Crèche et situation de handicap : le défi de l’inclusion
« Pas de place en crèche pour votre enfant ! ». Est-il imaginable d’être victime de discrimination sociale avant ses 3 ans sous prétexte de présenter des difficultés motrices, sensorielles ou socio-cognitives ?
L’enseignante-chercheuse Chantal Zaouche Gaudron s’associe à de nombreux professionnels, sociologues, psychologues, médecins de la petite enfance pour comprendre et limiter les freins de l’intégration des enfants les plus vulnérables.
Par Anne-Claire Jolivet, de l'équipe Exploreur.
Rester dans son cocon familial ou s’exposer à la complexité du collectif ? Faire face à la situation de handicap d’un enfant de moins de 3 ans est un défi pour tout l’entourage. Bien sûr, les parents voient leur vie bouleversée. Les médecins sont en difficulté pour établir un diagnostic dans une période de développement aussi intense. Les professionnels de crèches doivent s’adapter aux particularités de chaque enfant et à leur singularité. Et les parents des autres enfants peuvent, parfois, craindre une perturbation de l’environnement de leur enfant, lui aussi en pleine croissance physique, affective et cognitive.
Chercheuse au grand cœur, Chantal Zaouche Gaudron étudie les conditions qui favorisent ou fragilisent le développement d’enfants vulnérables dans notre société : ceux qui présentent une situation de handicap mais également ceux qui disposent d’un environnement social difficile. Elle anime, notamment, le groupement d’intérêt scientifique Bébé, petite Enfance en COntextes (Beco) qui rassemblent à la fois des chercheurs, des professionnels et des acteurs de la société civile.
« La prime enfance de la naissance à 6 ans est une période sensible voire critique c’est un temps de construction intense sur tous les registres, staturo-pondéral, psycho-moteur, affectif, sur les registres de l’éveil et de la socialisation… même si, bien sûr, les processus peuvent évoluer après cette période »,
constate Chantal Zaouche Gaudron, enseignante-chercheuse à l’Université Toulouse – Jean Jaurès.
Parmi ses chevaux de bataille, Chantal Zaouche Gaudron défend une approche interdisciplinaire pour évaluer les besoins des jeunes enfants : elle relie des psychologues, des sociologues, des biologistes, des médecins, etc.
« L’objectif est de préciser les questions vives et les points aveugles dans les connaissances actuelles »,
précise-t-elle.
L’inclusion : une vraie bonne idée
L’inclusion semble être une vraie bonne idée pour lutter contre les inégalités et les discriminations sociales. Dans une des recherches menées avec Élodie Fontaine-Benaoum et publiées en 2016, les principaux résultats indiquent que l’expérience d’accueil en structure petite enfance permet aux enfants en situation de handicap de maintenir et/ou d’accroître leurs compétences socio-adaptives, contribuant ainsi à leur épanouissement. Cette étude a été menée auprès de 48 enfants. Les conclusions ne sont pas généralisables mais elles sont en accord avec celles issues d’autres travaux. Elle confirme qu’un accueil adéquat favorise les conditions d’une future scolarisation si elle peut être envisagée. Mais reste à comprendre les dispositifs efficaces à mettre en œuvre !
Au commencement des droits
Le projet de loi « Pour une école de la confiance » propose un renforcement de l’accueil scolaire des élèves en situation de handicap. Mais qu’en est-il de l’accueil et de l’accompagnement de ces enfants en crèche ? La loi 2005-102 du 11 février 2005 prévoit le droit d’inscrire tout enfant handicapé dans l’école la plus proche de son domicile. Par contre, aucun texte de loi n’a pris en compte l’accueil et le développement des jeunes enfants de moins de 3 ans non scolarisés en situation de handicap ou présentant des difficultés développementales. En déduire pour autant que la dimension inclusive est peu portée par les politiques publiques serait oublier le rapport de novembre 2018 du Défenseur des droits :
« Le respect des besoins individuels de chaque enfant implique aussi de garantir aux enfants présentant un handicap d’être accueillis dans les structures de droit commun de la petite enfance »,
extrait des recommandations du rapport 2018 édité par le Défenseur des droits.
Refuser l’accueil d’un enfant peut être considéré comme une discrimination et une atteinte à l’égalité des chances. Pour autant, l’insuffisance de formation des professionnels, le manque de moyens matériels et humains contribuent à un accueil encore trop marginal des enfants en situation de handicap. La plateforme Crescendo démontre à quel point les acteurs sont prêts à relever le défi de l’inclusion. Ils s’organisent pour accueillir au mieux enfants et familles, éviter l’épuisement des familles, mais aussi pour être reconnus dans leur métier.
Copains et copines au-delà des différences ?
