Low-tech : 1, 2, 3… Soleil !

Partagez l'article

Maths・Ingénierie

Low-tech : 1, 2, 3… Soleil !

Isaac Newton et les rayons solaires

De la légende des « miroirs ardents » d’Archimède ayant mis feu aux navires de l’armée romaine à Syracuse, aux travaux de Léonard de Vinci ou Lavoisier, on sait que la production de chaleur par concentration des rayons du Soleil est connue depuis bien longtemps. Cette technologie est remise au goût du jour par certains scientifiques dans le but de savoir si elle peut représenter une réelle alternative pérenne au charbon, gaz ou autre pétrole face à l’urgence climatique. Dans une démarche low-tech, des travaux d’expérimentation métallurgique et de modélisation sont en cours en Occitanie. Regards croisés entre deux spécialistes, Julian Carrey et Simon Eibner, autour de ces enjeux.

Cet article fait partie du dossier

ÉNERGIE : se renouveler

Lire le dossier

Aujourd’hui, quand on pense énergie solaire, on pense (trop) rapidement photovoltaïque et électricité. Loin s’en faut ! Le Soleil est avant tout une source de chaleur, qui peut répondre à beaucoup de nos besoins. Cette chaleur peut être directement utilisée ou être convertie pour produire de l’électricité. On parle alors de solaire thermodynamique.

Et le calcul est assez simple : pour produire une unité d'électricité (1 Kilowatt-heure/kW.h ), il faut trois unités de chaleur. « Alors convertir l’électricité en chaleur, en faisant chauffer de l’eau dans une bouilloire électrique, n’est pas logique et même dommage ! Finalement, on a besoin de l'électricité pour des applications spécifiques comme s’éclairer, brancher nos appareils électriques, pour la mobilité… La transition énergétique ne doit donc pas se focaliser uniquement sur nos besoins en électricité. Il faut améliorer la production de chaleur renouvelable qui est, à mon sens, pour l’instant un peu négligée », regrette Simon Eibner, maître assistant à l’IMT (Institut Mines-Télécom) Albi-Carmaux, membre du laboratoire RAPSODEE (Recherche d'Albi en génie des procédés des solides divisés, de l'énergie et de l'environnement) et du groupe de recherche national EDstar dont les études portent notamment sur le solaire à concentration et le stockage thermique.

En effet, quand on sait que selon l’Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), près de 50% de nos besoins sont des besoins en chaleur, autant aller directement la chercher à la source !

Le solaire à concentration, un jeu d’enfant ?

Enfant, vous avez peut-être déjà essayé de démarrer un feu à l'aide d'une loupe au Soleil ? C’est exactement le même principe : l’idée est de concentrer les rayons du Soleil en un point unique pour en exploiter toute la chaleur.

Il existe dans le monde plusieurs centrales thermodynamiques à concentration solaire, principalement utilisées pour produire de l’électricité. Certaines centrales sont de grandes tours ceinturées de nombreux miroirs (les héliostats, du grec « qui fixe le Soleil »). Situés au sol, les héliostats sont orientables afin de réfléchir les rayons du Soleil en direction du sommet de la tour, vers un récepteur dans lequel circule un fluide caloporteur (huiles ou sels fondus pour supporter de hautes températures). Chauffé par les rayons, celui-ci transfère sa chaleur à un circuit d’eau. La vapeur ainsi créée entraîne une turbine pour produire de l’électricité. Le fluide caloporteur peut être stocké dans des réservoirs afin de redistribuer la chaleur, même après le coucher du Soleil.

 

Tour solaire concentration
Modélisation d'une tour solaire avec des nuages. Image réalisée par Simon Eibner. Les codes informatiques libres et open-source (« hrdr » et « solstice ») permettant le calcul de cette image ont été construit par l'entreprise Meso Star. Le code hrdr est issu des travaux de thèse de Najda Villefranque, docteure en physique de l'atmosphère de l'Université de Toulouse. Les nuages ont été calculé par Météo France et importé dans la scène.

 

La plus grande tour solaire à concentration se trouve dans le désert de Mojave en Californie. Sa puissance électrique correspond à environ un quart d’un réacteur nucléaire. Cependant, dans la démarche low-tech évoquée ici, l’idée est d’utiliser le solaire à concentration pour bénéficier de la chaleur comme telle, afin de répondre à nos besoins en la matière directement.

Replacer la science dans une démarche low-tech

Dans la course à l’innovation où tout va toujours plus vite, plus loin, le low-tech fait parfois figure de vilain petit canard. Souvent issu de technologies « simples », il semble ne pas avoir sa place face à un développement high-tech toujours plus complexe et compétitif.

Et pourtant. À l’heure d’une situation climatique de plus en plus préoccupante, s’intéresser à un mode de fonctionnement moins impactant sur l’environnement et les sociétés humaines paraît fort pertinent. Une problématique à laquelle Simon Eibner, comme Julian Carrey, enseignant-chercheur à l'INSA (Institut national des sciences appliquées) de Toulouse, s'intéressent depuis longtemps.

