LiteBIRD : en quête des premières fractions de secondes de l’Univers
Un phénomène d’une violence extrême a certainement eu lieu dans les toutes premières fractions de secondes de notre Univers. Appelé inflation cosmique, ce mécanisme pourrait résoudre de nombreux problèmes soulevés par le modèle du Big-Bang. Mais ce n'est qu'une hypothèse et les astrophysiciens en recherchent les preuves directes. Si l’évènement s’est bien produit, il a dû laisser des marques encore visibles par nos télescopes ! C’est ce que va chercher à détecter le satellite japonais LiteBIRD, encore en phase de conception, projet dans lequel les laboratoires français et en particulier un toulousain sont fortement impliqués.
Par Léo Vacher, doctorant de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP).
Tels des archéologues, les astrophysiciens peuvent remonter dans le temps en observant directement le passé. Pour cela, en principe, il suffit d’observer très loin ! En effet, on sait que la lumière a une vitesse finie, elle met donc un certain temps à nous parvenir. Nous voyons toutes choses avec un certain décalage, le temps que la lumière parvienne jusqu’à notre œil. La lumière est extrêmement rapide (300 000 km par seconde !), cet effet est donc complètement imperceptible dans notre vie de tous les jours. Mais les choses sont différentes quand on fait face à l’immensité de l’espace… Commençons par la Lune qui se trouve à environ une seconde de nous à la vitesse de la lumière. En mettant un miroir à sa surface vous pourriez vous voir en décalé de deux secondes ! Le temps que votre lumière arrive sur le miroir et revienne. La lumière du Soleil, elle, met environ 8 minutes à voyager dans le vide du système solaire avant de venir nous éclairer. S’il venait à disparaître brutalement, nous ne verrions aucune différence avant 8 minutes.
Pour l’étoile la plus proche de notre soleil, Proxima du Centaure, il faut compter 4 ans. En continuant ce jeu de poupées russes, on arrive vite à plusieurs centaines de milliers d’années dans notre propre galaxie. Voilà pourquoi certaines étoiles que l’on peut voir dans le ciel la nuit sont peut-être déjà mortes ! En sortant de notre galaxie on peut atteindre plusieurs millions ou centaines de millions d’années. Des extra-terrestres qui regarderaient la Terre au télescope depuis une autre galaxie pourraient voir les dinosaures marcher.
Une question se pose alors : jusqu’où peut-on observer et donc jusqu’à quand peut-on remonter dans le passé ?
Une entrevue sur l’origine du monde
La réponse a été trouvée par accident en 1967 lorsque deux radioastronomes Penzias et Wilson, ont détecté dans leurs télescope un faible signal identique peu importe où ils observaient dans les régions vides du ciel. Ils crurent d’abord à un problème avec leur instrument dû à un couple de pigeons … mais ce fut en fait une découverte qui leur valut le prix Nobel ! Les deux astronomes venaient en fait de détecter le signal le plus lointain que l’on puisse détecter, dans lequel l’ensemble de l’Univers baigne : le « fond diffus cosmologique ». Un faible signal à une température de -270°C qui a voyagé pendant plus de … 13 milliard d’années.
La découverte du fond diffus cosmologique a eu l’effet d’un véritable choc pour la communauté scientifique. Il marqua le début d’une longue enquête digne de Sherlock Holmes, depuis plus de 50 ans, pour mieux comprendre comment et pourquoi il a été émis. De nombreuses missions ont été lancées, jusqu’au satellite Planck, la dernière grande mission satellite en date dédiée à l’observation de ce rayonnement primordial. Celles-ci ont complètement révolutionné notre vision de l’Univers et de sa naissance. Cependant, il reste de nombreuses inconnues, des mystères non résolus dans cette histoire, comme la fameuse inflation que LiteBIRD cherchera à détecter.
Et la lumière fut ...
Mais revenons d'abord à ce que nous savons. La présence du fond diffus cosmologique, aussi appelé rayonnement fossile, confirme que l’Univers était dans un état très dense et très chaud dans ses jeunes années, avant de se refroidir et de se diluer pour permettre la formation des galaxies. Le rayonnement fossile a été émis quelque 400 000 ans après la naissance de l’Univers (un clin d’oeil à l’échelle de ses vénérables 13,5 milliard d’années), quand la “soupe” de matière emplissant celui-ci fut assez froide et diluée pour que la lumière puisse passer au travers sans encombre.
Contrairement à l’idée reçue, c’est toute cette histoire qui est appelée « modèle du Big-Bang » et pas "l'instant zéro” qui est encore une grande inconnue de la physique. En effet, nos meilleures théories mathématiques semblent ne plus pouvoir s’appliquer si loin. Le nom de “gros bang” avait été choisi avant la découverte du fond diffus cosmologique pour moquer l’idée d’une « explosion créatrice ». A l’époque ce scénario ne semblait pas envisageable et prêtait plutôt à rire … Einstein lui-même n’y croyait pas.
La découverte du fond diffus cosmologique, le modèle du Big-Bang et les progrès faits sur les télescopes nous ont permis de remonter l’histoire des débuts cosmiques jusqu’aux toutes premières fractions de secondes avec une incroyable précision. Mais le travail des chercheurs est encore loin d’être fini car, sans avoir à remonter jusqu’à l’instant zéro, il manque certaines pièces du puzzle. Par exemple, comment est-il possible que le fond diffus cosmologique soit parfaitement identique d’un bout à l’autre du ciel ?
