Jean-Michel Loubes, le mathématicien qui enseigne aux machines

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Maths・Ingénierie

Jean-Michel Loubes, le mathématicien qui enseigne aux machines

Jean-Michel Loubes Portrait
© Hélène Ressayres

Le spécialiste des statistiques appliquées s’intéresse à l’apprentissage automatique. Son crédo : la surveillance des algorithmes, pour une intelligence artificielle éthique.

Par Valérie Ravinet, journaliste.

Jean-Michel Loubes fait partie de ces enseignants qu’on aurait aimé rencontrer sur les bancs de l’école. De ceux qui savent partager leur passion et rendre fascinante la discipline qu’ils ont choisie.

« Il y a une certaine complétude dans les mathématiques, je suis curieux de les comprendre, de chercher à modéliser la réalité. C’est un véritable système de pensée »,

confie le mathématicien, enseignant-chercheur de l'Université Toulouse III - Paul Sabatier, rattaché à l’Institut de Mathématiques de Toulouse (IMT).

Un chemin tout tracé vers les mathématiques

Spécialiste des probabilités et des statistiques appliquées, Jean-Michel Loubes a suivi un parcours sans faute. Une enfance dans l’Aude, dont il garde et revendique le côté terrien, une culture latine qui explique son caractère passionné ; puis c’est le choix des mathématiques plutôt que l’histoire qui reste « une vraie passion », l’agrégation, l’admission à l’École normale supérieure de Cachan, des études doctorales en statistiques. Jean-Michel Loubes démarre sa carrière comme chargé de recherche CNRS, en poste à Orsay (Paris 11) puis à Montpellier (Montpellier 2), et rejoint en 2007 l’Université Toulouse III - Paul Sabatier avec le statut de Professeur des universités.

« J’ai découvert le monde de la recherche durant mes études et je m’y suis plu. C’est un monde de gens curieux et ouverts qui se posent des questions compliquées ; il faut y être honnête avec soi-même parce qu’on ne peut pas mentir face à des sachants ! On y apprend l’humilité. ». 

Comme il aime « se sentir utile », il choisit la voie des applications mathématiques au niveau industriel et sociétal et s’attache à « comprendre les problèmes en amenant de la théorie pour les résoudre, ou en développant de nouvelles théories qui les prennent en compte ». Il est d’ailleurs à l’origine de la création de l’Agence pour les mathématiques en interaction avec l’entreprise et la société, AMIES, qui s’inscrit comme médiateur pour intervenir en entreprise en mobilisant des mathématiques innovantes. « Théorie et application se nourrissent l’une de l’autre », analyse le chercheur.

Faire bien apprendre à une machine : un défi stimulant pour les mathématiques appliquées

De l’univers des statistiques, il évolue « assez naturellement » vers l’apprentissage automatique. Peut-on généraliser un comportement observé sur des exemples et en faire un cas général ?  Comment quantifier l’erreur de généralisation ? « C’est exactement ce que fait l’intelligence artificielle dans le cadre de la technologie de l’apprentissage automatique, ou machine learning », indique-il.

« On montre des exemples à une machine qui va apprendre le cas particulier à partir de ceux-ci. Mon travail consiste à comprendre comment la machine apprend et à vérifier que les règles qu’elle propose sont fiables, à corriger les algorithmes s’ils s’avèrent « déloyaux ».

C’est sur cette problématique que va désormais plancher Jean-Michel Loubes, choisi comme directeur scientifique de l’axe « IA certifiable pour les systèmes autonomes critiques » du projet toulousain ANITI - Artificial and Natural Intelligence Toulouse Institute. Il prend également la tête de la chaire « Fiabilité et robustesse des méthodes d’apprentissage automatique » de l’institut. L’enjeu est de développer une méthode de certification qui permettra d’embarquer des IA dans les transports, notamment les aéronefs. Le groupe de travail s’intéresse donc à l’« explicabilité » de la décision prise par une machine, quelle que soit sa complexité.

« Je suis favorable à la promotion d’une IA transparente, explicable, dont on puisse comprendre les choix et décider de la loyauté. Elle constituera un progrès pour notre société à la condition d’être éthiquement acceptable »,

commente le chercheur, qui prend résolument sa part de responsabilité.

Quand il n’est pas à Toulouse, pour ses recherches ou son enseignement aux étudiants de master en mathématiques ou informatique spécialisés en apprentissage automatique, Jean-Michel Loubes parcourt le monde pour comprendre les approches en matière d’intelligence artificielle. Derrière la porte de son bureau, son kit de voyage est toujours prêt.

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Dessin réalisé à l'occasion de la table ronde « Intelligence artificielle : comment (bien) préparer notre avenir ? » proposée à la programmation de la Nuit européenne des chercheur.e.s du 27 septembre 2019 - Quai des savoirs, Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées © Ström

Bio express

  • Juillet 2019 : est retenu comme porteur scientifique du programme intégratif ANITI dédié à la certification des systèmes critiques et dirige la chaire « Fiabilité et robustesse des méthodes d’apprentissage automatique »
  • Depuis 2015 : Responsable du master Mathématiques appliquées pour l'ingénierie, l'industrie et l'innovation de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier.
  • Depuis 2007 :  Professeur des universités à l’Université Toulouse III - Paul Sabatier, expert en statistique en grandes dimensions, big data, modélisation aléatoire.
  • 2001 : soutient sa thèse de doctorat à l’Université Toulouse III - Paul Sabatier
  • 1995 : admission à l’École normale supérieure de Cachan.
  • 1975 : nait à Agen et grandit dans l’Aude.

Voix off

  • Quelle est la première chose que vous faites en vous levant ? J’ouvre la fenêtre et je regarde la nature. Je suis un homme de la terre.
  • Quel est votre principal trait de caractère ? Je suis persévérant.
  • A quelle époque auriez-vous aimé vivre ? Au début du 16ème siècle, pour comprendre ce qui a poussé les marins à partir découvrir le monde ; partager l’exaltation de la découverte des nouveaux mondes.
  • Quel est l'objet préféré de votre bureau ? Mon stylo, que mes parents m’ont offert pour mon quatorzième anniversaire. Il m’accompagne depuis 30 ans, et je ne veux pas en changer, même s’il est un peu fendu.
  • Ce que vous appréciez le plus chez vos collègues ? La bienveillance des mathématiciens. On sait qu’on peut se tromper, que l’on fait des erreurs, c’est comme cela qu’on apprend. Dire aux autres que l’on ne sait pas est fondamental dans le partage du savoir.
  • Le don de la nature que vous voudriez avoir ? Celui d’ubiquité ! Un rêve que de pouvoir faire plusieurs choses en même temps en différents endroits.
  • Quel rêve vous reste-t-il à accomplir ? Éduquer ma fille pour la rendre heureuse et autonome, lui permettre de devenir une adulte épanouie.
  • La dernière fois que vous avez ri aux larmes ? Ce n’est pas la dernière fois, mais je ris toujours aux larmes en regardant l’Avare réalisé par Jean Girault, avec Louis de Funès.
  • Quel.le chercheur.e vous a inspiré ? Champollion ! Sa découverte, qui donne accès à tout un pan jusqu’alors inconnu de notre histoire, repose sur du code et du cryptage. Il réussit à déchiffrer, à corréler... C’est assez proche du machine learning, finalement.
  • Quelle est la dernière chose que vous faites avant de vous coucher ? Je ferme le livre que j’étais en train de lire.

IMT : Institut de mathématiques de Toulouse - CNRS, Université Toulouse III - Paul Sabatier, INSA Toulouse, Université Toulouse 1 Capitole, Université Toulouse - Jean Jaurès.