Biogaz : une filière en pleine ébullition
La France n’a plus de gaz fossile, mais elle a… du biogaz ! Produit à partir de matières organiques, telles que des déchets agricoles, ce méthane de substitution pourrait bien peser lourd dans le mix gazier à l’horizon 2050. Une condition : réussir le passage à l’échelle industrielle. En Haute-Garonne, la plateforme Solidia sert justement de pont entre la recherche et les entreprises.
Plug and play. Traduisez : « je branche et je joue ». Issue du jeu vidéo, cette expression vient spontanément à Sébastien Pommier pour résumer la fonction de la plateforme Solidia dont il est responsable. « Plug, on vérifie les choses ensemble, on vous indique les règles à respecter. Ensuite, c’est play : à vous de jouer ! »
Enfin, façon de dire. Car Solidia n’est pas exactement un jouet. Coiffée par deux structures, le laboratoire Toulouse biotechnology Institute (TBI, sous tutelle INSA, INRAE, CNRS) et le Centre régional d'innovation et de transfert de technologie (CRITT), fortement soutenue par le transporteur de gaz Teréga, elle est LE point de rencontre en Occitanie entre acteurs et actrices d’une filière en pleine ébullition, celle du gaz renouvelable, produit à partir de matières organiques. Également nommé « biogaz », il vise à supplanter le gaz fossile dont l’Europe, et la France en particulier, manque cruellement alors que son prix de marché grimpe en flèche depuis fin 2021.
Pour trouver Solidia, il faut filer (pas forcément plein gaz) au sud de Toulouse. La plateforme a trouvé refuge à Bélesta-en-Lauragais, sur le site de Cler Verts, entreprise pionnière dans la région en matière de recyclage des déchets ménagers et de production de biogaz. « En 2014 - 2015, le CRITT a eu besoin de réaliser des tests à plus grande échelle pour mieux comprendre le procédé de la méthanisation en voie solide discontinue, se souvient Sébastien Pommier. L’ouverture de l’usine de Cler Verts en octobre 2016 a été l’opportunité formidable d’y installer nos réacteurs ».
Les méthaniseurs, des estomacs de vaches mécaniques
La méthanisation est souvent présentée comme l’imitation d’un processus naturel, la digestion des ruminants. À l’intérieur d’une cuve imperméable à l’oxygène de l’air (le bioréacteur), des bactéries dites anaérobies (elles se développent à l’abri du dioxygène) dégradent des matières organiques, c’est-à-dire riches en carbone, en libérant du dioxyde de carbone et du méthane, rebaptisé « biométhane » pour le distinguer du gaz fossile.
La métaphore digestive n’est qu’en partie exacte, car les vaches ne se nourrissent pas d’excréments, alors que les méthaniseurs, si. La plupart de ceux qui sont installés en France sont dits en « voie liquide », car ils recyclent pour l’essentiel des lisiers d’élevage. Une minorité n’utilise que des corps solides, tels que des résidus de cultures, des déchets organiques de restauration ou de l’industrie agro-alimentaire. Cette « voie solide » est dite discontinue car il faut régulièrement interrompre la fermentation pour évacuer le digestat, matière solide et inodore utilisée comme fertilisant.
Solidia : un écosystème écologique et économique...
« Avec les responsables de Cler Verts, ça a clairement matché », se réjouit Sébastien Pommier. Ils autorisent même Solidia à mettre en place une déviation sur le gaz produit par leur propre méthaniseur. L’intérêt ? Une PME (petite ou moyenne entreprise) ou une start-up sans expertise en R&D (recherche et développement), mais désireuse de tester un procédé nouveau peut ainsi s’approcher au plus près des conditions réelles de l’industrie, lesquelles sont toujours plus incertaines que celles, contrôlées donc plus artificielles, du laboratoire. Par exemple, du fait qu’il est issu d’organismes vivants, le biogaz voit sa composition fluctuer en permanence en fonction des matières, très hétérogènes, qui sont digérées dans le réacteur.