Cela signifie que les premiers instants du cosmos se sont passés de manière identique dans des régions séparées par des distances titanesques ! Souvenez-vous : la lumière met plus de 13 milliard d’années à nous parvenir depuis un côté de l’Univers, deux régions opposées du ciel émettent donc le même signal alors qu’elles sont séparées par une distance que la lumière mettrait 26 milliards d’années à parcourir ! Que ces deux régions soient si similaires n’est pas explicable dans le cadre du modèle du Big-Bang standard et il manque donc certainement une étape à notre histoire.
Un problème extrême nécessite souvent une réponse extrême … Aujourd’hui, les astronomes s’accordent à dire que la solution à ce problème est de considérer que, dans les toutes premières fractions de l’Univers, ces deux points extrêmement distants se trouvaient … au même endroit ! L’espace aurait alors pour ainsi dire gonflé énormément et très brutalement, séparant ces deux régions pour les mettre là où elles se trouvent aujourd’hui. Ce mécanisme qui semble extrême s’appelle « l’inflation » et offre en fait une solution relativement élégante pour expliquer les observations fines effectuées par Planck.
Mais alors, comment être vraiment sûr ? C’est là qu’une opportunité se présente : si un tel gonflement primordial a vraiment eu lieu, il a dû laisser d’infimes traces dans le fond diffus cosmologique. Ces hypothétiques traces se présentent sous forme d’un léger motif imprimé dans la polarisation (direction de la lumière) du fond diffus cosmologique, appelés modes B. L’aventure est donc lancée pour chercher cette preuve de l’inflation et le défi est colossal …
LiteBIRD et la quête des modes B
Pour déceler (ou non) les très discrets modes B, c’est l’ensemble du ciel qui devra être scanné et rescanné de manière très fine. C’est dans cette optique que l’agence spatiale japonaise (JAXA) a proposé la création du Lite (Light) satellite for the studies of B-mode polarization and Inflation from cosmic background Radiation Detection (LiteBIRD). Le nom est explicite et fait directement écho aux problématiques discutées précédemment : chercher les modes B comme preuve de l’inflation dans le fond diffus cosmologique. De nombreuses autres agences ont rejoint aujourd’hui le navire comme notamment les agences spatiales américaine (NASA), canadienne (CSA) et européenne (ESA).
Le lancement du satellite est prévu pour 2029. Il sera envoyé en orbite plus de trois ans au delà de la distance Terre-Lune. Autant dire qu’il ne sera pas possible de venir le réparer sur place en cas de problème ! Le télescope va observer chaque détail du ciel plusieurs fois de suite en le balayant lors de sa rotation sur lui-même et autour du soleil. Il sera équipé de trois télescopes différents observant la lumière à diverses longueurs d’ondes avec un très grand champ de vision. Une telle artillerie est nécessaire pour combiner autant d’informations possibles sur le fond diffus cosmologique en différentes régions du spectre électromagnétique. Chacun de ses trois télescopes sera composé de centaines de détecteurs refroidis à l’aide de techniques à la pointe de la technologie, jusqu’à une température très basse, bien plus froide que l’espace lui-même !
Le projet est aujourd’hui en phase d’étude de concept, la discussion est donc encore ouverte pour trouver quel sera le meilleur choix de construction de l’instrument pour sonder l’époque de l’inflation. C’est sur ce sujet que travaillent de nombreux scientifiques français aujourd’hui, dans plusieurs laboratoires et tout particulièrement à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP) de Toulouse. Une part de ce travail consiste à trouver comment les données de LiteBIRD seront analysées, comment fabriquer au mieux les détecteurs, que pourrons-nous dire sur l’inflation après la mission … De nombreux compromis sont encore à trouver afin de rendre sa conception optimale et un dialogue permanent s’opère entre théoriciens de l’inflation, astronomes, informaticiens, ingénieurs, opticiens, électroniciens … chacune et chacun devant faire face aux contraintes imposées par les autres.
Le Centre national d’études spatiales (CNES), situé à Toulouse, est très impliqué dans le projet et devrait avoir la responsabilité des deux télescopes à moyenne et haute fréquences (MFT et HFT). Beaucoup de poids pèse donc sur les épaules des chercheures et chercheurs toulousains quant à la réussite du projet. La construction d’un prototype dès l’an prochain est envisagée. Il permettrait alors un début de confrontation entre les idées de design et la réalité de l'expérience en laboratoire.
Une longue aventure qui commence
La quête des modes B est une course de longue haleine qui vient d’être lancée. Leur découverte ou non dans les dizaines d’années à venir marquera une révolution pour la cosmologie et notre compréhension de l’Univers. De nombreuses missions à court et long terme vont apporter leur pierre à l’édifice comme le télescope Simons Observatory, qui verra ses premières lumières l’an prochain ou les plus lointains CMBS4 et peut être PICO qui succèderont à LiteBIRD.
LiteBIRD reste cependant l’une des missions les plus ambitieuses allant dans cette direction et la seule à être intégralement conçue pour la recherche des modes B. Comme la mission Planck avant elle, elle sera le fruit de la collaboration internationale de centaines de personnes sur plusieurs dizaines d’années.
IRAP : Institut de recherche en astrophysique et planétologie (CNRS, Université Toulouse III - Paul Sabatier, Cnes)