Terre cuite : nos ancêtres les potiers

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Cultures・Sociétés

Terre cuite : nos ancêtres les potiers

Fouilles archéologique morceaux de poterie en terre cuite

Dans son rapport millénaire à la terre, l’être humain n’a pas seulement exploité les sols pour élever des animaux et faire pousser des plantes. Bien avant la révolution du Néolithique, il avait aussi inventé l’une des innovations majeures de l’histoire de l’Humanité : la poterie. Les terres cuites sont de fait le témoin de la transformation des sociétés de chasseurs-cueilleurs en agriculteurs-éleveurs. Leur étude archéologique permet de comprendre comment et pourquoi a eu lieu cette mutation.

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Une TERRE, des SOLS

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Par Sophie Chaulaic, journaliste

 

Elle est ocre, rouge, blanche, grise ou encore verte : l’argile, cette roche sédimentaire produite par l’érosion de la croûte terrestre, est exploitée par l’être humain depuis des milliers d’années. En témoignent les célèbres figurines de bisons (environ 12 000 ans avant notre ère) découvertes en 1912 en Ariège, premier exemple connu d'une statuaire en argile du Paléolithique supérieur. Mais il s’agit là de terre crue. La poterie ou céramique - par définition la terre cuite - apparait quant à elle 19 000 ans avant notre ère en Chine, raconte l’archéologue Jessie Cauliez, chercheuse au CNRS, au laboratoire Traces de l’Université Toulouse - Jean Jaurès. Même si des figurines en terre cuite datant du Paléolithique ont été retrouvées dans la République Tchèque de Moravie (la Vénus de Dolní Věstonice, 25 000 ans avant notre ère), précise la préhistorienne.

 

Vénus de Dolní Věstonice statuette terre cuite
La Vénus paléolithique du site archéologique de Dolní Věstonice est datée de 25 000 avant JC. Cette statuette en terre cuite est la plus ancienne céramique connue à ce jour. Sa hauteur est de 111 mm et sa largeur de 43 mm. © Musée morave de Brno

Jessie Cauliez est spécialiste de l’artisanat potier au Néolithique. Elle dirige des programmes de recherche pluridisciplinaire dans la Corne de l’Afrique et en Afrique australe. À partir des terres cuites, leurs sources d’approvisionnement, leurs techniques de fabrication, leurs usages, leur transmission, et leur diffusion, Jessie Cauliez cherche à recomposer les processus d’émergence des premières sociétés agro-pastorales.

« Le Néolithique marque un des changements majeurs de l’humanité. Aujourd’hui on y est encore. On vit de notre production de nourriture. »

 

 

La chercheuse travaille précisément sur le moment de bascule, au Néolithique, où les chasseurs-cueilleurs sont devenus producteurs de leur nourriture par la domestication du végétal et de l’animal. Le Néolithique, qui succède au Paléolithique et au Mésolithique, est cette période clé qui débute environ 10 000 ans avant notre ère et s’étale sur une longue chronologie. Elle voit naître l’agriculture, l’élevage et de profondes mutations sociétales. Les populations, jusqu’alors essentiellement nomades, se déplaçant au gré des saisons et de la mobilité des troupeaux, se sédentarisent. Des villages se forment.

La fixation du groupe sur un territoire crée alors des besoins, et avec eux, la nécessité de stocker puis gérer les ressources. « À partir du moment où des stocks émergent, les rapports entre individus, les obligations sociales, évoluent. Entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas ». Les communautés se structurent autour d’un pouvoir, souvent une chefferie. C’est à cette période que se développent les signes ostentatoires de richesse comme le monumentalisme funéraire.

Le Néolithique marque également une formidable évolution des technologies. La pierre n’est plus seulement taillée mais polie afin d’être plus résistante pour la fabrication des habitats, défricher des forêts et ouvrir des champs… Cette technique donnera d’ailleurs son nom à la période « néo-lithique : nouvelle pierre ».

L’artisanat potier, quant à lui, opère un tournant majeur dans les modes d’alimentation : contenant pour conserver les denrées, la poterie est aussi utilisée pour cuire, bouillir ou encore concasser les aliments. Les résidus incrustés sur les parois des récipients et l’usure de certaines céramiques montrent que les populations du Néolithique ont commencé à travailler les végétaux et la matière grasse (animale ou végétale). Si la poterie est d’usage au Néolithique, son apparition est quant à elle, bien plus ancienne.

