes pas moins capable ou moins légitime qu’un homme. »
Référence bibliographique
- Anne Dafflon Nouvelle, Filles-garçons – Socialisation différenciée, 2006, PUG.
Extrait « Les filles appliquées et ordonnées devraient leur réussite scolaire à leur travail et leur échec à leurs aptitudes insuffisantes, tandis que les garçons échouent par leur paresse mais réussissent par leur talent. Ces normes sont petit à petit intégrées et peuvent expliquer le manque de confiance des adolescentes et le maintien de représentations stéréotypées comme celle stipulant que les filles sont moins bonnes en sciences, qui peuvent affecter les performances scolaires. »