Un instrument hors norme pour sonder l’Univers extrême

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Terre・Espace

Un instrument hors norme pour sonder l’Univers extrême

L’observatoire spatial Athena de l’ESA va observer le rayonnement émis par l’Univers « extrême » : trous noirs, supernovæ et nuages de gaz portés à des millions de degrés.
L’observatoire spatial Athena de l’ESA va observer le rayonnement émis par l’Univers " extrême " : trous noirs, supernovæ et nuages de gaz portés à des millions de degrés. © ESA

Le spectromètre X-IFU décollera en 2028 à bord de l’observatoire spatial européen Athena. Objectif : étudier au plus près les galaxies et les trous noirs les plus anciens. Aux commandes du projet qui démarre : les chercheurs de l’IRAP et le Centre Spatial de Toulouse du CNES.

Par Jean-François Haït, journaliste scientifique.

Comment sont nées et ont grandi les premières galaxies, et avec elles les mystérieux trous noirs qu’elles abritent en leur centre ? Comment ces galaxies se sont-elles rassemblées en gigantesques amas, donnant ainsi sa structure à l’Univers ? Ces deux énigmes sont au cœur de la recherche en astrophysique. C’est pour tenter de les résoudre que débute à Toulouse la conception de l’instrument X-IFU (X-ray Integral Field Unit). Il constituera la pièce maîtresse de la mission Athena (Advanced Teles-cope for High-Energy Astro-physics) de l’Agence spatiale européenne (ESA), qui décollera en 2028.

« X -IFU est hors norme par ses dimensions et sa complexité »

résume Didier Barret.

Didier Barret
Didier Barret, directeur de recherches du Cnrs en poste à l'IRAP (Institut de recherche en astrophysique et planétologie), responsable scientifique de l'instrument. Associé au Centre spatial de Toulouse du CNES, l’IRAP, aujourd’hui l’un des principaux instituts français d’astrophysique spatiale avec déjà de nombreuses missions à son actif, a été désigné leader du consortium international de X-IFU. © Sébastien Chastenet, OMP

L’instrument est un spectromètre qui va capter et analyser le rayonnement X résultant de phénomènes qui dégagent une très forte énergie. C’est le cas par exemple lorsque du gaz très ténu, mais porté à des millions de degrés, circule entre les galaxies. C’est aussi le cas pour des phénomènes extrêmes : lorsqu’un trou noir " accrète " de la matière, c’est-à-dire que celle-ci, irrésistiblement attirée par la force de gravité, se met à spiraler et s’échauffe fortement avant de disparaître dans le trou noir. Athena ne sera pas le premier observatoire des rayons X.

Ses prédécesseurs, comme XMM-Newton de l’ESA, ou Chandra de la Nasa, ont déjà permis d’observer ces phénomènes invisibles depuis la Terre. Mais il s’agit maintenant de voir beaucoup plus loin dans l’espace et le temps.

« Avec Athena, on pourra remonter à environ un milliard d’années après le big-bang et ainsi étudier les premiers trous noirs qui se sont formés dans l’Univers »

souligne Didier Barret.

Il s’agit notamment de comparer la croissance des trous noirs et celle des galaxies qui les contiennent, afin de comprendre leur influence mutuelle.

Athena verra aussi indirectement les premières structures de matière noire, cette matière invisible qui représenterait plus de 25 % de l’Univers, quand la matière visible, dont nous sommes faits, ne compte que pour 5 %. La matière noire piège en effet la matière visible, qui s’organise alors en filaments. À l’intersection de ces filaments, les premiers amas de galaxies se forment.