« Aujourd’hui avec la crise énergétique, on se rend compte des fragilités de notre modèle énergétique, basé principalement sur la consommation d’énergies fossiles et fissiles », note Simon Eibner.

« Pour moi c’est une réflexion de long terme qui englobe le rôle de la recherche face à l’urgence climatique, explique Julian Carrey. Avec mon collègue Sébastien Lachaize, nous avons été inspirés et alimentés dans nos réflexions par les différents ouvrages de Philippe Bihouix, ingénieur spécialiste des ressources minérales, qui ont popularisé la notion de low-tech en France. Notre définition est aujourd’hui la suivante : une technologie est low-tech si elle constitue une brique technique élémentaire d’une société pérenne, équitable et conviviale. »

Après avoir porté leurs réflexions sur plusieurs sujets d’étude, les deux chercheurs toulousains ont opté pour le solaire à concentration. Pourquoi ? « Parce que c'est un sujet innovant avec de réels enjeux scientifiques modernes dans le sens où l’on peut expérimenter des choses encore jamais faites par le passé. L'idée plus personnelle est aussi de montrer que les chercheurs peuvent mettre en place des reconversions sur de nouvelles thématiques scientifiques qui nous paraissent avoir plus de sens… Montrer cela peut peut-être susciter des vocations ! » glisse Julian Carrey.

Métallurgie solaire : de premiers résultats encourageants

En 2018, Julian Carrey et Sébastien Lachaize entament donc les démarches pour expérimenter la métallurgie grâce à la chaleur du Soleil, avec le soutien de l’ANR (Agence nationale de la recherche). Premier objectif : tenter de réduire par concentration solaire des boulettes d’oxyde de fer (réellement utilisées dans l'industrie actuellement) en les faisant réagir avec de l’hydrogène ou de l'ammoniaque, pour obtenir du fer pur.

Et cela fonctionne ! « Différents paramètres influencent le rendement de la réaction ; nous avons donc réalisé des études de base du procédé pour trouver les conditions pour que 90% de l’oxyde de fer soit converti en fer », explique Julian Carrey.

Les chercheurs prévoient de faire des expérimentations dans le four solaire d’Odeillo, avec la coopération du laboratoire PROMES (Procédés matériaux et énergie solaire) de l’université de Perpignan. Une thèse montrant que la réduction de fer avec de l’hydrogène ou de l'ammoniaque sous flux solaire est possible, devrait être publiée en 2024. Pour aller plus loin dans la démarche low-tech, l’idée est d’utiliser l’urine comme source d'ammoniaque. De nouvelles questions scientifiques émergent alors : l’utilisation de l’urée est-elle vraiment pertinente par rapport à celle de l’ammoniaque pure (qui demande un procédé plus technologique) ? Et peut-on produire de la fonte ?

Une histoire à réinventer… et à anticiper !

Cette dernière interrogation implique un enjeu et une avancée technologique de taille. En effet, historiquement, c’est d’abord du fer qui était produit dans des « bas-fourneaux ». Plus tard, l’élaboration des « hauts-fourneaux » a permis la fabrication de fonte liquide, alliage de fer et de carbone, pouvant être directement versée dans des moules. Or, sans charbon, comment produire du carbone ? « C’est une problématique chimique sur laquelle on est en train de travailler. Nous reproduisons les étapes historiques de la métallurgie par le biais du solaire à concentration et aujourd’hui on arrive tranquillement en Europe au XIVe siècle » sourit Julian Carrey.

Un exercice scientifique complexe puisque c’est tout un savoir-faire à recréer : si les forges classiques sont une technologie connue et reconnue, les forges solaires low-tech sont à inventer. « Nous allons utiliser du vrai minerai fourni par des géologues travaillant en Ariège et dans la Montagne Noire, et concentrer nos recherches sur l’utilisation et la conservation de l’urine, à priori moins impactante que l’hydrogène » continue le spécialiste.

Enfin, si on pense au futur, la question est aussi et surtout d’évaluer dans quelles mesures la technologie solaire nécessite un investissement durable ou pas, en gros, est-ce que ça vaut le « coût » en termes de fiabilité, de maintenance…? « Une deuxième thèse sous l’égide du laboratoire TBI (Toulouse biotechnology Institute) vient donc de commencer sur le cycle de vie du procédé. La finalité serait d’imaginer à quoi pourrait ressembler une usine métallurgique solaire, calculer ses impacts environnementaux et la comparer avec la métallurgie classique. »

Modéliser le rayonnement : un lancer de dés numériques

À l’IMT Albi-Carmaux, les recherches se passent sur ordinateur. La modélisation du rayonnement et du transfert de chaleur permet aux scientifiques de calculer l’efficacité d’une centrale solaire à concentration.

Alors, concrètement, en quoi ça consiste ? « Nous lançons des rayons générés aléatoirement qui miment la trajectoire des photons qui viennent du Soleil et sont réfléchis vers le point focal par les héliostats » explique Simon Eibner. Pour ce faire, le chercheur utilise la méthode dite de « Monte Carlo » en tirant au hasard des « dés numériques ». « On génère des chemins aléatoires en grand nombre. C’est une méthode statistique, donc plus on génère de chemins plus l’estimation est précise. En parallèle, pour calculer et anticiper les pertes thermiques, on cherche à résoudre l’équation de la chaleur au niveau du récepteur. Lorsqu'un modèle est validé, on peut l’utiliser pour prévoir les performances, adapter et optimiser une centrale solaire » détaille le chercheur.