Mais le service aux PME ne s’arrête pas là. Pour être commode à utiliser, le biogaz de Solidia est mis sous pression à 10 bars. Grâce à la présence d’un électrolyseur, du dihydrogène est aussi disponible à cette même pression, tout comme de l’azote, gaz inerte destiné à sécuriser les installations pilotes avant toute intervention de maintenance . Sans parler de l’air comprimé pour les actionneurs et les électrovannes. C’est ça, le plug and play de Solidia ! Un « véritable bêta-testeur industriel », pour reprendre les mots du directeur de l’INSA (Institut national des sciences appliquées) Toulouse Bertrand Raquet, mis à la disposition de qui en a besoin.
« Solidia concrétise notre stratégie de recherche et de formation au service des territoires et de leurs enjeux de transformation. Aux côtés de nos partenaires industriels Terega et Cler Verts et des collectivités, nous mobilisons nos expertises dans un continuum de la recherche fondamentale aux transferts technologiques, adossés à des démonstrateurs préindustriels (...) pour des innovations répondant aux urgences d’une transition énergétique et environnementale. Nous sommes aujourd’hui particulièrement fiers de cette nouvelle plateforme, véritable bêta-testeur industriel », résume Bertrand Raquet, directeur de l’INSA Toulouse.
Aujourd’hui encore, Solidia accompagne des PME sur les processus de méthanisation : avec NEREUS, par exemple, elle travaille à un procédé d’extraction de l’azote présent dans les digestats, lequel suscite d’ailleurs un fort intérêt de la part de l’hébergeur Cler Verts. « Dans les écosystèmes que nous aidons à mettre en place, il arrive que les acteurs fassent du business ensemble, et nous en sommes très fiers », résume Sébastien Pommier. Néanmoins, en quelques années, la demande des client·es a évolué. Ils et elles se soucient désormais davantage du destin de leur production.
… pour chauffer et produire de l’électricité
En France, sur plus de 1300 unités de méthanisation installées, le plus souvent sur des exploitations agricoles, 72% d’entre elles brûlent leur biogaz « à la ferme » pour chauffer une étable, un poulailler ou une serre et la grande majorité produisent en plus de l’électricité (on parle alors de cogénération) revendue à EDF. Une minorité (28%) l’injecte dans le réseau sous forme de biométhane où il se mêle alors au gaz fossile jusqu’à la gazinière du consommateur. Pourquoi si peu ? Parce que le biogaz doit subir des transformations pour se muer en biométhane. Et que cela coûte cher.
Deux opérations sont nécessaires. D’une part, une épuration par filtration afin d’éliminer le CO₂ et les éléments nocifs comme le dioxyde de soufre. D’autre part, un enrichissement pour produire davantage de biométhane à partir du CO₂ qui, ainsi, peut être valorisé. Sur ces deux volets, Solidia accompagne des entreprises.
Concernant l’épuration, la plateforme servira prochainement de support au projet EPUROGAZ qui vise à développer un purificateur aussi simple que possible, y compris pour de petits débits. À la base du procédé issu des travaux de TBI, en collaboration avec des entreprises locales et le soutien de GRDF, le biogaz est injecté dans une colonne d’eau circulant sous pression ; le dioxyde de carbone étant plus soluble que le méthane, il est envisageable de séparer les deux flux. Un tel procédé d’épuration à bas coût, déployable sur les petites installations, permettrait d’orienter massivement la production vers le biométhane. La volonté politique est là, et les scénarios étudiés par l'Ademe (l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) ont montré que, moyennant un effort de sobriété, la méthanisation contribuerait en 2050 à couvrir le tiers de nos besoins en gaz grâce au biométhane renouvelable issu des gisements français.
