Regards croisés sur la petite enfance
Initié en 2015 par Chantal Zaouche Gaudon, le programme BECO fédère déjà une vingtaine de chercheurs toulousains en psychologie, sociologie, médecine, pédopsychiatrie, épidémiologie, géographie, droit, infocom... Objectif : aborder la petite enfance de manière interdisciplinaire pour améliorer la qualité de vie des jeunes enfants. Rendez-vous au colloque les 15, 16 et 17 mai 2019 au Muséum d'histoire naturelle de Toulouse et au Quai des savoirs.
Par Anne Lestrelin, journaliste scientifique.
La petite enfance, entre 0 et 6 ans, est une période très sensible dans des situations de vulnérabilité (séparation, deuil, pauvreté, violences familiales…). Certains enfants, malgré ces épreuves, grandissent sans encombre. Cette problématique de la résilience est peu étudiée en France dans la prime enfance en comparaison des années de primaire, de collège ou de lycée, et principalement sous l'angle de la psychologie et de la sociologie. À Toulouse, cependant, d'autres disciplines comme l'épidémiologie, les neurosciences ou le droit travaillent aussi sur la petite enfance.
« Mais l'hyperspécialisation des disciplines ne peut rendre compte de la situation complexe dans laquelle un enfant se développe en interaction avec le monde humain et environnemental qui l'entoure. C'est en menant des études interdisciplinaires que la prise en compte des contextes prend tout son sens »
explique Chantal Zaouche Gaudon, professeure de psychologie de l'enfant à l'université Toulouse – Jean Jaurès et chercheuse au LISST-Cers.
Voilà pourquoi elle a décidé de réunir autour d'elle des chercheurs issus de disciplines complémentaires au sein du programme fédératif BECO (Bébé, petite Enfance en Contextes), lancé en 2015. Il s'agira d'abord de rendre visibles et lisibles les savoirs scientifiques accumulés dans ces diverses disciplines sur le site toulousain, puis de mettre en évidence les questions apparentes ou cachées formulées à la fois par les chercheurs, par les professionnels (psychologues, éducateurs en crèche…) et par les acteurs de la société civile (PMI, CAF…), avec l'ambition d'améliorer la vie des enfants.
UNE MÉTHODE DE TRAVAIL INSPIRÉE DE LA « CÉRÉMONIE IDENTITAIRE » AMÉRICAINE
Si la cheville ouvrière de ce programme est Chantal Zaouche Gaudon, ce n'est pas un hasard.
« Personne ne lui ressemble dans son domaine. Elle a toujours à cœur de faire du lien, de fédérer et pratique l'interdisciplinarité depuis toujours. »
d'après Michelle Kelly Irving, épidémiologiste membre de BECO, qui travaille au sein de l'Unité Épidémiologie et analyses en santé publique : risques, maladies chroniques et handicaps, Inserm-Université Toulouse III - Paul Sabatier.
« Chantal est quelqu'un de très constructif, guidée par de grandes convictions comme la lutte contre les inégalités sociales et la protection de l'enfance. »
ajoute Muriel Lefebvre, professeure à l'Université Toulouse Jean Jaurès, chercheuse au LERASS.
L'équipe de BECO rassemble déjà une vingtaine de chercheurs statutaires de l'Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées. Ce nombre est voué à augmenter, certaines disciplines comme l'environnement (qualité de l'air, de l'eau, alimentation) n'étant pas encore représentées. Des doctorants et post-doctorants sont aussi attendus, sans oublier, dès 2017, l'ouverture à la société civile.
« Nous souhaitons intégrer dans nos projets de recherche des représentants de Toulouse Métropole, du Département, de la Région, des associations, etc. Et au-delà, ouvrir ces projets au monde académique international, avec pour objectif de produire ensemble de nouvelles connaissances spécifiques des premières années de la vie »
résume l'initiatrice de BECO.
