Le sol, passerelle entre agriculture et climat

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Terre・Espace

Le sol, passerelle entre agriculture et climat

Echanges de carbone sol de la Terre et atmosphère

Changement climatique, réchauffement planétaire, gaz à effet de serre… Et si les sols étaient une partie de la solution ? Le CO2 émis par les activités humaines étant responsable d’une large part du réchauffement, comment limiter la teneur en gaz carbonique de notre atmosphère ? Le sol est le premier réservoir de carbone et les plantes constituent des pompes naturelles à CO2. Les scientifiques proposent des méthodes agricoles qui valorisent ce tandem sol/plantes pour stocker le maximum de CO2… sous nos pieds !

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Une TERRE, des SOLS

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Par Fabienne Doumenge, rédactrice et médiatrice scientifique, IRD, Service de Communication & Culture scientifique de la Délégation Régionale Occitanie

 

Le gaz carbonique : ennemi public numéro 1

Les bien nommés « gaz à effet de serre » (GES) ont vu leur concentration dans l'atmosphère terrestre grimper sans discontinuer depuis la fin du 18ème siècle, précipitant le réchauffement climatique. À lui seul, le dioxyde de carbone (CO2) est responsable de 75 % de l'effet de serre d'origine anthropique, c’est-à-dire lié aux activités humaines.

Intuitivement, la première réponse internationale à apporter serait de réduire ces émissions. Le Protocole de Kyoto (1997, déjà) engageait les pays industrialisés à œuvrer dans cette voie. La suite est moins prometteuse… De COP en COP (Conférence des parties à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques), chacun pouvait constater que, dans leur grande majorité, les États n’avaient pas réellement changé leurs pratiques.

Une alternative qui prend racine dans un processus naturel

Puisque ces injonctions ne suffiraient visiblement pas à lutter contre une augmentation de la température du globe, des scientifiques se sont mobilisés pour défendre l’idée de confiner le CO2, en complément des solutions avancées pour réduire ces gaz.

Agroécologie à Madagascar.  Amélioration des sols cultivés (parcelle de maraichage, ici des haricots, sur lesquels on a mis du fumier), Imerintsiatosika, Région d'Itasy, Madagascar.
Agroécologie à Madagascar. Amélioration des sols cultivés (parcelle de maraichage, ici des haricots, sur lesquels on a mis du fumier), Imerintsiatosika, Région d'Itasy, Madagascar. © Tiphaine Chevallier, IRD



 

Environ 30 % du CO2 atmosphérique étant capté par la végétation et une partie pouvant être intégrée au sol, lors de la décomposition des plantes sous forme de matière organique, l’initiative 4 pour 1000  propose de stocker le maximum de gaz carbonique…  sous nos pieds ! « Cette idée a priori simple consiste à utiliser une pompe naturelle à CO2 : le tandem sol + plantes », explique Tiphaine Chevallier, spécialiste du carbone des sols à l’Institut de recherche pour le développement (IRD, UMR ECO&SOLS). Lancée par la France lors de la COP 21 en 2015, cette initiative internationale fédère des acteurs à différents niveaux.

Sécurité alimentaire et lutte contre le changement climatique sont liés

Favoriser le stockage du carbone dans les sols permet de faire coup double. D’une part, cela permet de faire baisser la teneur de gaz carbonique dans l’air et, d’autre part, l’enrichissement des sols en matière organique améliore leur fertilité. Or, que ce soit pour faire face à une démographie humaine qui peine à ralentir ou s’adapter aux changements climatiques inéluctables, des pratiques agricoles durables doivent être développées. Les scientifiques de l’IRD - agronomes, écologues, généticiens, hydrologues, pédologues (spécialistes des sols)… - loin de livrer LA solution unique, testent des hypothèses variées pour proposer des méthodes adaptées aux différents contextes géographiques, climatiques et culturels.

Sensibiliser les scolaires et le grand public à la nécessité d’instaurer des systèmes alimentaires durables est l’un des moyens pour modifier les comportements. Le projet interdisciplinaire de médiation scientifique planet@liment  - porté par l’IRD Occitanie - s’y emploie.

Le sol est le premier réservoir de carbone

Le carbone du sol constitue plus de la moitié de la matière organique. Selon la nature des sols et l’usage qui en est fait, les stocks de carbone des sols sont très hétérogènes à l’échelle de la planète, variant de 5 à 350 tonnes à l’hectare. Cependant si on additionne tous les stocks de carbone des écosystèmes terrestres, on constate qu’il y a trois fois plus de carbone dans le sol que dans la végétation et deux fois plus dans le sol que dans l’atmosphère.

