Changement climatique : quelles incertitudes ?

Partagez l'article

Terre・Espace

Changement climatique : quelles incertitudes ?

climat incertitude
Le lac éphémère Carnegie, en Australie-Occidentale © USGS, by Unsplash

Que savons-nous du climat de demain ? Alors que les météorologues font des prévisions pour les jours à venir, les climatologues réalisent des projections pour les décennies futures. Ils identifient des tendances plausibles des évolutions climatiques futures. À quelles incertitudes ces projections sont-elles soumises ?

Par Aurélien LINÉ, doctorant de Toulouse INP, et Saloua PEATIER, doctorante de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier, au Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique (Cerfacs).

 

Donald TRUMP : « Ça finira par se refroidir, vous allez voir ! »

Wade CROWFOOT : « J’aimerais que la science soit d’accord avec vous ! »

Donald TRUMP : « Je ne crois pas que la science sache. »

 

Cet échange entre l’ex-président américain et le responsable des ressources naturelles des États-Unis s’est tenu le 14 septembre 2020 lors du déplacement de Donald TRUMP en Californie. En dehors de leur aspect politique, ces affirmations posent plusieurs questions. Comment étudie-t-on le climat de demain ? D’où viennent les incertitudes dans les projections climatiques ? Comment les identifier, les explorer et les quantifier ?

 

Comment étudie-t-on le climat ?

Pour comprendre et anticiper le changement climatique, les scientifiques utilisent des jeux d’équations regroupés dans des modèles. Ainsi, l’atmosphère, l’océan, les continents ou encore la banquise sont divisés en cubes : c’est le maillage. Pour donner un exemple, dans le modèle de circulation générale toulousain l’atmosphère est divisée en 128 mailles en latitude, 256 en longitude, et 91 niveaux en altitude, soit 3 millions de mailles ! Puis, la résolution des lois de la physique, toutes les 15 minutes, donne l’évolution temporelle de différentes grandeurs pour chaque cube. Il s’agit ensuite de déterminer les valeurs moyennes mensuelles ou annuelles de températures, d’humidité ou de vitesse des vents. Les modèles du climat sont dits “numériques” car la résolution d’équations n’est possible qu’à l’aide d’ordinateurs puissants, appelés « supercalculateurs ».

 

maillage climat
Maillage d’un modèle de climat issu de la plaquette du projet MISSTERRE

 

Dans le cadre d’un programme mondial (projet d'intercomparaison des modèles couplés, ou CMIP en anglais), plusieurs centres de modélisation, dont un à Paris (IPSL) et un à Toulouse (CNRM-Cerfacs), développent et utilisent des modèles numériques pour simuler le climat du XXIe siècle : on parle alors de projections climatiques. Après publication, ces projections sont synthétisées par le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Un rapport paraît tous les 5 ans, présentant les avancées scientifiques et les derniers résultats. Les projections ont permis d’aboutir à un consensus scientifique sur plusieurs points, principalement : la température moyenne à la surface du globe qui va continuer à augmenter, la disparition de la banquise Arctique en été dès le milieu du siècle, et l’augmentation du niveau marin.

Donc la science ne sait pas rien… mais la science ne sait pas tout ! Améliorer nos projections permet de mieux anticiper le changement climatique. Pour ce faire, les climatologues cherchent à connaître, à comprendre et à quantifier les trois principales sources d’incertitudes auxquelles sont soumises les projections : l’incertitude socio-économique, l’incertitude sur la variabilité naturelle du climat et l’incertitude scientifique et technique.

 

Incertitude socio-économique : que ferons-nous demain ?