Des colloques, séminaires et journées d'études (les premières se sont tenues en mars et juin 2016) seront organisés pour les chercheurs et les professionnels de la petite enfance. Autre outil : une plateforme collaborative unique en son genre. Elle proposera, à l'échelle locale et régionale, à la fois une présentation de l'expertise produite par la recherche fondamentale et appliquée et une cartographie de ce que les acteurs (villes, départements, associations) réalisent sur le terrain. Cette interface entre chercheurs et professionnels devrait simplifier la mise en place de formations, de stages, et contribuer au développement de recherches interdisciplinaires.
« Mais pour travailler ensemble, encore faut-il trouver un langage commun »
note avec humour la psychologue.
Pour cela, Chantal Zaouche Gaudon s'est inspirée d'une pratique américaine, la cérémonie identitaire, utilisée par ses collègues du Centre d'études interdisciplinaires sur le développement de l'enfant et de la famille à Trois-Rivières, au Québec. « C'est une méthode mise au point dans les années 1970 pour créer du dialogue entre des personnes qui occupent des rôles différents, et qui ont donc des perspectives contrastées à propos d'un même objet », précise Carl Lacharité, directeur de ce centre. Invité par les membres de BECO à développer cette pratique lors des premières journées d'étude, il poursuit : « En général, pendant qu'un groupe s'exprime, l'autre n'écoute pas vraiment, il prépare ce qu'il va répondre… Ici, les groupes s'expriment par alternance afin de suspendre leurs habitudes de discussion. On met ainsi en lumière ce qui importe aux yeux des différents protagonistes, pour dégager peu à peu un langage commun. » Cette « cérémonie » est ici doublée de la méthode Delphi, américaine elle aussi : chaque chercheur doit prioriser 10 thématiques. Dans le cadre de BECO, 112 axes de recherche sont ainsi ressortis. Chaque participant a alors dû hiérarchiser 5 à 10 de ces mots-clés. En croisant les résultats, 11 thématiques de recherche impliquant au moins 3, voire 4 ou 5 disciplines ont émergé. « Les inégalités sociales dans le contexte familial » concernent par exemple la sociologie, la psychiatrie et l'épidémiologie. Plus inattendu, « la transmission entre parents et enfants dans l'usage des outils numériques » regroupera des chercheurs de psychologie, d'info-com, de sociologie et de géographie.
INNOVER POUR LES BÉBÉS PRÉMATURÉS
Un axe de BECO déjà bien engagé concerne les bébés prématurés et leurs parents, avec une attention particulière portée aux pères. Il fait suite à la thèse soutenue en septembre 2015 par Flora Koliouli du LISST-Cers, qui a notamment mis en lumière l'importance d'une communication de qualité entre le personnel soignant et les parents. Le projet impliquera des chercheurs en psychologie, pédopsychiatrie, médecine et infocom. Il prendra la forme d'un guide et de réalisations vidéos, les deux formats mis gratuitement sur Youtube afin d'améliorer les pratiques professionnelles dans les services de néonatologie. Des formations pour les professionnels et des groupes de parole pour les parents seront aussi proposés.
BECO est composé de chercheurs de 8 laboratoires ou équipes toulousains : LISST, CerCO, CRESCO, LERASS/Grecom-Médiapolis, Institut de droit privé, Unité Épidémiologie et analyses en santé publique : risques, maladies chroniques et handicaps, CPTP, Toulouse NeuroImaging Center. Soutenu par le LISST, la commission recherche de l'Université Toulouse - Jean Jaurès, celle de l'Université Toulouse III – Paul Sabatier et par le Labex SMS, BECO vient d'obtenir un cofinancement de la Région Occitanie et de l'Université Toulouse - Jean Jaurès pour un contrat de post-doctorat de 2 ans.
LISST-Cers : Laboratoire interdisciplinaire Solidarités, sociétés, territoires – CNRS, Université Toulouse - Jean Jaurès, EHESS. CERS - Centre d'études des rationalités et des savoirs.
LERASS : Laboratoire d'études et de recherches appliquées en sciences sociales - Université Toulouse III - Paul Sabatier, Université Toulouse - Jean Jaurès, Université Paul-Valéry Montpellier