Comment l’agriculture de conservation peut améliorer la qualité des sols ?

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Terre・Espace

Comment l’agriculture de conservation peut améliorer la qualité des sols ?

mains posées sur un sol cultivé, une terre cultivée avec salades

Qu’est-ce qu’un sol de qualité ? Quels sont aujourd’hui les principaux leviers pour pallier l’appauvrissement et l’érosion des terres agricoles ? L’agriculture « régénérative » plante les graines de nouveaux modes plus durables de travail des sols. Enquête auprès des scientifiques du centre Occitanie-Toulouse de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE).

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Une TERRE, des SOLS

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Par Fleur Olagnier, journaliste

 

Des machines et des outils agricoles toujours plus lourds et qui travaillent profondément, souvent jusqu’à 25 à 30 centimètres, perturbent l’écosystème souterrain. La terre manipulée à outrance est trop aérée, elle s’assèche plus vite, et le travail des bactéries et champignons qui s’y trouvent est perturbé. Ainsi, les méthodes de l’agriculture intensive détériorent la qualité des sols.

Les scientifiques du centre de recherche INRAE Occitanie-Toulouse travaillent sur les transitions vers une agriculture plus écologique : l’agroécologie. Le concept d’agriculture « simplifiée », par la suite appelée agriculture « de conservation » et de plus en plus aujourd’hui agriculture « régénérative », est né à la fin des années 1990. Cette nouvelle méthode d’exploitation des terres a pour ambition de maximiser la qualité des sols. 

« L’agriculture de conservation est basée sur trois principes étroitement liés : la réduction du travail du sol, la couverture du sol pour un maximum de biomasse produite et restituée, ainsi qu’une rotation diversifiée des plantes », décrypte Lionel Alletto, directeur de recherche en agronomie systémique au centre INRAE Occitanie-Toulouse et spécialiste des effets des pratiques agroécologiques, en particulier sur le fonctionnement du sol. « Au sein du laboratoire Agroécologie, innovations et territoires (AGIR), nous réfléchissons à la manière la plus pertinente de combiner ces trois leviers. » 

Un sol de qualité est un sol fertile

La rotation diversifiée des plantes consiste à alterner des cultures destinées à être récoltées et des cultures dites « de service ». La culture de service permet de diminuer les bioagresseurs (maladies, ravageurs…), afin d’utiliser moins d’intrants chimiques dans les sols, notamment de pesticides. Elle a également le pouvoir de régénérer la terre et donc de restaurer la matière organique.

Mais qu’est-ce qu’un « sol de qualité » ? « La qualité globale d’un sol, du point de vue agricole, est une vraie question », poursuit Lionel Alletto. « Un sol est un élément complexe, avec des propriétés physiques, chimiques et biologiques en constante interaction. Si cette interaction est positive et produit une grande diversité de services écosystémiques, on parle de sol fertile. Il existe même aujourd’hui des cabinets spécialement dédiés à la notation des terres ! »

Dans un premier temps, la qualité du sol est liée à sa nature intrinsèque. « Un sol de la plaine de la Beauce par exemple est considéré comme plus fertile qu’un sol des Causses du Quercy, car il est plus profond avec moins de cailloux. Il retient donc mieux l’eau et il est plus simple à travailler », détaille le directeur de recherche.

La structure du sol est également importante car un milieu plus poreux avec des mottes est plus meuble : l’eau y pénètre bien, les racines descendent plus facilement en profondeur et les micro-organismes s'y développent plus vite.

La matière organique, un élément essentiel

« Toutefois, la clef de voûte d’un sol de qualité demeure principalement la matière organique qu’il contient », appuie Lionel Alletto. « De façon un peu simplifiée, on peut considérer que plus un sol agricole est riche en carbone et donc en matière organique, plus il est fertile. » Les ressources en matières organiques sont multiples : résidus de cultures, composts ou fumiers par exemple.

Une fois restituées au champ, elles sont consommées par les micro-organismes (bactéries, champignons…). Cela libère des éléments que les plantes peuvent absorber tels que l’azote, le magnésium, le potassium… « Lorsque la plante meurt, elle redevient cette matière organique de départ, et cela constitue un véritable cercle vertueux d’activité microbiologique. » 

Cette activité microbiologique permise par la matière organique contribue notamment à stabiliser les particules minérales du sol par la production de « colles », telles que la glomaline. Ainsi stabilisé et donc structuré, le sol a une meilleure capacité à retenir l’eau et à nourrir les plantes, et résiste mieux au phénomène d’érosion en cas de fortes pluies. Dans le cadre de la lutte contre la déstructuration, l'érosion et l’appauvrissement des sols, les chercheurs INRAE réfléchissent à des méthodes pour favoriser la présence de carbone et donc de matière organique dans les sols.

« Aujourd’hui, la réintroduction de matière organique dans les sols est l’objectif principal des trois piliers cités précédemment. C’est un défi car cette réintroduction dépend souvent de l’élevage qui tend à décroître au niveau national », souligne Lionel Alletto. « Manger moins de viande, se tourner vers des protéines végétales… Ces tendances populaires aujourd’hui résultent des excès liés à l’élevage intensif. Cette pratique a généré des dégradations environnementales telles que l’excès de nitrate dans les eaux. Elle renvoie une image de non-respect du bien-être animal et contribue au changement climatique à travers les émissions de méthane. »

Mais tous les élevages ne sont pas intensifs, et pour être améliorée, la qualité des sols nécessite bien une corrélation avec les animaux. En effet, les recherches d’INRAE indiquent que les élevages bovins et ovins sont à l’origine d’effluents organiques qui peuvent apporter à la terre la matière organique dont elle a besoin. Ces substances permettent, le plus souvent, d’installer des prairies permanentes ou temporaires à l’origine d’un stockage de matière organique, en complément d’autres services écosystémiques. La piste d’élevages plus raisonnés et respectueux de l’environnement est donc bien à considérer comme un levier de transition agroécologique.

Valoriser (tous) les déchets

Les prairies maintenues ou réintroduites par des élevages raisonnés sont également une très bonne alternative pour réduire l’utilisation de pesticides dans les cultures. Le pâturage ou la fauche de ces dernières permet un contrôle direct des mauvaises herbes, appelées adventices, et donc un recours moins important aux herbicides. Il est également possible de valoriser des cultures en alimentant du bétail suite à la fauche.

D’autre part, les chercheurs INRAE ont démontré que les prairies pouvaient aussi contribuer favorablement à l’enrichissement des sols en éléments nutritifs et à de nombreux autres services écosystémiques. « Les prairies peuvent contenir des légumineuses qui fixent l’azote de l’air et fournissent des protéines, des fleurs variées qui favorisent la pollinisation ou encore des graminées pour satisfaire les besoins énergétiques des animaux », explique le directeur de recherches. « Lorsque des cultures sont couplées à de l’élevage, l’entretien des prairies est alors extrêmement simple. »

Enfin, pour Lionel Alletto, une autre piste à explorer davantage par l’agriculture est la valorisation de l’ensemble des ressources de matière organique sur un territoire, comme les déchets humains par exemple. « La bioéconomie du carbone en particulier est cruciale pour l’avenir de l’agriculture, et une meilleure valorisation agronomique des ressources en carbone (par exemple des stations d'épurations) pourrait largement contribuer au système… », conclut le scientifique. Combiné aux leviers précédemment décrits, les systèmes agricoles devraient gagner en résilience face aux effets du changement climatique.