Quand on se demande quel sera le climat de demain, on pense tout de suite aux émissions de gaz à effet de serre. Les accords de Paris signés lors de la COP 21 de 2015 avaient pour ambition de limiter le réchauffement planétaire à 2°C à la fin du siècle par rapport à l’ère pré-industrielle (fin du XIXe siècle), en s’efforçant de limiter l’augmentation à 1,5°C. Pour cela, il a été décidé de réduire les émissions de gaz à effet de serre, chaque pays s’engageant à des contributions au niveau national. En septembre 2020, un écart important subsiste entre les niveaux d'émissions prévus par les contributions au niveau national et ceux, bien inférieurs, qui seraient compatibles avec la limite de température de l'accord de Paris. Cinq ans après la signature des accords, les actions politiques n’ont pas été assez ambitieuses pour atteindre les objectifs intermédiaires fixés.

Pour réaliser des projections climatiques, les scientifiques ne se limitent pas à la modélisation d’un futur où les accords seraient respectés, et où les facteurs impactant le climat seraient contrôlés. En supposant différentes évolutions démographiques, économiques et technologiques, ils ont construit plusieurs trajectoires possibles. Ils ont notamment imaginé 4 principaux scénarios socio-économiques (SSP). Par exemple, le scénario SSP1-2.6 se caractérise par une forte coopération internationale donnant la priorité au développement durable. Au contraire, le scénario SSP5-8.5 suppose une utilisation intensive des énergies fossiles, due à des politiques peu soucieuses de l’environnement et au développement traditionnel des pays émergents. Il en résulte un réchauffement beaucoup plus important à la fin du siècle dans le scénario SSP5-8.5 que dans le SSP1-2.6.

De même qu'un confinement ou un couvre-feu n'entraîne une modification des contaminations liées à la Covid qu'après plusieurs semaines, un ralentissement du réchauffement planétaire nécessite un effort de plusieurs décennies avant que les résultats apparaissent et soient pérennes. Cet effet est amplifié par le fait que le CO2 reste dans l’atmosphère pendant plusieurs siècles et que les océans ont une forte inertie thermique. Quand on parle de climat, les actes d’aujourd’hui auront des répercussions au cours des prochaines décennies, siècles, et milliers d’années. L’incertitude socio-économique reste la plus grande source d’incertitude dans les projections du climat de la fin du siècle.

 

Incertitude sur la variabilité naturelle : les cycles du climat jouent-ils avec nous ?

Si au long terme des facteurs extérieurs influent sur l’évolution du climat, ce dernier a aussi une variabilité naturelle qui possède un caractère aléatoire ainsi qu’une part de prévisibilité liée à des processus internes. De même que la météo varie à l’échelle de quelques jours ou d’une saison à l’autre, le climat connaît des cycles. Il existe des cycles courts, de l’ordre de quelques années à plusieurs dizaines d’années, qui peuvent avoir des impacts régionaux ou planétaires, ainsi que des cycles beaucoup plus longs, jusqu’aux ères glaciaires et interglaciaires, de l’ordre de centaines de milliers d’années. Entre 2000 et 2009, un réchauffement anormalement fort des océans a en partie camouflé l’impact du changement climatique sur l’atmosphère. Des processus internes au climat viennent ainsi amplifier ou ralentir, ponctuellement, le réchauffement atmosphérique global.

Les travaux de la communauté scientifique visent à améliorer la compréhension des mécanismes à l’origine des cycles du climat. De plus, afin de capter au mieux la diversité de l’état du système climatique induit par ces cycles, il est nécessaire de multiplier le nombre de simulations. L’objectif ici n’est pas de réduire l’incertitude liée à la variabilité naturelle mais bien d’explorer le plus largement possible son effet sur les projections. À court terme, l’incertitude liée à la variabilité naturelle peut être plus importante que celle liée au scénario socio-économique.

 

Aurélien LINÉ : « Afin d’affiner les projections climatiques en Europe, j’étudie les cycles naturels qui pilotent le climat des prochaines décennies dans cette région. Ils sont par exemple liés aux circulations atmosphérique et océanique de l’Atlantique nord, qui transportent plus ou moins de chaleur et d’humidité vers le continent. Nous avons réalisé un grand nombre de projections avec le modèle CNRM-CM6-1 pour représenter au mieux la diversité des états plausibles liés à la variabilité interne. La suite du travail consiste à créer différentes familles de projections par ressemblance entre leurs comportements. À terme, une étude comparative des observations et de ces familles nous permettrait d’être plus précis en réduisant l’incertitude liée à la variabilité naturelle. »

 

Incertitude scientifique et technique : comment faire face aux limites de la modélisation et au manque d'observations ?