 

la centrale Themis à Targassone tour solaire à concentration modélisation
Modélisation de la tour solaire Thémis à Targassone dans les Pyrénées-Orientales. Images réalisées par Simon Eibner. À gauche, la géométrie de la centrale Thémis sur laquelle des rayons sont lancés à partir des méthodes de Monte Carlo. À droite, une image de synthèse dans laquelle le rayonnement est simulé pour un rendu physiquement réaliste. Les codes informatiques libres et open-source (« hrdr » et « solstice ») permettant le calcul de ces images ont été construit par l'entreprise Meso Star. Le code hrdr est issu des travaux de thèse de Najda Villefranque, docteure en physique de l'atmosphère de l'Université de Toulouse.
 

 

La température théorique maximale est celle de la température de surface du Soleil (5500°C), en pratique, avec les pertes thermiques, le maximum enregistré dans les fours solaires d’Odeillo est de 3300°C. Mais à ces échelles de température, quasiment toutes les applications industrielles sont déjà envisageables.

Vers un futur rayonnant ?

Attention toutefois, si les résultats sont encourageants, les chercheurs restent prudents. « On en est à la phase de recherche. Tant que nous n’avons pas étudié en détail le cycle de vie complet d’une production de chaleur par concentration solaire, nous ne pouvons affirmer qu’elle est plus pérenne qu’avec du charbon ou du pétrole » prévient Julian Carrey.

Et contextuellement, ces recherches ne peuvent être décorrélées d’une réflexion globale sur les usages mais également sur la société et nos modes de consommation. Pour Simon Eibner, « nous sommes habitués à ce que l’énergie soit disponible tout le temps et tout de suite, car nous consommons de l'énergie déjà stockée, principalement des énergies fossiles ou de la biomasse. Lorsque cela est possible, nous devons réfléchir à comment adapter notre consommation. Lors d’un trajet en voilier, par exemple, on attend que les bonnes conditions soient réunies pour partir et c’est normal. L'idée est de faire la même chose avec notre production d’énergie ».

Un constat partagé par Julian Carrey : « Il faut envisager les usages d’une telle technologie, et s’y adapter. Parmi tous les procédés envisageables, la métallurgie est la plus gourmande en température, elle ne serait peut-être alors possible que 3 ou 4 mois par an, et pendant les pics d'ensoleillement de la journée. Mais le reste du temps, on peut utiliser la chaleur du solaire à concentration pour d’autres usages qui demandent des températures moins élevées : faire cuire de la poterie ou du pain, faire sécher des fruits… L’idée est de maximiser les usages du concentrateur solaire pour se passer du bois par exemple ».

Le solaire à concentration low-tech permet également, selon Simon Eibner, une émancipation de la population qui peut être plus autonome quant à ses besoins énergétiques. « Les low-tech sont en accès libre. Elles ne sont pas protégées par des brevets, sont facilement appropriables et peu chères. Il existe des tutos très bien faits sur Internet, notamment sur le site Low-Tech Lab, pour créer son propre four solaire. Cela permet d'aller vers plus d’empowerment ». En voilà une perspective chaleureuse !

 

Objectif autonomie

Simon Eibner, enseignant-chercheur à l’IMT (Institut Mines-Télécom) Albi-Carmaux, a monté avec des élèves étudiant·es ingénieur·es, un projet de fabrication de fours solaires en partenariat avec l’association Eko ! qui promeut des initiatives positives et innovantes dans le domaine du développement durable et de la solidarité internationale. Le programme « Low-tech et Réfugiés » a pour objectif de favoriser l’autonomie avec, par et pour les exilé·es , dans un cadre respectueux de la nature et des cultures. Cette initiative s’appuie en parallèle sur tout un travail ethnologique et sociologique pour s’adapter aux différentes habitudes alimentaires et modes de cuisson.

 

Julian Carrey est enseignant-chercheur en physique à l'INSA (Institut national des sciences appliquées) Toulouse, au sein du Laboratoire de physique et chimie des nano-objets - LPCNO (CNRS, INSA, Université Toulouse III – Paul Sabatier).

Simon Eibner est enseignant-chercheur en solaire à concentration à l’IMT (Institut Mines-Télécom) Albi-Carmaux, au sein du laboratoire RAPSODEE - Recherche d'Albi en génie des procédés des solides divisés, de l'énergie et de l'environnement (IMT Mines Albi, CNRS). Il est membre du groupe de recherche national EDstar, dont les études portent notamment sur le solaire à concentration et le stockage thermique.

 

Aller plus loin :

 

Les dossiers Exploreur explore un sujet en croisant le regard de plusieurs disciplines scientifiques. Journaliste : Naomi Vincent. Visuel : Delphie Guillaumé. Coordination et suivi éditorial : Clara Mauler, Séverine Ciancia, Valentin Euvrard, Simon Leveque.