Louise Travé-Massuyès, virtuose du diagnostic automatique

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Maths・Ingénierie

Louise Travé-Massuyès, virtuose du diagnostic automatique

Portrait Louise Travé-Massuyès
© Hélène Ressayres

La chercheuse consacre sa carrière à la recherche des causes de dysfonctionnement des machines. Elle développe des modèles de diagnostic automatique. Une thématique qui s’appuie de plus en plus sur les techniques d’intelligence artificielle (IA).

Par Valérie Ravinet, journaliste.

Sa silhouette frêle et son pas léger donneraient une impression de fragilité que son regard décidé dément aussitôt. La chercheuse franco-espagnole Louise Travé-Massuyès, qui assume fièrement ses soixante printemps, est en ligne avec les vers du poète Antonio Machado : « toi qui marches, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant ». Elle aime sa vie et son époque, ravie de parler de science et de son domaine d’expertise, le diagnostic automatique.

Fidèle au cap

« J’ai toujours aimé les sciences, c’était facile pour moi », raconte-elle. Lorsqu’elle quitte Carcassonne après son bac, c’est pour entrer à l’INSA de Toulouse, dans le département alors appelé génie automatique, électronique, informatique. « J’ai suivi les conseils de ma professeure de physique, elle pensait qu’une prépa intégrée me conviendrait mieux qu’une classe préparatoire classique ; je n’ai fait qu’une candidature, celle-là », confesse-t-elle.

Tentée davantage par la recherche que par une carrière d’ingénieure dans l’industrie, elle poursuit ses études par une thèse en automatique au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes, le LAAS-CNRS. Elle décroche un post-doctorat à l’université de Santa Clara, en Californie, sous la responsabilité d’un spécialiste des commandes décentralisées.

« C’est à cette période que j’ai commencé à utiliser les formalismes de raisonnement qualitatif et à entrer dans le monde de l’intelligence artificielle »,

se souvient-elle.

Son premier ouvrage commis, elle raconte en riant comment, le rapportant sur disquettes, elle se rend compte à son arrivée en France qu’aucun traitement de texte n’est compatible avec celui utilisé aux Etats-Unis. « Heureusement, j’avais pris la précaution d’imprimer une version, mais j’ai dû retaper plus de de 500 pages ! ».

A son retour, Louise Travé-Massuyès rejoint rapidement l’équipe Décentralisation, hiérarchisation et parallélisme du LAAS-CNRS. Elle ne quittera que rarement ensuite le laboratoire, pour des séjours à l’étranger en tant que chercheuse invitée : au Brésil à l’Université de Vitoria, à Barcelone à l’Université Polytechnique de Catalogne, puis à l’Université de Séville.

L’experte prend en 2004 la responsabilité de l’équipe dédiée à l’automatique symbolique, baptisée par la suite « Disco » pour Diagnostic, supervision et conduite.

Dessin Störm Exploreur NEC2019
Dessin réalisé à l'occasion de la table ronde « Intelligence artificielle : comment (bien) préparer notre avenir ? » proposée à la programmation de la Nuit européenne des chercheur.e.s du 27 septembre 2019 - Quai des savoirs, Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées © Ström

Le diagnostic automatique en toute simplicité

Pour Louise Travé-Massuyès, le diagnostic automatique est une thématique toute simple : « il suffit de songer à ce que fait votre médecin lorsqu’il vous ausculte, scrute vos résultats d’analyse, enregistre les signes cliniques dont vous vous plaignez ; à partir de tous ces éléments, il reconstitue votre état interne et détermine la maladie dont vous souffrez. C’est exactement la même approche pour une voiture, un avion, ou n’importe quel système : on dispose des capteurs qui donnent accès à des mesures que l’on doit interpréter et traiter pour décider si la situation est normale ou non, identifier le composant qui pose problème pour le changer ou le reconfigurer. Dans les domaines techniques, le diagnostic est essentiel pour garantir la sûreté, la résilience et la maintenabilité des systèmes », explique-t-elle en pédagogue.

« Ce processus complexe requiert des formalismes de représentation de la connaissance et de raisonnement et est en ce sens lié à l’intelligence artificielle ».