« En tant que réservoir majoritaire de carbone, les sols ont donc un rôle primordial dans la lutte contre l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre, livre Tiphaine Chevallier. D’ailleurs, les sols et leurs usages sont au centre de nombre d’objectifs de développement durable (ODD) définis par les Nations unies ».

Les plantes comme pompe à carbone

Le carbone se trouve au centre d’un cycle sans fin : les plantes intègrent eau et éléments minéraux du sol par leurs racines et du CO2 atmosphérique par leurs feuilles, grâce à l’énergie du soleil et au phénomène de la photosynthèse. « La matière organique ainsi produite constitue la biomasse de la végétation, celle-ci étant progressivement intégrée à la litière à la mort des végétaux, puis au sol » continue l’agro-écologue.

Tout atome de carbone inclus dans la végétation ou dans le sol correspond à moins de gaz carbonique dans l’air. À l’échelle du globe terrestre, même si sols et végétaux émettent du CO2, ils en stockent plus qu’ils n’en relâchent, réalisant ainsi un bilan carbone positif.

Instaurer un cercle vertueux

L’équation est donc simple : plus il y a de végétaux, plus ceux-ci absorbent du CO2, puis alimentent le stock de carbone des sols en se décomposant. Les éléments minéraux relâchés dans le sol lors de cette décomposition serviront à nourrir une nouvelle génération de plantes, la boucle est bouclée.

L’idée des pédologues, biologistes et agronomes vise à encourager ce circuit positif de façon à stocker davantage de carbone dans les sols.

C’est une piste complémentaire des efforts nécessaires à fournir pour limiter le relâchement de gaz carbonique des écosystèmes, en évitant la déforestation, préservant les zones humides et le permafrost. L’atout des forêts pour stocker le CO2 est connu. Les milieux humides constituent également des puits de carbone naturels et atténuent ainsi le réchauffement climatique. Quant au permafrost, appelé aussi pergélisol, ce sol dont la température se maintient en dessous de 0°C représente environ 20% de la surface terrestre et donc un réservoir de carbone majeur ; sa fonte aurait ainsi de lourdes conséquences.

Faire de l’agriculture une alliée

Le GIEC (groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) reconnait que le secteur « agriculture, foresterie et autres utilisations des terres » joue un rôle majeur dans les stratégies de réduction et de piégeage du CO2.  La FAO (Food and Agriculture Organization, l’organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) soutient, quant à elle, l’action commune de Koronivia pour l’agriculture. Ce processus acté lors de la COP 2017 reconnaît le potentiel unique de l’agriculture face aux changements climatiques.

agroforesterie Sénégal
Agroécologie au Sénégal : Un acacia Faidherbia albida en fin de saison humide, mil au fond et niébé en premier plan. Le Faidherbia albida est le plus connu des « arbres utiles » du Sahel, que les paysans conservent dans leurs champs en agroforesterie. © Tiphaine Chevallier, IRD

« Les facteurs qui influencent les stocks de carbone organique sont naturels (climat, type de végétation, type de sol) et anthropiques (occupation et usages des sols, pratiques agricoles). Optimiser les capacités des sols cultivés est l’une des voies à mettre en œuvre », argumente Tiphaine Chevallier. Il s’agit de favoriser les usages des sols et les pratiques agricoles qui augmentent les apports organiques et donc le stockage de carbone additionnel.

Par exemple, augmenter la production primaire - la biomasse végétale - de toutes les façons possibles : en plantant des arbres, en associant différents types de cultures, en favorisant l’agroforesterie, en ne laissant jamais un sol nu.

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », disait Lavoisier, aussi la valorisation des matériaux organiques non consommés pour notre alimentation ou celle de nos animaux domestiques ou encore issus de nos déchets biologiques devrait être promue. En agriculture, la réintroduction de fumier ou de compost dans le cycle de la matière permet de réaliser un cercle vertueux.

Fertilisation des sols par compostage à Madagascar. Fabrication du compost dans une ferme
Fertilisation des sols par compostage à Madagascar. Fabrication du compost dans une ferme, ici à Imerintsiatosika, région d'Itasy. © Tiphaine Chevallier, IRD

 

A contrario, toute pratique ayant comme conséquence la baisse du carbone du sol est à éviter. Les choix et actions des cultivateurs du monde entier - confrontés à des dilemmes - ne sont donc pas neutres.

Renforcer la résilience des systèmes agricoles africains

« L’agriculture est un pilier de l’économie africaine. Essentiellement familiale, elle constitue la principale source de revenus des populations rurales », est-il souligné dans l’introduction à l’ouvrage « Carbone des sols en Afrique » dont Tiphaine Chevallier est l’une des éditrices scientifiques.

