Biomimétisme : les promesses du cerveau pour l’IA
S’inspirer du vivant pour imaginer des solutions et inventions produites par la nature : tel est l’objet du biomimétisme, ce processus d’innovation qui s’impose dans la plupart des secteurs de l’activité humaine. En intelligence artificielle (IA), les neurosciences cognitives constituent une source d’inspiration privilégiée. Démonstration avec le chercheur CNRS Rufin VanRullen et la directrice adjoint du Centre européen d’excellence en biomimétisme, Laura Magro.
Par Valérie Ravinet, journaliste. Podcast enregistré le 9 mars 2021 à Toulouse.
Morceaux choisis
La définition de biomimétisme ?
Laura Magro : « Le biomimétisme est une approche créative qui consiste à s’inspirer du vivant et à le transposer dans d’autres activités humaines. C’est une démarche interdisciplinaire et une méthodologie de conception innovante dans laquelle on considère que le vivant est une référence de développement pour répondre à nos contraintes environnementales et enjeux actuels. »
Rufin VanRullen : « Nos activités en IA bio-inspirée constituent un sous-ensemble de celle, plus générale du biomimétisme. Les recherches sont également interdisciplinaires, à l’interface entre l’IA et les neurosciences. On cherche à comprendre le fonctionnement du cerveau et à en extraire des principes qui nous permettent de créer ou d’améliorer l’IA. »
Quelle est la méthodologie utilisée ?
LM : « Nous nous appuyons sur des travaux de recherche en conception innovante pour travailler à l’accompagnement de projets industriels. Comment on transpose et reformule une problématique technique et industriel pour faire le pont avec la biologie. Pratiquement, cette méthodologie est définie en huit étapes et est aujourd’hui soumise à une norme ISO. »
RVR : « Le principe de bio-inspiration que nous utilisons est identique : on étudie d’abord le système biologique vivant, le cerveau, puis on se tourne vers une application pour laquelle on tente de répliquer ces principes. »
Le cerveau, source d’inspiration pour l’IA
RVR : « Depuis une dizaine d’années, l’intelligence artificielle s’oriente vers la conception de réseaux de neurones artificiels, qui sont directement inspirés du fonctionnement du cerveau : l’information dans le cerveau est traitée par des neurones, il est donc possible de recréer des systèmes d’information artificiels sur le même principe. Cette approche, qui ne fonctionnait pas traditionnellement, est rendue possible grâce à la puissance de calcul des ordinateurs désormais considérablement augmentée. »
À quoi servent les réseaux de neurones artificiels ?
RVR : « Les applications sont vastes, certaines sont déjà basées sur cette technologie comme le système GPS ou les traductions automatiques, d’autres sont sur le point d’être mises au point. Je pense à la création de nouveaux médicaments de manière automatique, ou aux véhicules autonomes… Avec les méthodes existantes, il faut avant tout avoir accès à beaucoup de données. C’est une contrainte qu’il faudra résoudre, grâce à des systèmes d’apprentissage dits non supervisés ou semi-supervisés. »
Le cerveau est-il un organe vivant comme les autres ?
LM : « Nous avons depuis toujours une fascination pour notre corps et en particulier pour le cerveau. Mais, on peut imaginer que les recherches en matière d’IA pourront aussi s’inspirer de l’intelligence d’autres organismes vivants, des plantes aux céphalopodes, qui présentent d’autres formes de gestion de l’information. Il y a aussi un intérêt à se pencher vers les organismes très minimalistes, comme les insectes, qui avec un nombre restreint de neurones parviennent à atteindre des fonctions cognitives. »
Tout organisme vivant fonctionne-t-il sur le modèle du réseau ?
LM : « Il existe des interconnexions plus ou moins proches à toutes les échelles à travers lesquelles on peut observer le vivant, à l’échelle d’un écosystème, d’un organisme ou même de ses composants élémentaires. »
RVR : « Le réseau est un formalisme mathématique qui décrit un système avec des nœuds connectés entre eux. C’est un modèle qui n’a que la réalité qu’on lui donne. »
Y a -t-il une filiation entre intelligence humaine et intelligence artificielle ?
RVR : « Notre espoir est de parvenir à reproduire l’intelligence humaine dans un système artificiel, ce qui peut revêtir des significations différentes, allant de l’ordinateur toujours plus performant jusqu’à la reproduction de la conscience, dans la vision la plus extrême. »
LM : « En biomimétisme, on se demande ce que l’on apprend et ce que l’on comprend de la biologie pour résoudre des problèmes techniques. Ce sont des aller-retours entre technique et biologique qui vont nous aider à déterminer les limites de ce qu’on l’on envisage de transposer. Les réseaux de neurones résonnaient autrefois comme une métaphore, ils sont aujourd’hui une réalité technique qui permet de transposer de plus en plus finement les mécanismes. C’est en cherchant à reproduire les choses complexes qu’on les comprend plus finement. »
La bio inspiration est-elle une technique écologique ?
LM : « La question ne se pose pas au niveau de la recherche, elle devient prégnante lors de sa transposition vers un processus industriel. Nous privilégions des méthodes plus efficientes en consommation de données et construisons cette vision d’ensemble. »
RVR : « Aujourd’hui, on travaille sur ces aspects, en mentionnant a minima la quantité de carbone émis pour entrainer les modèles. C’est d’ailleurs cet apprentissage qui consomme de l’énergie, mais une fois entrainé, si le modèle est mis à disposition de la communauté, il consomme beaucoup moins. »
À propos des intervenants
Rufin VanRullen est chercheur CNRS au Centre de Recherche Cerveau et Cognition (Cerco - CNRS et Université Toulouse III - Paul Sabatier) et titulaire de la chaire « Apprentissage profond » de l’Institut interdisciplinaire d’intelligence artificielle de Toulouse, ANITI.
Laura Magro est directrice adjointe du CEEBIOS, Centre Européen d'Excellence en Biomimétisme en charge du développement scientifique.
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À propos d’Investiga’Sciences
Investiga’Sciences est une série de podcasts scientifiques, dont l’objectif est d’explorer un sujet avec deux experts, dans un débat au long cours. Chaque épisode est dédié à un thème et croise les regards et les expériences pour comprendre ses enjeux, ses défis, ses perspectives. Créé par la journaliste Valérie Ravinet, ce projet est soutenu par ANITI et l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées. Ont contribué à la réalisation de cet épisode : le dessinateur Ström pour le visuel, le Studio du Cerisier pour la prise de son et le jingle.