« Contrairement à une vieille croyance, les plus anciennes poteries ne sont pas corrélées avec le Néolithique, donc avec la naissance de l’agriculture. »

L’archéologie a longtemps cru, relate Jessie Cauliez, que les poteries étaient apparues au sein des sociétés agricoles du Néolithique, avec le stockage des denrées issues de la culture comme les céréales et les légumineuses.

Pourtant, les recherches de ces quarante dernières années démontrent que les poteries les plus anciennes précèdent l’émergence de l’agriculture de près de 10 000 ans. Les populations fabriquaient et utilisaient les objets en terre cuite pour stocker le fruit de leurs cueillettes et sans doute pour des activités du quotidien ou du domaine symbolique.

De la même manière, le parcage d’animaux sauvages (on ne parle pas encore d’élevage) existait déjà chez les chasseurs-cueilleurs. Plus étonnant encore, les études révèlent des contextes d’exploitation intensive de la ressource sauvage.

À l’instar de la Chine citée plus haut, dans d’autres parties du monde, la poterie fait donc sa première apparition chez des groupes de chasseurs-cueilleurs non-sédentaires. Elle va perdurer et se développer au Néolithique. « Pour certains chercheurs, il y a deux grands foyers primitifs d’artisanat potier, l’Asie et l’Afrique, à partir desquels, cette technologie a diffusé », explique Jessie Cauliez. Or, selon la céramologue, il s’agit très probablement d’inventions potières nées ici ou là par activité exploratoire.

« La diffusion se fait de deux manières. Soit avec le déplacement des populations qui apportent et transmettent un bagage technique et économique, soit par l’observation et la circulation d’idées de proche en proche ». Ainsi, la poterie fait partie (avec les villages, l’agriculture et l’élevage) des innovations qui vont constituer le bagage révolutionnaire du Néolithique. Mais toutes les sociétés n’adoptent pas ce nouveau modèle.

« L’émergence d’une innovation et son adhésion peut être contrainte par un contexte auquel on doit s’adapter, mais cela a aussi pu être un choix, une orientation culturelle. »

De par sa longue chronologie, la période Néolithique ne signe pas la disparition soudaine des chasseurs-cueilleurs au profit des agriculteurs-éleveurs. Elle voit, au contraire, cohabiter sur plusieurs siècles les deux modèles économiques. « Au Kenya, raconte Jessie Cauliez, deux populations de cultures différentes étaient non seulement contemporaines, mais elles connaissaient l’existence de l’autre et utilisaient le même matériau, l’obsidienne, une roche volcanique, pour fabriquer des outils sur pierre taillée ».

Cette cohabitation interroge bien évidemment sur les causes et les conditions de passage d’un modèle économique à un autre. L’exemple kényan laisse supposer un véritable choix culturel de ces populations, lié à leur rapport à la terre. Un choix communautaire d’adhésion ou non-adhésion à l’agriculture et à l’élevage. Dans le bassin du Gobaad autour du lac Abhé (actuelle République de Djibouti), où Jessie Cauliez dirige des fouilles depuis de nombreuses années, une autre hypothèse est en cours d’exploration. Trois types de céramiques y ont été identifiés, dont deux correspondent chronologiquement à l’émergence des sociétés de production. L’occupation du bassin, qui était alors une vaste étendue lacustre, s’étale entre 20 000 et 3 000 ans avant notre ère. Au 3ème millénaire (avant notre ère), survient une phase d’aridité. C’est précisément à cette période que se mettent en place sur le site du lac Abhé les premières sociétés d’éleveurs. Ici, l’adhésion à ce modèle économique pourrait s’expliquer par le contexte climatique. A fortiori parce que le déterminisme environnemental reste très présent dans la littérature scientifique en ce qui concerne l’Afrique.

 

poterie néolithique
Poterie datée du 3e millénaire avant notre ère, découverte à Loubak Ali (République de Djibouti)
© Jean Michel Pène

« On pourrait se dire que les populations se sont sédentarisées et ont domestiqué les animaux à cause du changement climatique. Mais on trouve des monuments funéraires. Cela laisse supposer que ces populations étaient structurées avant d’être éleveurs ». Le monumentalisme funéraire, ostentatoire, était sans doute dédié à des individus au statut valorisé dans la société. Il a probablement nécessité une main d’œuvre importante pour le bâtir et une personnalité pour coordonner…

 

 

« Quelle était donc leur structuration sociale avant d’être éleveurs ? », se demande la chercheuse. Cela suggère que le climat n’est pas seul en cause. Et rejoindrait les thèses, défendues notamment par l’archéologue Jacques Cauvin ou encore l’anthropologue Alain Testart, selon lesquelles une révolution mentale aurait non seulement précédé, mais aussi préparé la révolution du Néolithique.

