Microcosmos : les champignons, peuple invisible de nos sols

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Microcosmos : les champignons, peuple invisible de nos sols

système racinaire d'une plante avec champignons dans la terre

Les champignons sont apparus sur Terre il y a au moins 450 millions d’années. Sans eux, il n’y aurait pas eu de sol et donc de plantes, ni de dinosaures pour s’en nourrir et enfin pas d’humanité. Quelques centaines de millions d’années plus tard, les crises agricoles et environnementales nous conduisent à reconsidérer le rôle essentiel des champignons dans la production des plantes et la structure des sols. Plongée dans le monde caché de champignons souterrains.

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Une TERRE, des SOLS

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Par Nathalie Séjalon-Delmas, enseignante-chercheuse en sciences végétales à l'Université Toulouse III - Paul Sabatier

 

Plante et champignon : un couple fusionnel

Dans un sol, outre les racines des plantes, se trouve tout un cortège d’organismes gravitant autour de celles-ci. Dans cette zone particulière, nommée rhizosphère, cohabitent principalement des bactéries et des champignons interagissant avec les plantes, parfois comme pathogènes mais souvent bénéfiques à celles-ci. Ces interactions à bénéfices réciproques sont appelées symbioses.

Parmi les symbioses, celle qui concerne les plantes et les champignons dits « mycorhiziens à arbuscules » (MA) est la plus ancienne. Ces champignons cachés dans le sous-sol terrestre sont sans doute les plus anciens sur Terre. Des données fossiles révèlent leur présence pendant la période de l’Ordovicien, il y a 450 millions d’années. Ils ont très tôt établi des relations avec les premières plantes terrestres, ce dont témoignent les fossiles du Dévonien, période s’étendant de - 419 à - 358 millions d’années.

Les fossiles ne peuvent indiquer la nature de la relation, bénéfique ou non, entre la plante et le champignon. Il est cependant admis que l’adaptation des plantes au milieu terrestre a été permise grâce à l’interaction avec ces champignons. Cette symbiose concerne 72 % des plantes terrestres, à l’exclusion des plantes aquatiques notamment.

Au cours de l’évolution des plantes, d’autres groupes de champignons sont apparus, à partir de -250 millions d’années, les Ascomycètes et Basidiomycètes. Ceux-ci ont établi d’autres types de symbiose avec les plantes, telle que la symbiose « orchidoïde » avec les orchidées et la symbiose « ectomycorhizienne » avec les arbres. Les champignons qui ont une partie aérienne, hors-sol, appelée « carpophore », sont plutôt associés aux arbres, d’où leur présence en forêts. Les champignons qui nous intéressent ici sont uniquement souterrains, associés aux racines des plantes.

Une relation basée sur un échange de bons procédés

Comment se nourrissent les champignons ? Comme les animaux, ils sont dépourvus de chlorophylle. Ce pigment vert absorbant la lumière chez les plantes contribue à la photosynthèse, processus qui permet la synthèse de matière organique indispensable à la vie des plantes.

Les champignons sont donc contraints de trouver la matière organique - carbone, lipides et certaines vitamines - nécessaire à leur développement autrement. Ils ont trois modes de vie possibles pour leur permettre d’acquérir ces éléments essentiels.

Certains, comme les moisissures, vont se développer en décomposant la matière organique présente dans le sol, ce sont des saprotrophes. De la décomposition de cette matière organique morte (feuilles, écorces, bois, cadavres d’animaux…) résultera l’humus.

D’autres se développent en parasites sur les plantes ou les animaux, ou même encore sur d’autres champignons. Ils récupèrent ainsi tous les nutriments dont ils ont besoin, au détriment d’une cellule vivante, la conduisant le plus souvent à la mort.

Enfin, les champignons symbiotiques, tels que nos champignons mycorhiziens à arbuscules, vont échanger avec la plante le carbone nécessaire à leur existence, contre de l’eau, de l’azote, du phosphate et des sels minéraux qu’ils prélèvent dans le sol. Ce troc entre plante et champignon constitue un échange de bons procédés.

