Comprendre un espace en profonde mutation

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Droit・Entreprises

Comprendre un espace en profonde mutation

Shadock
Investissements dans la R&D insuffisants, management inefficace, mauvaise gestion des carrières… Dans la célèbre série créée par Jacques Rouxel, les Shadoks n’ont jamais réussi à faire voler leur fusée. © aaa production - Jacques Rouxel

A l’ère des services mondialisés, la conquête de l’espace ne se résume plus à la technologie. Financer les programmes spatiaux, gérer les carrières des techniciens ou construire un droit international de l’espace… La chaire Sirius se penche sur ces questions pour le compte des grands opérateurs.

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Par Camille Pons, journaliste scientifique.

Quelles conséquences sur le secteur spatial lorsque les milliardaires du web y investissent ? Comment transmettre l’expérience technique et ne pas perdre de compétences sur des programmes parfois très longs ? Le traité de Washington de 1967 a inscrit le principe d’un espace accessible à tous ; mais qui est responsable en cas d’accident, lorsqu’un débris spatial percute un satellite par exemple, alors que les lois qui régissent ces activités dans le monde ne sont pas homogènes ? Telles sont quelques-unes des problématiques sur lesquelles planchent une vingtaine de chercheurs de l’Université Toulouse Capitole et de Toulouse Business School (TBS), dans le cadre de la chaire d’entreprise Sirius (Space Institute for Research on Innovative Uses of Satellite). Celle-ci associe les universitaires à trois " poids lourds " du domaine spatial à Toulouse : le CNES, Thales Alenia Space et Airbus Defence and Space.

L’objectif de ce partenariat, comme le souligne Lucien Rapp, professeur à l' Université Toulouse Capitole, spécialiste du droit de l’industrie spatiale et des télécommunications et directeur scientifique de la chaire, est de « fournir des éléments de réflexion mais aussi de décision » aux industries sur des problématiques sociales qui, parce que le secteur est en pleine évolution, conditionnent leur bon développement. « Certes, des articles de recherche sur ces thèmes ont déjà été publiés ailleurs, mais ils ne nous paraissent pas assez approfondis ou trop optimistes, observe Thierry Duhamel, responsable R&D de l’entité Space Systems pour la France chez Airbus Defence and Space. En droit et en management, il n’y a pas forcément une réponse unique. La chaire Sirius nous offre une deuxième vision sur certains sujets. »

En droit et management du spatial, il n'y a pas forcément une réponse unique.

Parmi les thèmes majeurs figure la question des financements du secteur. L’époque n’est plus à la conquête spatiale sur fonds publics, mais au développement des services spatiaux privés : GPS, communications mobiles, télévision, surveillance des véhicules, des flottes, des côtes ou encore pilotage de missiles et de drones.

« Cette commercialisation de l’espace crée un nouveau modèle économique, où les consommateurs deviennent les financeurs. Nous devons en étudier les conséquences pour le secteur spatial »

poursuit le juriste Thierry Duhamel.

Des travaux de Sirius portent par exemple sur l’impact que pourrait avoir le capital-risque sur cette industrie. Google, Apple, Amazon, Facebook... ont déjà investi de cette manière sur des projets en vue d’un retour sur investissement. Google a ainsi placé 1 milliard de dollars dans l’Américain SpaceX, concurrent d’Arianespace pour le lancement de petits satellites.

« En rentrant dans un secteur monopolistique, ces plateformes bouleversent la règle du jeu »

remarque Lucien Rapp, directeur scientifique de la chaire Sirius.

Autre question centrale, celle du management des carrières. Pas si simple quand on sait qu’un programme spatial dure souvent des années, un temps peu compatible avec la gestion des compétences. « Les carrières ne peuvent être figées sur vingt ou trente ans. Et les programmes ont des plans d’activité variables : quand il y a beaucoup de commandes, on y affecte du monde, lorsque les plans d’activité sont plus légers, on les affecte sur d’autres programmes, explique Victor dos Santos Paulino, responsable de la chaire et des études de management au sein de TBS. Il s’agit de trouver des pistes pour organiser la transmission d’expérience d’un salarié à un autre quand on a ces mouvements de va-et-vient. »

Enfin, se pose la question de la multiplication des lois spatiales depuis une dizaine d’années. Une tendance assez logique, dans la mesure où l’essentiel du droit spatial repose sur des traités internationaux adoptés à la fin des années 1960 et devenus obsolètes. La chaire se penche sur le contenu de ces lois et leurs applications extraterritoriales avec un double objectif :

« Attirer l’attention des États sur le risque de multiplier ces lois et sur la nécessité de définir un standard de loi international pour éviter les chocs de souveraineté »,

précise Lucien Rapp.

Les connaissances sont partagées sur le site de la chaire, ou via des rencontres comme les journées annuelles " Droit et espace ". « L’idée est d’irriguer la communauté spatiale au sens large », explique Victor dos Santos Paulino. Ce n’est pas un hasard si c’est à Toulouse, capitale de l’aéronautique et du spatial, que la chaire Sirius a pu naître, alliant travail de proximité et développement de recherches dans des domaines où les synergies se révèlent encore rares.

« Un processus très vertueux. D’un côté, la recherche obtient des moyens et de l’autre les partenaires voient des questions qui les intéressent faire l’objet de vraies études »

résume Lucien Rapp.

Chiffres-clés

  • 5 partenaires dont 3 industriels
  • 5 ans : la durée de la convention avec les industriels
  • 18 chercheurs : 8 à l’Université Toulouse Capitole dont 7 doctorants, 10 à Toulouse Business School dont 2 doctorants
  • 150 000 euros abondés à parts égales par les 3 partenaires privés

Débris spatiaux : vers une collecte rentable ?

« L’espace est une vraie poubelle et c’est dramatique ! Les débris, totalement incontrôlables, filent sur orbite à plus de 25000 km/h ! »

s’inquiète Lucien Rapp.

Estimés à plus de 1 million, ces satellites hors d’usage, derniers étages de lanceurs, éclats de peinture, boulons, batteries, outils perdus par les astronautes... menacent de percuter les satellites en activité, avec d’importantes conséquences économiques. La NASA a évalué le risque potentiel à 30 collisions par jour, et le nombre de débris ne cesse d’augmenter. Une solution : lancer des missions capables de faire le ménage dans l’espace. Les solutions techniques existent, mais encore faut-il motiver les industriels avec une perspective de rentabilité. Une équipe de chercheurs de Sirius testera cette année un modèle économique de collecte de ces déchets.