« La céramique est un marqueur de mobilité et d’identité culturelle. »

Si au Néolithique les groupes se fixent en villages et occupent de vastes territoires, les idées et les techniques, elles, continuent de circuler. « Ces premières sociétés de production sont dans un monde interconnecté avec des réseaux semi-nomadiques. Et elles innovent, notamment en termes de techniques céramique », explique Jessie Cauliez. Sur les différents sites du bassin du Gobaad, les objets retrouvés montrent des apports soudanais, provenant de centaines de kilomètres.

Les céramiques ont aussi leurs particularités. Chaque tradition technique est représentative d’un groupe social. En analysant les chaînes opératoires de fabrication des poteries, la chercheuse a accès à l’expression culturelle d’une société. « Les habilités motrices mises en œuvre dans la réalisation d’un acte technique, comme monter un vase par exemple, émanent des connaissances acquises au sein du groupe. Transmises de génération en génération, avec le poids de la tradition, des conventions, des tabous, des interdits… En maintenant et en reproduisant ces traditions, le groupe s’identifie sur le plan culturel », précise l’archéologue. « Parfois, on va tomber sur une même technique de fabrication mais avec un décor différent : là on est peut-être en présence de la signature du potier. Au sein d’un même groupe ». À cela s’ajoute les territoires d’approvisionnement. Les terres argileuses ont des sources, parfois lointaines. Cela suppose de la part du groupe une connaissance de l’environnement. Et réinscrit ces communautés sur l’occupation et l’exploitation à différentes échelles de leur territoire.

Ces connaissances millénaires sont toujours d’actualité. L’argile continue d’être utilisée dans nos sociétés modernes, que cela soit comme remède médicinal, comme matériau de construction (torchis) et bien sûr comme ustensile en terre cuite. Certaines techniques potières ont traversé les siècles. Parallèlement aux fouilles préhistoriques, Jessie Cauliez travaille avec des communautés de potières et de potiers en Éthiopie (Oromo, Afar, Woloyta…) qui perpétuent les modes de fabrication traditionnels. Des artisans et artisanes détenteurs d’un savoir aussi ancien que les premières sociétés d’agriculteurs-éleveurs…

 

Repères

Le Néolithique est la période définissant un changement clé de l’Histoire de l’humanité : elle voit les populations de chasseurs cueilleurs devenir progressivement des éleveurs et des agriculteurs. Ce phénomène planétaire s’opère sur des milliers d’années de façon différente et non synchroniquement selon les régions du globe. Le Néolithique émerge au Proche-Orient environ 10 000 ans avant notre ère. Dans le sud de la France, il arrive vers 6 000 avant notre ère. D’un point de vue climatologique, le Néolithique s’inscrit dans la période de réchauffement globale du climat sur la planète débutant vers 10 000 ans avant notre ère, appelée Holocène, et qui marque la fin des grandes glaciations.

 

Quand les sciences du passé contribuent au tourisme de demain…

Qu’il soit préhistorique, antique ou d’époque plus récente, le patrimoine archéologique d’Occitanie est un des plus riches de France, couvrant toute la chronologie de l’histoire des sociétés humaines. Récemment, trois pôles universitaires de recherche (Toulouse, Montpellier et Perpignan), réunis en consortium, ont obtenu un financement de 2 millions d’euros sur 4 ans dans le cadre des Défis Clés de la Région Occitanie. Objectif : soutenir la recherche fondamentale, laquelle, par ses travaux, contribue au développement d’un tourisme culturel citoyen, éclairé, et participatif, explique Nicolas Valdeyron, Professeur des universités à l’Université Toulouse - Jean Jaurès, directeur du laboratoire Traces, coordinateur du Pôle H-SHS de l’Université Fédérale Toulouse-Midi Pyrénées et Coresponsable de ce Défi Clé Sciences du passé de la Région Occitanie. Au total 16 laboratoires participent au projet, afin de créer une médiation autour de l’archéologie.