La dernière source d’incertitude concerne les outils scientifiques et techniques à notre disposition. Les avancées technologiques de ces dernières décennies ont permis d’augmenter les ressources de calcul, améliorant ainsi la représentation des processus physiques ou chimiques de petite échelle. Ces processus, tels que les tourbillons, les nuages ou les orages sont plus petits que le maillage atmosphérique ou océanique du modèle et ont un impact à grande échelle. Ce sont souvent des modélisations plus fines d’un processus particulier, comme la convection ou le rayonnement solaire. Ils requièrent des données d’entrées appelées “paramètres” issues principalement de mesures de terrain. Certains de ces paramètres, comme le pouvoir réfléchissant d’une surface ou la taille d’un flocon dans un nuage, sont mesurables à un endroit et à un moment donné (à l’aide de satellites, de LIDAR, de radio-sondage, de bouées ...). Mais ils sont toujours connus avec plus ou moins de précision et ne sont pas disponibles sur toute la surface du globe et à tout moment. Les chercheurs n’ont souvent qu’un ordre d’idée de la valeur de ces paramètres et sont obligés de faire des approximations pour fournir des informations aux modèles. Ces approximations vont ensuite jouer sur la façon dont le modèle répond à un excès de gaz à effet de serre, ce qui crée des incertitudes dans les projections climatiques. L’incertitude scientifique et technique est la seule que l’on cherche vraiment à réduire en améliorant les modèles de climat et leurs paramétrisations.

 

Saloua PEATIER : « Ma thèse consiste à faire varier de manière aléatoire les paramètres physiques du modèle CNRM-CM6-1, développé à Toulouse, afin de créer plusieurs simulations climatiques. Cet ensemble de simulations permet de tester différentes valeurs plausibles des paramètres et d’explorer les différentes réponses du modèle au changement climatique. À terme, notre but serait d’identifier et de réduire l’incertitude liée au choix des paramètres, appelée incertitude paramétrique. D’un point de vue physique, c’est aussi l’occasion de mieux comprendre le lien entre les processus à petite échelle et l’évolution globale du climat. »

 

Quelle confiance dans les résultats de simulations imparfaites ?

Nos simulations numériques restent imparfaites et différents aspects du climat de demain demeurent imprécis. Quel sera l’effet du réchauffement sur les pluies ? Que se passera-t-il à l’échelle des pays, des villes ? Quels seront les effets des aérosols, qui sont à l’origine de processus physiques complexes ?

Malgré tout, ces simulations du climat sont capables de reproduire les processus fondamentaux de l’atmosphère et de l’océan, ainsi que les variations du climat passé. La connaissance des sources d’incertitudes des modèles permet de faire progresser et de renforcer la confiance que l’on peut avoir en certains aspects des projections climatiques. Le fait de travailler, dans le cadre de projets internationaux comme CMIP, avec de multiples modèles climatiques et des grands ensembles de simulations, est un levier essentiel pour quantifier les incertitudes, explorer différentes trajectoires et analyser le niveau de fiabilité des résultats. Ces méthodes ont déjà permis d’aboutir à un consensus fort sur le changement climatique et ses conséquences. Le “Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5°C” a notamment montré que chaque demi-degré supplémentaire compte et peut avoir de lourdes conséquences sur le niveau et la santé des océans, la biodiversité, ou encore la disponibilité en eau douce.

 

Visionner la vidéo explicative réalisée par Météo-France dans le cadre du projet CLIMRUN

 

Références bibliographiques

 

Cerfacs : Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique – CNRS, Total SA, Safran, EDF, AIRBUS Group, CNES, Météo-France, ONERA.