Racines de plantes et filaments de champignons, un vaste réseau pour puiser dans le sol

Les racines des plantes sont capables de se nourrir seules et de prélever eau et sels minéraux dans le sol. Cependant, comme la plante est immobile, il va rapidement se créer une zone, dite de déplétion, où les ressources sont épuisées autour des racines. Les champignons, par leurs filaments connectés à la racine de la plante, vont jouer le rôle d’extension. Capables d’explorer dix fois plus de volume de sol que ce que la racine ne peut explorer. Ainsi, en période de sécheresse, le champignon aide la plante à acquérir de l’eau plus loin et plus profondément que ce que les racines ne peuvent faire, permettant ainsi une meilleure résistance de la plante. 

Filament mycélien de champignon mycorhizien à arbuscules connectant une racine
Filament mycélien de champignon mycorhizien à arbuscules connectant une racine © Nathalie Séjalon-Delmas

De même pour le phosphate : cet élément n’est absorbable par les racines que sous forme minérale. Les champignons et bactéries minéralisent le phosphate présent sous une forme organique dans le sol. Le champignon assure ensuite le transfert vers la plante via son réseau de filaments mycéliens et les structures intraracinaires qu’il a établi (les arbuscules).

 

Les filaments souterrains ramifiés des champignons et connectés à plusieurs appareils racinaires de plantes, parfois d’espèces différentes, constituent des ponts, permettant le transfert des nutriments de l’une à l’autre.

Certaines plantes sont dépourvues de binôme fongique (ou mycobionte). Elles sont dites non mycorhiziennes, telles que les Brassicacées (famille des choux, colza, moutarde…) et les Chénopodiacées (betterave...). Elles compensent l’absence de réseau mycélien connecté par un système racinaire beaucoup plus touffu, car pourvu de racines latérales plus nombreuses que celles des plantes mycorhiziennes.

Les champignons souterrains MA vont également contribuer à la création de micropores dans le sol, permettant une meilleur infiltration et rétention de l’eau. Leurs filaments en poussant créent de micro cavités profondes et irrégulières, appelées anfractuosités, où les bactéries du sol vont se développer. L’ensemble permet aux plantes de mieux pousser.

Le champignon, bouclier physique et chimique pour la plante 

Outre l’intérêt nutritionnel apporté, une plante mycorhizée (en binôme avec un champignon) résiste mieux à certaines attaques de ravageurs et pathogènes racinaires. Trois raisons peuvent être invoquées. D’une part, une plante mieux nourrie est en meilleure santé et résiste mieux aux agressions et stress divers. D’autre part, la présence de champignon symbiotique dans la racine provoque une augmentation de ses défenses basales, c’est-à-dire les barrières physiques (accumulation de substances végétales rendant ardue la pénétration du pathogène) et chimiques (synthèse de protéines de défense…). Ce cocktail la rend plus réactive face à la tentative d’intrusion d’un organisme ennemi. On peut également invoquer la compétition directe pour l’espace racinaire entre le champignon symbiotique et l’organisme agresseur. Premier arrivé, premier servi.

Enfin, parmi les nombreux avantages offerts par la symbiose mycorhizienne, il y a également la protection des plantes contre les polluants du sol, en particulier les métaux lourds. Ces derniers, tel que le cadmium, peuvent être apportés par certaines industries polluantes, le recyclage des batteries ou encore, en milieu agricole, le cadmium est apporté par les engrais. Ce métal n’entre pas dans le métabolisme des cellules. Son absorption par les racines entraîne une accumulation cellulaire toxique pour la plante ou pour l’herbivore en fin de chaine alimentaire.

Les champignons MA ont la possibilité d’éviter cette toxicité. Plusieurs mécanismes sont possibles, en fonction de l’élément polluant et de l’espèce de champignon. Parfois, le champignon va sécréter des substances qui vont se lier au métal polluant, l’immobilisant dans le sol et le rendant non accessible à l’absorption racinaire. Ces substances peuvent être des acides organiques ou de la glomaline. Dans d’autres cas, le champignon va absorber le métal polluant et le séquestrer dans ses filaments, diminuant ainsi la concentration du polluant dans le sol de la rhizosphère (l’environnement racinaire).

Les champignons, alliés d’un sol de qualité

Cette symbiose particulière peut être utile et utilisée à plusieurs niveaux. Ainsi, des projets de « bioremédiation », décontamination et assainissement, des sols pollués via la symbiose plante - champignon (endomycorhizienne) ont émergé dès les années 2000. Que ce soit pour la restauration de sols de sites miniers ou d’anciennes friches industrielles.

