Nicolas Hervé. Militant des controverses à l’école

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Cultures・Sociétés

Nicolas Hervé. Militant des controverses à l’école

controverses scientifiques
© Justine Beckett / Getty Images

Comment transmettre des savoirs qui font l’objet de débats scientifiques et sociétaux, voire de thèses complotistes ? Pour Nicolas Hervé, chercheur en didactique et enseignant de physique à l’École nationale supérieure de formation de l'enseignement agricole, cela passe par l’enseignement des controverses dans les établissements scolaires.

Propos recueillis par Carina Louart, journaliste scientifique.

Pourquoi consacrer vos recherches à l’enseignement des controverses ?

Nicolas Hervé : J’ai un double cursus en philosophie et en physique. Quand j’ai commencé à enseigner dans les lycées, j’ai constaté que la science était transmise sans aucune mise en perspective historique, épistémologique et sociale. Enseigner le nucléaire, à l’ère de Fukushima, ne peut plus se limiter à aborder uniquement les lois de la radioactivité et le principe de fonctionnement des centrales ! Les élèves doivent aussi travailler sur les choix de société, sur les mécanismes de prise de décision et sur les controverses qui traversent ces sujets. Mes travaux au laboratoire de sciences de l’éducation ont montré que, sur certaines questions, comme celle des énergies et du réchauffement climatique, les enseignants de physique étaient en difficulté. Car ces questions étant porteuses d’incertitudes et de désaccords scientifiques, elles conduisent nécessairement à la mise en jeu de convictions et de systèmes de valeurs de la part des enseignants, mais aussi des élèves.

Que proposez-vous  ?

NH : La mise en place de nouveaux dispositifs pédagogiques où l’objectivité des savoirs est questionnée. Pour cela, je m’inspire de la " cartographie des controverses " initiée par Bruno Latour. Je propose aux enseignants de physique des scénarios pédagogiques qui aident à comprendre comment les savoirs sont produits et diffusés, et à développer la pensée critique. Ensuite, ils bâtissent le leur sur les nanotechnologies, la ferme des Mille Vaches, le gaz de schiste… Les mises en situations prennent la forme de procès, de débats télévisés, de conférences citoyennes et s’avèrent efficaces pour démonter certaines théories complotistes auxquelles les lycéens accordent du crédit. J’ai mis en place un collectif d’enseignants de physique chargés de diffuser ces dispositifs dans leur région.

Pourquoi est-il important d’intégrer la controverse dans les lycées agricoles ?

NH : D’abord parce que des sujets tels que les agrocarburants, le bien-être animal, la réduction des pesticides, le clonage ou les OGM, qui sont autant de questions controversées, font partie du programme. Et ensuite, parce que la loi d’avenir sur l’agroécologie d’avril 2014 a demandé aux établissements de mettre en place un plan d’actions visant à " produire et à enseigner autrement ", avec pour seule directive de concilier agriculture productiviste et environnementale. Ce qui suppose de mettre en débat les différents modèles agricoles et celui que nous voulons pour demain.

Les enseignants sont-ils prêts à s’approprier ces outils ?

NH : Oui ! Près de 15 % des enseignants des établissements agricoles les utilisent ou sont en passe de les intégrer. Ils sont de plus en plus nombreux à éprouver le besoin d’enseigner autrement.

Nicolas Hervé
Nicolas Hervé, chercheur au laboratoire éducation, formation, travail, savoirs (EFTS - Université Toulouse Jean Jaurès, ENSFEA) © ENSFEA