X-IFU permettra de cartographier ces objets et d’en comprendre la physique. Enfin, dans notre propre galaxie, la Voie lactée, d’autres objets " extrêmes " comme les supernovæ, ces étoiles qui explosent au terme de leur vie, seront observés de manière très détaillée. « Tenir ces objectifs scientifiques nécessite un spectromètre 50 fois plus précis que ceux de XMM et Chandra » précise Didier Barret. En outre, Athena emporte un deuxième instrument important, WFI (Wide Field Imager). Il fournira des images du ciel en rayons X sur un large champ de vue. Le résultat, c’est qu’Athena et ses instruments ont des dimensions colossales (voir chiffres). Et des défis technologiques de taille attendent les ingénieurs coordonnés par le CNES qui vont concevoir X-IFU. Le premier est celui du refroidissement (voir schéma). En effet, pour capter le rayonnement X tout en s’affranchissant d’effets parasites, les détecteurs de X-IFU nécessitent d’être maintenus à la température du vide spatial : 0,05 kelvin, soit tout près du zéro absolu (zéro kelvin équivaut à – 273 °C). Le second défi, c’est l’assemblage précis d’environ 4 000 détecteurs et de leur électronique de lecture. « Le Centre spatial de Toulouse possède à la fois une forte expertise technique dans de nombreux domaines dont la cryogénie et les détecteurs, et une expérience de la maîtrise d’œuvre de systèmes complexes, y compris au plan international. Nous avions par exemple réalisé le spectromètre d’Integral, un autre télescope spatial de l’ESA dans les années 1990 » souligne Thierry Carlier, le chef de projet Athena pour le CNES. Ainsi, pour la cryogénie, l’option retenue est celle d’une série de refroidissements successifs qui sera conçue et testée par le CNES (voir schéma). L’étude détaillée de X-IFU durera jusqu’à fin 2018, avant la fabrication effective de l’instrument puis d’innombrables tests.

« Pour un chercheur, c’est la mission d’une vie. X-IFU occupera l’essentiel de mon temps jusqu’à ma retraite ! »

conclut Didier Barret.

Schéma de l'instrument X-IFU
Les capteurs de l’instrument X-IFU sont refroidis progressivement jusqu’à 0,05 K grâce à plusieurs enceintes emboîtées comme des poupées russes. Des compresseurs mécaniques à gaz prévus pour durer au moins cinq ans assurent ce refroidissement.

Athena : UNE MISSION INTERNATIONALE

Le télescope spatial Athena devrait être envoyé dans l’espace en 2028 par la future fusée Ariane 6, ou son équivalent, à 1,5 million de kilomètres de la Terre. La mission doit durer au moins cinq ans, avec une prolongation possible jusqu’à dix ans. Financée par l’Agence Spatiale Européenne (ESA) à hauteur de 1 milliard d’euros, elle est menée par un consortium international composé des principaux pays membres de l’ESA, des États-Unis et du Japon. Le CNES, maître d’œuvre de l’instrument X-IFU, prévoit d’y consacrer une équipe de 30 à 40 ingénieurs pendant dix ans.

Chiffres-clés

  • 15 m : la longueur d’Athena

  • 6 tonnes : sa masse

  • 800 kg : la masse de X-IFU

  • 4000 : le nombre de détecteurs

Glossaire

  • Trou noir : Région de l’Univers où la force de gravité est si extrême que rien, pas même la lumière, ne peut s’en échapper. La masse des trous noirs situés au centre des galaxies peut atteindre plusieurs millions de fois celle du Soleil.

  • Spectromètre optique : Instrument qui permet de décomposer la lumière en multiples « raies », chacune correspondant à une longueur d’onde ou à une énergie donnée. Certaines raies sont caractéristiques de phénomènes physiques particuliers.

  • Bigbang : Le big-bang est le commencement de l’Univers, dont l’âge est estimé 13,7 milliards d’années. Plus l’objet que l’on observe est lointain, plus sa lumière a mis du temps à nous parvenir, et donc plus sa naissance est proche du big-bang.

 

Référence bibliographique : Barret et al., 2016, The Athena X-ray Integral Field Unit, Proc. SPIE 9905, Space Telescopes and Instrumentation 2016: Ultraviolet to Gamma Ray, 99052F (August 17, 2016)

 

IRAP : Institut de recherche en astrophysique et planétologie - Université Toulouse III – Paul Sabatier, CNRS, CNES.