Le principe le plus souvent établi est d’identifier la communauté de champignons symbiotiques toujours présente dans le sol (c’est-à-dire résistante à la pollution), la multiplier pour en faire un inoculum, une substance destinée à être « inoculée », apportée dans les zones où le sol a été excavé et remanié. La difficulté consiste à multiplier ces champignons qui ne peuvent vivre sans l’association racinaire avec une plante.

L’agriculture urbaine qui conçoit la production légumière en ville, sur des sols remaniés et appauvris, est un débouché pour les entreprises productrices d’inoculum. En effet, les plantes en ville sont soumises à des stress multiples, sécheresse, vent (en particulier lorsque la culture est sur un toit), ilots de chaleurs, sols pauvres en matière organique et vers de terre, tassés voire pollués. L’effet de ces symbioses sur la santé de la plante et sa productivité sera d’autant plus évident que la plante sera soumise au stress.

Un couple fragile face à l’agriculture conventionnelle

En agriculture conventionnelle, le labour et l’apport d’engrais entraine une rupture du couple plante – champignon et une perte de diversité. En effet, le labour va casser les réseaux mycéliens. Quant à l’apport d’engrais, la plante nourrie en phosphate minéral via ces intrants n’a plus besoin de recourir à la symbiose mycorhizienne, qui lui coûte du carbone. Le troc carbone - phosphate du couple n’a plus lieu d’être.

Or, plusieurs études prévoient une crise du phosphate : un épuisement des réserves mondiales de phosphate minéral injectable dans les plantes sous forme d’engrais d’ici une cinquantaine d’années. Le rôle des champignons qui assurent cette transformation et ce transfert de phosphate organique à minéral aux plantes sera, dans ce contexte, d’autant plus crucial pour assurer la bonne « alimentation » et la survie des plantes.

Les études montrent que dans les sols agricoles cultivés de façon conventionnelle, l’abondance de champignons est plus faible que dans les sols cultivés en agroécologie. Les plantes sont également moins mycorhizées. Quant à la diversité, si elle n’apparait pas inférieure en nombre d’espèces, l’agriculture conventionnelle favorisera certaines d’entre elles, en particulier les pionnières, celles qui s’installent les premières dans les racines des plantes jeunes et les plus résilientes face aux perturbations du labour. La perte de diversité est ainsi cachée, doublement, d’abord parce que ces champignons du sol ne se voient pas et parce que les calculs d’indice de diversité ne révèlent pas ces changements.

Moins d’espèces de champignons égale moins de services écosystémiques ?

Il est très difficile d’évaluer la perte éventuelle de service écosystémique liée à cette modification de diversité. En effet, le sol n’étant jamais complètement dépourvu de champignons, des comparaisons de cultures de plantes avec ou sans champignons ne sont pas envisageables.

Mais est-ce que les champignons restants sont les plus adaptés aux plantes cultivées dans ce champ ? Face au stress hydrique estival, seront-ils les plus performants dans la recherche et le transfert de l’eau ? Enfin, peu de choses sont connues sur l’effet de la température sur les champignons, en général, ni sur la symbiose. Est-ce que face au changement climatique la symbiose mycorhizienne aidera les plantes cultivées à s’adapter ou sera-t-elle elle aussi affectée ? Des recherches récentes, montrent que si la symbiose mycorhizienne aide la plante (du blé) à croitre avec des températures élevées, le bénéfice apporté varie en fonction de l’espèce de champignon. Alors qu’attendons-nous pour mettre les mains dans la terre et se préoccuper de ce qui se passe sous nos pieds ?

 

Pour aller plus loin

M.-A. Selosse, Jamais seul : ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations, Arles, Actes Sud, 2017, 368 p.

M.-A. Selosse, L’origine du monde : Une histoire naturelle du sol à l’intention de ceux qui le piétinent, Arles, Actes Sud, 2021, 480 p.

M.-A. Selosse, « Les champignons qui nourrissent les plantes : les associations mycorhiziennes », in Francis Hallé (ed.), Aux origines des plantes, 2008, p. 266–281. Fayard, Paris.

M.-A. Selosse, Le sol vivant, Webinaire, 2022

G. Bécard, « La place des symbioses végétales en agriculture biologique »