Le travail de l’équipe Disco consiste donc à « établir des passerelles entre les approches de diagnostic des communautés Automatique et l’IA ». Parmi les récentes avancées, elle cite notamment le système DYCLEE « Dynamic clustering in evolving environment » - partitionnement dynamique de données dans des environnements évolutifs.

Un modèle de diagnostic qui évolue au fur et à mesure des situations nouvelles

Mis au service des industriels, notamment des secteurs aéronautique, spatial et automobile, ses recherches connaissent des applications concrètes. On peut citer, à titre d’exemple, la surveillance de procédés chimiques : à partir d’un ensemble d’observations dans différents modes opératoires, on crée un modèle de diagnostic qui évolue au fur et à mesure des situations nouvelles et permet de surveiller le comportement du système et de ses composants. Une illustration claire de la combinaison entre automatique et algorithme d’apprentissage.

Choisie pour diriger la chaire « Transformations synergiques dans le diagnostic basé sur des modèles et le diagnostic basé sur des données », la chercheuse va désormais partager son temps entre le laboratoire et le nouvel Institut interdisciplinaire en intelligence artificielle, ANITI, avec des perspectives prometteuses. « Grâce à un meilleur partage de nos connaissances, nos travaux vont donner naissance à des systèmes plus à mêmes de représenter le monde tel qu’il est. C’est une opportunité extraordinaire ! », se réjouit-elle. L’alpiniste et grimpeuse chevronnée, qui compte à son actif l’ascension de l’Aconcagua, en Argentine, de l’Ama Dablam au Népal ou encore de la face nord du Half Dome dans le Parc Yosemite, aux États-Unis, sait assurément ce qu’esprit d’équipe veut dire.

Dessin Ström Exploreur NEC
Dessin réalisé à l'occasion de la table ronde « Intelligence artificielle : comment (bien) préparer notre avenir ? » proposée à la programmation de la Nuit européenne des chercheur.e.s du 27 septembre 2019 - Quai des savoirs, Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées © Ström

Bio express

  • Juillet 2019 :  Louise Travé-Massuyès prend la responsabilité de la chaire « Synergistic transformations in model based and data based diagnosis » de l’institut ANITI de Toulouse. Elle consacre 50% de son temps à ce projet.
  • Depuis 2000 : elle est nommée directrice de recherche CNRS, elle encadre l’équipe « Disco » pour Diagnostic, supervision et conduite du LAAS-CNRS jusqu’en 2015.
  • 1987 : elle entre au CNRS en tant que chargée de recherche.
  • 1984-1985 : elle séjourne à l’Université de Santa Clara, Californie, après obtention de son doctorat et commence à s’intéresser à l’intelligence artificielle appliquée à l’analyse des systèmes dynamiques.
  • 1984 : elle obtient son diplôme de docteur-ingénieur de l’INSA de Toulouse, option automatique.
  • 1959 : naissance à Barcelone.

Voix off

  • Quelle est la première chose que vous faites en vous levant ? La semaine, je file sous la douche ; le week-end, je sirote un café.
  • Quel est votre principal trait de caractère ? Je suis assez optimiste ; l’homme est un animal intelligent qui s’adapte.  Si les IA ne nous plaisent pas, il faudra savoir ne pas les accepter !
  • A quelle époque auriez-vous aimé vivre ? Cette époque me convient. J’ai aimé les années 80, 90.
  • Quel est l'objet préféré de votre bureau ? Mon écran, il est beau !
  • Ce que vous appréciez le plus chez vos collègues ? La fiabilité ; quand ils s’engagent, on peut compter sur eux. C’est important.
  • Le don de la nature que vous voudriez avoir ? Un peu plus de mémoire, notamment des noms.
  • Quel rêve vous reste-t-il à accomplir ? Terminer ma maison ! C’est une grosse bâtisse sur laquelle on travaille depuis 25 ans
  • La dernière fois que vous avez ri aux larmes ? Sans doute à une blague de mon mari… ou de mon fils
  • Quel.le chercheur.e vous a inspiré ? Je ne me suis pas vraiment identifiée.
  • Quelle est la dernière chose que vous faites avant de vous coucher ? Je fais sortir mes chats pour qu’ils me laissent dormir !