Fertilisation des sols par compostage à Madagascar.  Fertilisation des sols par compostage, Atelier de compostage, utilisation de l'angady (outil traditionnel, bêche) Imerintsiatosika, Région d'Itasy, Madagascar.
Fertilisation des sols par compostage à Madagascar.  Fertilisation des sols par compostage, Atelier de compostage, utilisation de l'angady (outil traditionnel, bêche) Imerintsiatosika, Région d'Itasy, Madagascar. © Tiphaine Chevallier, IRD

Agriculture et changement climatique étant inextricablement liés, la question du carbone est au cœur des préoccupations du réseau Carbone des Sols pour une Agriculture durable en Afrique (CaSA). Ce réseau regroupe des pédologues, écologues et agronomes africains, malgaches et européens, convaincus du rôle clé de la gestion des sols, tant pour les objectifs d’atténuation climatique que pour assurer la sécurité alimentaire.

 

 

Les parcs agroforestiers au Sénégal

L’agroforesterie associe arbres, cultures et/ou animaux sur un même espace agricole. Cette association peut prendre des formes variées selon les peuples qui y ont recours : oasis du Moyen-Orient, jardins créoles, dehesa au Portugal, châtaigneraies pâturées de Corse...

acacia dans parc agroforestier au Sénégal
Le Faidherbia albida Mimosaceae est un arbre de grande taille très fréquent en Afrique. Résistant à la sécheresse, c'est le seul arbre du Sahel à perdre ses feuilles en saison des pluies et à reverdir pendant la saison sèche. Il offre alors un ombrage et un fourrage apprécié du bétail. © Fabrice Courtin, IRD

Dans le bassin arachidier sénégalais, la surexploitation de terres non cultivées (surpâturage, coupe de bois) et la culture permanente d’arachide et de mil (une céréale) en rotation depuis maintenant plus de 50 ans, ont fait perdre des quantités importantes de carbone du sol.  

La présence d’un acacia - Faidherbia albida -, arbre essentiel du parc arboré, pourrait changer la donne. Cette grande légumineuse procure une résilience à ces agrosystèmes en améliorant la productivité des plantes cultivées et en procurant du fourrage aux animaux domestiques en période sèche.

« Selon certains auteurs se basant sur des modèles de dynamique du carbone dans le sol, seule une plus forte densité d’arbres dans ces systèmes cultivés pourrait augmenter le stock de carbone du sol d’environ 11 Mg de carbone par hectare en 50 ans, rapportent Lydie Lardy et Dominique Masse, co-auteurs de l’ouvrage. Ce qui correspond au double du carbone engendré par un système de culture annuelle, même avec apports d'engrais minéraux ». L’agroforesterie offre ainsi une gamme variée de services allant de la conservation de la qualité des sols au soutien de l’économie locale.

Pratiques agricoles gagnant-gagnant ?

En résumé, plus il y a de végétation, plus les sols sont enrichis en carbone. Le message a le mérite d’être simple, mais sa concrétisation peut être compliquée. « Dans les pays sahéliens, la biomasse végétale est faible et il peut y avoir conflit d’intérêts sur son utilisation : laisser les résidus de culture au sol ou les donner aux animaux ? », souligne la scientifique.

Agroécologie à Madagascar.  Utilisation du fumier dans une parcelle de maraichage, ici à Imerintsiatosika, région d'Itasy
Agroécologie à Madagascar. Utilisation du fumier dans une parcelle de maraichage, ici à Imerintsiatosika, région d'Itasy. © Tiphaine Chevallier, IRD

Dans les faits, la marge de manœuvre est parfois mince lorsqu’on cherche à mettre en place des pratiques agricoles permettant aux populations de continuer à se nourrir malgré le changement climatique, tout en luttant contre les causes de ce changement.

« Il n’y a pas de miracle, conclut Jean-Luc Chotte, président du Comité scientifique français de la désertification, il faut continuer à investir dans l’agriculture et dans la recherche. Toutes ces initiatives ont besoin de cadre politique et de soutien ». Par exemple, le projet de la Grande muraille verte au Sahel qui promeut des pratiques de gestion agro-écologique et durable des terres de Dakar à Djibouti nécessite une solide coordination entre les onze états engagés autour de ce défi.

 

 

Exposition IRD une Terre des Solutions

Exposition « Une Terre, des SOLutions »

L’exposition « Une Terre, des SOLutions » aborde les enjeux, les défis et les solutions pour des sols au service d’une humanité durable. Conçue par l’Institut de recherche pour le développement (IRD), cette exposition s’appuie sur les travaux récents des chercheurs de l’IRD et de ses partenaires. Dans une dynamique de large diffusion des savoirs et du lien entre science et société, cette exposition peut être mise à disposition dans le monde entier.

 

Plus d’informations sur l’exposition : https://www.ird.fr/une-terre-des-solutions

Exposition disponible sur demande : exposition@ird.fr