L’ocytocine, l’hormone de l’amour à haut potentiel thérapeutique
Communément appelée « hormone de l’amour », l’ocytocine est connue pour ses effets chez les mères : les contractions pendant l’accouchement, la stimulation de l’allaitement et plus généralement le comportement de protection pour prendre soin du nouveau-né. Cette hormone a pourtant bien d’autres cordes à son arc ! La chercheuse et médecin Maïthé Tauber explore les opportunités thérapeutiques chez les nourrissons souffrant du syndrome de Prader-Willi.
Par Christine Ferran, de l’équipe Exploreur.
Maïthé Tauber coordonne le centre de référence du syndrome de Prader-Willi, une maladie génétique rare de l’enfant qui touche une naissance sur 20 000. C’est Andrea Prader, avec ses collaborateurs Labhart et Willi, qui en 1956 décrit pour la première fois ce syndrome lié à un dysfonctionnement de l’hypothalamus. Ils montrent qu’il s’agit d’une maladie génétique. Un défaut de certains gènes exprimés par le chromosome Y d’origine paternelle et de 18 gènes au moins sur le chromosome 15 sont identifiés pour expliquer ce syndrome complexe à la fois sur le plan génétique et sur le plan clinique.
Les enfants atteints ont des difficultés à créer des liens avec les autres – des habilités sociales appauvries. En 2011, Jennifer Miller décrit les phases nutritionnelles de la maladie. L’équipe de Maïthé Tauber traduit ces phases en une trajectoire qui se caractérise par une anorexie associée à un défaut de succion en tout début de vie, puis une boulimie avec une addiction alimentaire en lien avec un circuit psychologique anormal de la récompense. L’objectif est de comprendre pourquoi ces enfants changent radicalement de comportement alimentaire au cours de leur développement.
L’ocytocine pour retrouver l’appétit
En 1995, Dick Swaab, un chercheur qui travaille sur la physiopathologie du syndrome de Prader-Willi, identifie que dans les cerveaux des souriceaux atteints, les neurones à ocytocine (c’est-à-dire des neurones qui sécrètent cette hormone) sont en moins grande quantité que chez les souriceaux sains. En revanche leur taux d’ocytocine dans le sang est élevé.
Françoise Muscatelli, une chercheuse française, a montré que des souriceaux mutés pour un des gènes de la région chromosomique du syndrome de Prader-Willi meurent à la naissance du fait d’un déficit de succion, déficit qui disparaît lorsque l’on administre de l’ocytocine dans les 5 premières heures de vie. En 2017, M. Tauber montre que les nourrissons traités dans les 6 premiers mois de vie améliorent leur succion et les interactions avec leurs parents et retrouvent l’envie de manger. Ces enfants ont aussi une augmentation du taux de ghreline, une autre hormone impliquée dans le contrôle de l’appétit.
« Si on traite tôt les enfants atteints de ce syndrome, on peut peut-être changer l’évolution de la maladie »
explique Maïthé Tauber, professeure universitaire et hospitalier à l’université Toulouse III – Paul Sabatier et pédiatre endocrinologue à l’hôpital des enfants à Toulouse. Elle mène ses recherches dans le nouvel Institut toulousain des maladies infectieuses et inflammatoires (Infinity – Inserm/CNRS/UT3 Paul Sabatier).
Soigner pendant les 7 premiers jours
Dans le laboratoire ToNIC dirigé par Pierre Payoux à l’hôpital de Purpan, ces enfants ont bénéficié d’une IRM qui montre une augmentation de la connectivité de la région orbitofrontale supérieure droite, une aire du cerveau impliquée dans les interactions sociales et la prise alimentaire. Les analyses des vidéos de têté ont permis aux pédopsychiatres d’évaluer les interactions mère-enfant et ont montré qu’après un traitement ocytocine pendant 7 jours, le retrait social était amélioré notablement : 60% de nouveau-nés normaux après traitement versus 20% avant traitement.
Au bout d’un an, les effets de l’ocytocine sur l’appétit persistent. À 4 ans, les enfants ont de meilleures capacités sociales, mais ils ne sont pas guéris.
« Un traitement très court dans une fenêtre biologique au début de la vie des nourrissons semble efficace, lié aussi certainement à la plasticité cérébrale »
précise M. Tauber
Cependant, ces résultats montrent qu’il faudrait sans doute augmenter la durée du traitement pour avoir des effets plus marqués.
Une autorisation de mise sur le marché en préparation
Une nouvelle étude clinique européenne a démarré en 2020 afin de confirmer les effets chez 48 enfants. Elle pourra permettre d’obtenir l’AMM (autorisation de mise sur le marché) en 2022 pour un médicament (l’OT4B) à utiliser en routine pour combattre ce syndrome.
Le 17 mars 2020, en plein confinement, un projet européen dont M. Tauber est l’investigatrice principale, est lancé dans le cadre d’un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) et d’un financement complémentaire par la PEDCRIN Pediatry European Clinical Research Infrastructure. Dans un premier temps, les nourrissons recevront soit de l’ocytocine soit un placebo par voie nasale et, par la suite, tous les enfants recevront l’ocytocine et seront suivis pendant 6 mois.[AJ2]
D’autres perspectives thérapeutiques ouvertes
Tous ces résultats de recherche prometteurs autour de l’ocytocine ouvrent la voie vers d’autres pathologies de l’enfant comme les troubles du spectre autistique. Cette maladie a, en effet, des signes cliniques communs avec le syndrome de Prader-Willi, à savoir des troubles du neurodéveloppement et des interactions sociales. Cependant, aujourd’hui, ce traitement ne peut être prescrit sans que des études cliniques aient clairement démontré leur innocuité et leur efficacité.
Des travaux publiés en 2010 montrent qu’une administration d’ocytocine chez les adultes avec un syndrome de Prader-Willi diminue les tendances dépressives. En Suède, les femmes utilisent l’ocytocine pour faciliter et maintenir l’allaitement. Des études sont en cours pour étudier l’effet de l’ocytocine sur le baby blues, une dépression qui peut survenir les jours suivant l’accouchement. Cela questionne la sensibilité des récepteurs neuronaux à l’ocytocine.
« L’ocytocine donne le tempo au début de la vie ! Elle joue un rôle majeur à la naissance et dans les premiers mois de vie puis, au moment de l’adolescence et dans nos relations amoureuses »
conclue Maïthé Tauber.