Dominique Harribey, le savoir-faire et le faire-savoir
Il dessine les plans, conçoit, assemble et teste les prototypes qui permettent de valider ou d’invalider les modèles et calculs des chercheurs de son équipe au LAPLACE. Son inventivité, qu’il adore faire partager en vidéo, lui a notamment valu le Cristal du CNRS.
Par Camille Pons, journaliste scientifique.
« Here, we love practice », peut-on lire à l’entrée de la salle où il conçoit et assemble. « Oui, ici on aime bien mettre les mains dans le cambouis. Et j’ai beaucoup de chance ! Ici, chercheurs et ITA sont comme ça [il croise les doigts des deux mains], alors que dans d’autres labos ils sont comme ça [il met ses mains en parallèle]. » confirme Dominique Harribey, 57 ans, ingénieur de recherche au sein du GREM3 au Laboratoire plasma et conversion d’énergie, le LAPLACE.
Sa chance ? La place qui lui a toujours été donnée en tant que coéquipier à part entière des chercheurs de l’équipe. Et qui explique, du moins en partie, que celui qui a démarré au grade de technicien en 1980 a gravi tous les échelons jusqu’à être promu ingénieur de recherche le 1er janvier dernier. Promotion à laquelle s’ajoutent, en 2016 notamment, un certain nombre de reconnaissances : les Lauriers de l’invention de l’Institut National Polytechnique pour récompenser le dépôt d’un brevet (il en a trois à son actif aujourd’hui), la promotion au grade d’officier dans l’ordre des Palmes académiques pour son activité d’enseignement et, surtout, le Cristal du CNRS qui récompense des ITA pour leur « créativité, maîtrise technique et sens de l’innovation ».
« Un parcours exceptionnel », que saluent aussi bien le directeur de l’INP-ENSEEIHT, Jean-François Rouchon, que Carole Hénaux, chercheuse spécialisée en génie électrique avec qui Dominique Harribey partage de nombreux projets, ou encore celui qui a « travaillé avec lui main dans la main de 1987 à 2010 », le chercheur Bertrand Nogarède qui dirigeait l’équipe jusqu’à ce qu’il monte sa start-up Novatem. « Je me suis toujours éclaté dans ce que je fais », rétorque l’intéressé pour justifier son ascension.
Il se considère comme la " cheville ouvrière " de l’équipe, celui par qui les calculs, les modélisations se concrétisent par un objet innovant qui permettra de vérifier les résultats issus de ces travaux théoriques. Spécialisé principalement dans les « machines électriques », Dominique Harribey œuvre dans des domaines aussi variés que le spatial, l’automobile, l’aéronautique et le médical.
Il vient entre autres d’être associé, aux côtés de son équipe et au sein d’un consortium piloté par Airbus, à un projet retenu dans le cadre du programme européen " Clean Sky 2 ", qui doit mener à la conception d’un avion régional commercial à propulsion hybride. Son travail ? Valider avec des outils de conception, puis avec des manipulations, des systèmes de propulsion électrique qui permettront d’arriver « à des puissances massiques énormes, équivalentes à trois fois ce que l’on sait faire aujourd’hui », explique l’ingénieur de recherche, « mais qui vont donc nécessiter d’imaginer un système de refroidissement innovant du moteur ». Un autre travail récent, mené avec le CNES, portait sur l’élaboration d’un système de contrôle d’attitude orbitale afin de permettre à un satellite, dès lors qu’il se met à dériver, de se remettre dans le bon axe. Un projet qui a marqué sa carrière puisqu’il lui a permis de déposer deux brevets. Mais il utilise aussi ses compétences scientifiques hors du champ de la recherche. L’ « aventure extraordinaire » de " Solelhada " occupe à ce titre une place de choix dans les souvenirs de Dominique Harribey. Solelhada, c’est la voiture solaire qu’il a fabriquée avec le chercheur qui l’avait recruté, Michel Lajoie-Mazenc, et avec laquelle ils ont traversé l’Australie en 2001 à l’occasion du World Solar Challenge. Une voiture originale, puisque les partenaires avaient installé son unique moteur dans la roue, donc au cœur du système, ce qui permettait d’avoir davantage de rendement que si l’énergie avait dû être transmise par une chaîne ou une courroie.
« Parce qu’il allait au-delà de la logique d’exécution des projets. Il avait un avis sur la faisabilité technique, les méthodes de fabrication jusqu’à influer sur la fabrication de l’objet »
observe Bertrand Nogarède.
Cet investissement, même en dehors de projets institutionnels, explique certainement que Dominique Harribey ait aussi été progressivement associé aux projets en amont et aux publications scientifiques, faits peu courants pour un technicien jusqu’à la fin des années 2000. Pourquoi cela a-t-il aussi bien fonctionné ?
« Le " MacGyver " de l’équipe, celui qui va toujours trouver la solution ! »
s’amuse de son côté Carole Hénaux.
Ainsi, c’est lui qui, suite à l’expérimentation chez un partenaire industriel d’un propulseur spatial qui s’est mis à fumer une fois introduit dans leur four, a déniché ensuite un four " ordinaire " à pyrolyse qu’il a " bidouillé " pour refaire des tests de dégazage au labo et ne pas mettre fin ainsi à un projet important. Bertrand Nogarède garde même le souvenir d’une inventivité parfois " délirante " : « On a escaladé un clocher ensemble à Castelnaudary pour mesurer les vibrations au bout des cloches, car elles sont très proches de celles que l’on exploite dans les moteurs piézo-électriques ! »
Dans la même verve, cette vidéo réalisée dans les années 1990 pour présenter leurs travaux à la DGA pour compenser son absence à la réunion : « Sous la caméra de Dominique, un doctorant faisait Ignotus qui apprenait de Curiosus, joué par moi-même, et c’est ainsi que nous avons exposé nos travaux. On s’est amusés comme des fous ! Cela a tellement plu que nous avons obtenu des financements pour d’autres projets ! Car on a aussi pu montrer notre créativité pour communiquer sur nos travaux ! »
Cette communication sur les travaux est d’ailleurs la deuxième corde à l’arc de Dominique Harribey. Son dada ? La vidéo et de nombreux posts sur YouTube. L’un des derniers, qui présente les résultats des travaux sur un propulseur électrique de satellite élaboré pour le CNES et SNECMA, affiche près de 40 000 vues. « Je ne suis pas Lady Gaga, mais pour des sujets aussi pointus, ça m’épate », s’amuse l’ingénieur de recherche qui compte aussi parmi ses auditeurs des enseignants qui réutilisent ses vidéos pour leurs cours. « La résonance de nos travaux n’aurait pas été aussi importante sans cela et on le doit à son sens très marqué du faire-savoir », observe Bertrand Nogarède, alors même que ces vidéos attirent de plus en plus de candidats en stage et en thèse au sein du laboratoire. « C’est ma passion, ma deuxième vie », confie de son côté Dominique Harribey pour qui la vidéo « vaut souvent mieux qu’un long discours ». « Et j’aime tellement ce que je fais que j’ai envie de le faire partager. » Ce qu’il fait aussi, sur une autre chaîne, avec ses vidéos de voyages en Harley Davidson, une autre de ses passions.