L’IA, nouvel eldorado du transport

Partagez l'article

Maths・Ingénierie

L’IA, nouvel eldorado du transport

ia delahaye transport

Avions civils, drones, liaisons terrestres : l’optimisation dans les transports est un enjeu de sécurité, de fluidité mais aussi une problématique environnementale forte. Avec l’IA, une nouvelle génération de transports prend forme. Démonstration avec Daniel Delahaye, enseignant-chercheur à l’École national d’aviation civile (ENAC).

Par Valérie Ravinet, journaliste.

À l’heure où la circulation dans les airs comme sur la terre se fait toujours plus dense, l’équipe du laboratoire de l’ENAC Optimisation et Machine Learning (apprentissage), menée par le Professeur Daniel Delahaye, s’attelle à la rendre plus fluide et plus sûre. Le moyen ? Des algorithmes efficaces et robustes pour toute une panoplie d’applications au sol et en vol. Le chercheur précise d’emblée le caractère opérationnel des recherches :

« Le travail que nous conduisons en optimisation mathématique est réalisé en association avec les industriels et les opérationnels pour être au plus près des décisions. »

Daniel Delahaye, titulaire de la chaire de recherche « IA pour la gestion du trafic aérien et mobilité urbaine à grande échelle » au sein de l’institut dédiée à l’intelligence artificielle de Toulouse, ANITI.

Dernier projet en date, mis au point en un temps réduit : 4-Cast, qui est actuellement en test au Centre de contrôle aérien de Reims et sera prochainement déployé dans les cinq centres de contrôle de France métropolitaine. L’outil automatise la configuration des salles de contrôle en assignant des contrôleurs à des secteurs aériens pour s’adapter en temps réel à la demande de trafic. « Alors que cette tâche était précédemment réalisée « à la main », l’outil assiste le chef de salle en lui proposant des solutions efficaces pour configurer le centre. 4-CAST est typique d’une réponse spécifique à un besoin opérationnel », souligne Daniel Delahaye.

L’IA pour rendre le ciel plus sûr

Dans le domaine de l’aviation civile, les projets visent à la fois à modéliser l’espace aérien et à développer des algorithmes qui améliorent les performances des opérations aériennes, au niveau des capacités de trafic et au niveau environnemental. L’équipe a ainsi mis au point des techniques d’optimisation de trajectoires d’avions permettant de réduire la consommation de kérosène, de minimiser la congestion d’espace aérien, de proposer des solutions de résolutions tactiques pour les contrôleurs lorsqu’ils doivent gérer l’évitement des collisions ou encore de proposer aux pilotes des trajectoires d’urgence permettant de ramener l’avion au sol lors de situations critiques à bord. Exemple célèbre : la perte des moteurs lors de l’amerrissage en 2009 du vol US Airways, connu sous le nom du Miracle de l’Hudson. 

« Nous essayons d’apporter de l’intelligence dans les systèmes afin d’assister efficacement les humains dans leurs décisions »

résume le chercheur.

Aéronefs de toute sorte

Autre défi : intégrer la circulation des drones dans l’espace aérien. Comment organiser le trafic de milliers de mobiles dans un même espace en quatre dimensions ? Comment définir les heures de décollage ou encore planifier les trajectoires ? Pour réduire les risques de collision, même en cas de trafic dense, on peut assigner aux drones une trajectoire stratégique : les objets volants sont placés dans des bulles en quatre dimensions - latitude, longitude, altitude et horizon temporel adaptatif en fonction de la densité de trafic. Ces zones, dans lesquelles ils sont autorisés à se trouver, sont définies à l’avance pour éviter de recalculer les trajectoires en permanence, mais peuvent être recalculées au niveau tactique afin de s’adapter en cas d’imprévu. « Ce sont des techniques d’IA assez anciennes (basées sur des métaheuristiques), des outils d’optimisation qui ont fait leurs preuves dans d’autres domaines. Elles fournissent des solutions de très bonne qualité dans des temps de calcul raisonnables. Elles sont adaptées aux problèmes complexes de grande dimension présentant une forte combinatoire. Mais elles nécessitent d’être certifiées par les autorités de l’aviation civile lorsque l’on souhaite les utiliser pour la résolution de conflits aériens. Pour le moment ce n’est pas le cas », précise le chercheur.

En route pour un trafic aérien plus vert

Étendant son domaine de recherche, le laboratoire est de plus en plus sollicité pour accompagner les équipes opérationnelles sur des projets à forte composante environnementale. Par exemple, définir des trajectoires qui évitent la formation de trainées de condensation, connues dans le monde aéronautique sous le nom de « contrails ». Ce sont ces trainées blanches qui se forment à la suite du passage d’un avion, à cause de la vapeur d’eau émise par les moteurs. Elles sont responsables d’une part sensible du « forçage radiatif » produit par le trafic aérien et contribuent dès lors au réchauffement climatique. « Ces nuages ne se forment qu’à la réunion de certaines conditions de température, d’humidité et d’altitude », explique-t-il. « Nous travaillons à définir des trajectoires qui permettent d’éviter leurs formations ».

Soyons multimodaux !

Les travaux d’optimisation s’orientent aussi vers des recherches en faveur d’une mobilité intelligente, en particulier pour trouver des solutions de gestion de mobilité multimodales – entre différentes sortes de véhicules. La voie choisie : le partage d’informations entre les différents modes de transport. Au sol, le partage peut être réalisé par perception collective - un vélo A est derrière un bus ; devant ce bus, une voiture B voit un obstacle et communique cette information au véhicule A -. Il peut aussi avoir lieu entre air et sol : communiquer à un aéroport en temps réel un blocage dans un transport ferroviaire, ou permettre le transport de passagers par un autre mode que l’avion en cas de défaillance d’une compagnie aérienne.

« La gestion plus anticipée et plus fine du trafic à grande échelle est une piste de travail pertinente pour l’optimisation »

conclut Daniel Delahaye avec enthousiasme.

 

Bio express

Ingénieur ENAC, Daniel Delahaye a poursuivi sa formation à l'Institut National Polytechnique de Toulouse et s’est spécialisé en traitement du signal et image. Il a consacré sa thèse de doctorat à l’automatisation de la sectorisation de l’espace aérien, à l’ISAE-ONERA, puis a rejoint le département d'aéronautique et d'astronautique du Massachusetts Institute of Technology (MIT).

Depuis 2008, il travaille pour la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) et dirige l’équipe de recherche Optimisation et Machine Learning du laboratoire de l’ENAC, qui compte aujourd’hui une vingtaine de chercheurs. Il collabore activement avec le MIT, Georgia Tech et la NASA (USA) sur le développement d'algorithmes d'intelligence artificielle pour les applications de gestion du trafic aérien. Il est titulaire de la chaire « IA pour la gestion du trafic aérien et mobilité urbaine à grande échelle » au sein de l’institut dédiée à l’intelligence artificielle de Toulouse, ANITI.