Insecticides : arrêtons de risquer l’overdose

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Vivant・Santé

Insecticides : arrêtons de risquer l’overdose

insecticide

Pourquoi chercher à tuer systématiquement et instantanément 100% des insectes nuisibles dans toutes les cultures ? Pourquoi continuer à payer si chers des traitements qui impactent autant l’environnement ? De fortes concentrations ne sont pas nécessaires pour protéger les récoltes.

Par Mathieu Lihoreau, chercheur CNRS au Centre de Recherches sur la Cognition Animale (CRCA), Théotime Colin, de l'Institut agricole de Sydney, Université de Sydney et Coline Monchanin, doctorante de l’université Toulouse III – Paul Sabatier et de l’université Macquarie de Sydney.

La ré-autorisation récente de certains néo-nicotinoïdes pour la production de betteraves par le gouvernement français relance le débat sur l’utilisation des insecticides en général. On observe 25% d'insectes en moins qu'il y a 30 ans. Ce constat est accablant. De par leur action de pollinisateurs, d’ingénieurs des sols, de recycleurs de matières mortes et de prédateurs, les insectes sont essentiels au fonctionnement des écosystèmes et au maintien de la biodiversité.

Les insecticides sont dangereux pour l’environnement

L’utilisation massive d’insecticides dans l’agriculture intensive est souvent mise en cause dans le déclin massif des insectes. Les molécules les plus dangereuses pour l’environnement, aussitôt bannies, sont remplacées par d’autres qui ne s’avèrent souvent pas moins dangereuses. Bannir les insecticides n’est pas une solution en soi. Le monde agricole doit rapidement effectuer une transition vers des méthodes alternatives qui ne menacent plus l’environnement.

La plupart des insecticides sont développés dans les laboratoires et ciblent les insectes qui menacent les cultures. Leur marketing est parfois basé sur leur efficacité à tuer 100% des insectes nuisibles instantanément, et pour obtenir ce résultat, ils sont appliqués à de très fortes doses. Mais une fois passés des laboratoires aux champs, ils se retrouvent dans le sol, l’eau, le nectar et le pollen. Les abeilles, et autres insectes pollinisateurs, en sont les premières victimes collatérales, ce qui affecte forcément le rendement des champs. Ce risque est parfois injustifié, car les insecticides sont souvent appliqués de manière systématique et préventive, sans même vérifier que des insectes nuisibles sont présents dans ou autour des champs.

La transition vers de nouvelles pratiques agricoles est nécessairement lente

Pour stopper le déclin des pollinisateurs et des autres insectes bénéfiques, il est nécessaire de remplacer les insecticides chimiques par d’autres méthodes de contrôle des cultures. Des pièges à phéromones, un meilleur aménagement des zones agricoles, l’amélioration des variétés cultivées, et les auxiliaires des cultures (prédateurs) peuvent remplacer la plupart des insecticides.

Mais la transition vers ces méthodes est lente. Et l’ampleur du déclin des insectes est telle que chaque année les populations diminuent d’environ 10%. Il faut donc agir rapidement. Nous devons repenser l’usage des insecticides pour s’assurer de minimiser la contamination de l’environnement.  Cela est déjà possible sans changer drastiquement les méthodes agricoles.

A court terme, il serait efficace de réduire drastiquement les doses

Il n’est en premier lieu pas nécessaire d’utiliser des doses létales si fortement concentrées. On sait, par exemple, que certains insecticides sont toxiques au point que des doses extrêmement faibles, difficiles à détecter, sont suffisantes pour paralyser des insectes ou les empêcher de manger, voir ou de s’orienter correctement. A ces faibles doses, le résultat contre les insectes nuisibles est le même : peu importe si un puceron est vivant, s’il est paralysé il n’affecte plus les tomates. Ceci a été très peu étudié jusqu’à présent, mais notre analyse de la littérature publiée dans Nature Ecology & Evolution indique que de nombreux insecticides sont probablement très efficaces à des doses bien plus faibles que celles employées aujourd’hui. A titre d’exemple, une dose 17 fois inférieure aux doses létales recommandées est suffisante pour contrôler efficacement des capricornes invasifs. De la même manière, les termites ingèrent 82 à 93 % moins de cellulose lorsqu’ils sont exposés à une dose 100 fois plus faible que certaines doses d’imidaclopride recommandées, ce qui pourrait suffire à réguler les colonies.

Un autre effet intéressant de l’utilisation de faibles doses d’insecticides est qu’elles affectent souvent la reproduction des insectes. Cela peut être suffisant pour protéger les cultures : quand il y a un très petit nombre de nuisibles dans un très grand champ, les dommages faits aux cultures sont négligeables. Empêcher ces insectes de se reproduire est donc suffisant pour s’assurer qu’il n’y a pas de pertes économiques pour le rendement agricole. Par exemple, la ponte des aleurodes du cotonnier est réduite de moitié lorsqu’ils sont traités avec une dose 490 fois plus faible que certaines doses d’imidaclopride recommandées en traitement par pulvérisateur. En quelques générations cela pourrait être suffisant pour que leurs dommages soient négligeables.

Les champs en agriculture intensive sont aussi souvent traités avec une série d’herbicides et d’antifongiques. Depuis peu, les chercheurs réalisent que ces pesticides affectent souvent aussi les insectes. Par exemple, certains antifongiques perturbent le très commun doryphore de la pomme de terre, et augmentent sa susceptibilité à l’insecticide imidaclopride. Si limiter la prolifération de mauvaises herbes et de champignons tuent les nuisibles, il ne devrait pas être nécessaire d’appliquer en même temps un insecticide.

Enfin, il faut contrôler l’utilisation des insecticides de manière plus stricte pour prévenir l’apparition d’insectes nuisibles résistants. À cause de l’utilisation systématique des insecticides, le nombre d’espèces résistantes pour lesquelles les molécules n’ont plus d’effets est en constante augmentation, ce qui force les chimistes à développer des insecticides de plus en plus toxiques. Cela peut être fait en évitant de sélectionner uniquement les individus résistants en utilisant des doses trop fortes, et en organisant une rotation des cultures et des insecticides.

Protéger les cultures, réduire l’impact sur l’environnement et faire des économies !

Utiliser moins de pesticides diminuera les coûts pour les agriculteurs, ce qui augmentera le rendement net des exploitations. Ces recommandations ne remplacent pas la nécessité de réformer les pratiques agricoles intensives vers des pratiques de luttes biologiques et mécaniques. Des doses même plus faibles risqueront toujours d’affecter la biodiversité. Mais elles peuvent être appliquées rapidement et avoir un effet positif immédiat pour le monde agricole et l’environnement, en attendant un monde meilleur …

CRCA : Centre de Recherches de la Cognition Animale - Centre de Biologie Intégrative (CNRS, Université Toulouse III - Paul Sabatier)

 

Référence bibliographique