Les relations entre les enfants accueillis et les enfants accueillants sont trop rarement étudiés, notamment en France. La littérature scientifique tout de même indique une absence de consensus sur les effets bénéfiques de l’inclusion par rapport au milieu spécialisé. Certaines études mentionnent que les enfants en situation de handicap peuvent être rejetés du fait de difficultés relationnelles liées à leurs habiletés sociales, être isolés au sein de ce collectif qu’est la crèche alors que d’autres montrent que l’inclusion permet aux enfants d’acquérir des conduites sociales plus adaptées. Les caractéristiques du handicap influencent l’attitude des enfants et leur acceptation, ainsi, la déficience intellectuelle entraine plus de rejet par rapport au handicap moteur. Les enfants « tout-venant » développent un mode de soutien et d’aide mais le processus inclusif peut, parfois, générer de la souffrance pour les enfants (avec et sans handicap) s’il n’est pas bien accompagné. Enfin, l’enfant en situation de handicap développe toutes sortes de stratégies et peut montrer à l’enfant « tout-venant » qu’il existe plusieurs « possibles » pour faire, être, et grandir. Ce ne sont pas les enfants « tout-venant » qui sont « perturbés », mais leurs parents qui peuvent l’être.
« Mon enfant presque comme les autres »
Les parents sont souvent isolés. Ils réduisent leur activité professionnelle, les mères en particulier. L’entourage social et amical s’amenuise petit à petit. Sans parler des problèmes financiers, de l’épuisement, du découragement et de toutes les ressources qu’ils doivent mobiliser pour que le parcours de vie de leur enfant soit le plus serein possible et le plus favorable à son développement.
La recherche en cours, financée par la Fondation pour la recherche appliquée sur le handicap (Firah), révèle que l’accueil en crèche peut représenter un formidable « coup de chance » pour les parents quand ils trouvent une place dans une structure qui accueille leur enfant présentant des difficultés développementales. Les familles mentionnent aussi les bienfaits de l’accueil pour elles-mêmes, qui leur permet d’être moins isolées et de se socialiser avec d’autres parents. Malheureusement, il ne faut pas se leurrer. Cet accueil peut être aussi un parcours semé d’embûches, de déceptions, de colère, d’amertume et de grande solitude. Ils sont très peu accompagnés pour trouver une solution d’accueil adaptée, d’autant qu’au cours de la prime enfance, le diagnostic n’est pas encore posé et les parents sont, dans la majorité des cas, complètement démunis.
« Le handicap… une vie qui bascule et qui bouscule tous les repères, avec comme allié l’incompréhension, la peur, la souffrance, la recherche de causalité, une quête souvent longue vers le diagnostic … puis l’espoir [par l’inclusion] d’ « un autrement possible » qui impulse une nouveau souffle de vie dans ce gouffre d’asphyxie. »,
résument Sandrine Delpeut, directrice de la plateforme Crescendo du groupe SOS Jeunesse et Chantal Zaouche Gaudron.
Pour ce qui est des autres parents, la différence génère encore de l’inquiétude : est-ce qu’on va bien s’occuper de mon enfant ? est-ce que ses compétences vont se développer de la même manière ? ne va-t-il pas être « empêché » dans son développement, doit-il craindre quelque chose de la part des autres enfants ? Pour autant, Chantal Zaouche-Gaudron est confiante, il faut avancer pour lutter contre les préjugés et les inégalités.
« Le regard posé sur le handicap est en train de changer et le soutien à l’inclusion dans les structures d’accueil poursuit son mouvement. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les pratiques changent et que le processus d’inclusion ne soit pas synonyme d’une « inclusion exclusive. »
Chantal Zaouche Gaudron est enseignante-chercheuse au département Psychologie du développement de l’Université Toulouse – Jean Jaurès, directrice du groupement d’intérêt scientifique Beco et directrice-adjointe de l’Institut fédératif d'études et de recherches interdisciplinaires, santé, société (Iferiss).
Elle réalise ses recherches au sein du Laboratoire interdisciplinaire Solidarités, sociétés et territoires (LISST - CNRS, Université Toulouse – Jean-Jaurès, ENSFEA, EHESS).
Au côté de la problématique de l’inclusion au sein des structures d’accueil de la petite enfance, elle étudie également les parcours de soins et éducatifs des enfants porteurs de handicaps rares et les relations entre pairs en situation de handicap et tout-venant, dans le cadre de programmes sous la responsabilité de Christine Cans (Inserm, Grenoble) et de Régine Scelles (Paris, Nanterre).
Références bibliographiques
Fontaine-Benaoum, E., Zaouche Gaudron, C. & Paul, O. (2015). La parentalité à l’épreuve du handicap de l’enfant. Enfance, 3, 333-350.
Scelles, R., Dayan, C. Gargiulo, M., Josselin, L., & Zaouche Gaudron, C. (2018). Relations entre pairs chez les enfants en situation de handicap (2-6 ans) : facteurs favorisant ou entravant leur développement en situation d’inclusion. Rapport intermédiaire, Iresp, 12 septembre.
Zaouche Gaudron, C., & Fontaine-Benaoum, E. (2016). Accueil des enfants en situation de handicap dans les structures collectives de la petite enfance. Rapport terminal, Iresp, 12 juillet.