Ne pas confondre méthanisation et méthanation
Côté enrichissement, la PME ENOSIS est accompagnée par TBI et Solidia sur un projet de transformation biologique du CO₂ en… méthane ! On doit à un certain Sabatier - oui, le Paul Sabatier qui a donné son nom à l'université toulousaine - la découverte d’une réaction qui, en combinant dioxyde de carbone (CO₂) et dihydrogène (H₂), donne du méthane (CH₄) et de l’eau (H₂O). On parle alors de méthanation (non, ce n’est pas une faute d’orthographe). Le CO₂ n’est pas un souci, il est produit en abondance par les méthaniseurs. Pour le dihydrogène, il faut compter sur les productions excédentaires d’électricité afin de le produire proprement à partir d’électrolyse de l’eau. Pourquoi ne pas utiliser directement cet H2 comme vecteur d’énergie ? Parce qu’il a besoin d’être comprimé à 700 bars ou refroidi à -252°C pour être stocké... Le méthane, lui, est bien plus facile à gérer. Aujourd’hui, un petit réacteur à méthanation d'une vingtaine de litres a été mis au point. Mais pour atteindre un stade industriel, il faudra multiplier par 100 à 1000 ce volume.
Refaire du méthane à partir de dihydrogène et de CO₂ constitue la voie dite power-to-gas : selon l’Ademe, elle pourrait elle-aussi contribuer à hauteur d’un tiers au mix gazier français en 2050. Pour être complet, il faut ajouter qu’en parallèle de la voie biologique détaillée plus haut, Solidia accueille aussi un projet expérimental de méthanation sur une base technologique différente. Nommé METHAMAG, il utilise un procédé catalytique très innovant, basé sur l’induction magnétique, soutenu par Toulouse Tech Transfert et porté par l’INSA de Toulouse.
Au-delà de la pipette
Alors que, difficulté d’approvisionnement en cartes électroniques oblige, des travaux de modernisation se prolongent plus que prévu, la plateforme Solidia peut regarder dans le rétroviseur avec satisfaction. La collaboration avec Cler Verts a permis de proposer à ses clients des solutions dimensionnées à une échelle supérieure au simple laboratoire. Comme le rappelle Sébastien Pommier : « Aux industriels, on ne dit pas « on va vous aider avec nos pipettes et nos Erlenmeyers » (un récipient très utilisé en laboratoire de chimie), mais plutôt « cette vanne n'est pas la bonne, il faudra en tester d'autres » ou encore « là, vous aurez besoin de tel niveau de certification ». Nos réponses, concrètes et techniques, leur font gagner du temps, de l’argent et des compétences ». En s’approchant des conditions grandeur nature, les personnels débroussaillent aussi les questions de sécurité, de règles et de procédures, si importantes dans l’industrie.
Revers de la médaille : travailler à une échelle intermédiaire vire parfois au casse-tête technique. « En résumé, expose Sébastien Pommier, pour le très gros on sait à qui s'adresser, pour le très petit aussi mais dès qu'on travaille entre les deux le marché devient étroit et on manque de fournisseurs ». Un exemple : alors que les distributeurs de liquide d'arrosage à la taille d'une usine avoisine les 500 m3/heure, l’un des projets nécessitait un modèle de « seulement » 10 m3/heure. L’équipe s'est cassé les dents faute de pouvoir reproduire un dispositif à cette échelle. « C’est ça quand on propose un service nouveau, philosophe l’ingénieur. Le problème, c’est qu’il est nouveau... »
« Moyennant un effort de sobriété, la méthanisation contribuerait en 2050 à couvrir le tiers de nos besoins en gaz, grâce au biométhane renouvelable issu des gisements français. »
Sébastien Pommier est ingénieur de recherche en génie des procédés biologiques et de l’environnement à l’INSA (Institut national des sciences appliquées) Toulouse, au sein du CRITT (Centre régional d'innovation et de transfert de technologie) « Génie des procédés et technologies environnementales » et du Toulouse biotechnology Institute - TBI (INSA, CNRS, INRAE). Il est responsable de la plateforme Solidia qui propose un environnement expérimental pour l'accueil de pilotes de taille semi-industrielle au bénéfice de projets liés aux réacteurs biologiques, à la valorisation de digestats et du biogaz (un service TBI, CRITT, en partenariat avec le transporteur de gaz Terega et le site industriel Cler Verts).
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