Maths en ébullition

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Maths・Ingénierie

Maths en ébullition

Julia polynomes
Processus dit d'accouplement de deux ensembles de Julia polynomiaux. © Arnaud CHERITAT/CC-BY-SA/CNRS

À l’Institut de mathématiques de Toulouse, près de 250 chercheurs explorent l’ensemble des domaines mathématiques, depuis ses aspects les plus théoriques jusqu’aux plus appliqués, dans un permanent brassage d'idées.

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LES MATHS à l'écoute du monde

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Par Carina Louart, journaliste scientifique.

À l’entrée d’un des trois bâtiments qui composent l’Institut de mathématiques de Toulouse (IMT), sur le campus de l'Université Toulouse III – Paul Sabatier, une affiche annonce une conférence publique sur le vingtième anniversaire de la démonstration de la fameuse conjecture de Pierre Fermat. À côté, le calendrier des prochains événements : " New methods in birational geometry ", " GrD Analyse Fonctionnelle, Harmonique et Probabilités 2016 et école intensive ", s'adressent clairement aux spécialistes, alors que " Current issues in philosophy of pratice of mathematics and informatics " démontrent si besoin était que les " matheux " savent prendre du recul sur leur propre discipline.

Il faut dire qu'ici, la matière grise est pluridisciplinaire. Né en 2007 de la fusion de trois laboratoires, l’IMT se situe au premier rang après Paris Jussieu et Orsay en termes d’effectifs. Il rassemble près de 250 chercheurs de différents horizons académiques, permanents et enseignants-chercheurs, répartis en trois pôles : Mathématiques fondamentales Émile-Picard, Statistique et probabilités, Mathématiques pour l’industrie et la physique. En 2015, ils ont publié plus de 150 articles dans les revues de référence. L’IMT accueille chaque année une trentaine de chercheurs invités souvent renommés, et entretient des liens avec des centres de recherches internationaux. Il possède la plus grande bibliothèque de mathématiques et de mécanique de la région, ouverte à tous, et accorde une place importante à la diffusion des mathématiques vers le grand public (lire encadré). Il décerne enfin le prestigieux prix Fermat. Parmi les récipiendaires passés : Cédric Villani, Martin Hairer et bien d’autres, récompensés ultérieurement par la médaille Fields.

« L'IMT est une grosse machine, reconnaît son directeur, Serge Cohen, chercheur en Probabilités et Statistique. Nous devons non seulement être très pointus dans chacune de nos spécialités pour rester bien classé au niveau international, mais aussi établir des interactions entre les chercheurs des différents domaines pour favoriser l’innovation. Aujourd’hui, la recherche se situe au croisement des différentes spécialités. La frontière entre mathématiques fondamentales et appliquées n’est plus pertinente. Ainsi, par exemple, une méthode utilisée en probabilités peut s’avérer très efficace pour résoudre un problème sans aléatoire étudié en mathématique théorique. Chaque domaine se nourrit des liens avec les autres ».

Pour favoriser ces échanges de connaissances, des groupes de travail et des séminaires inter-équipes sont régulièrement organisés, ainsi que des " colloquium " réunissant les trois pôles autour d’un sujet fédérateur présenté par une personnalité extérieure. Exemple " Géométrie aléatoire sur la sphère " ou encore " Interfaces et métastabilité dans les cristaux solides et liquides " ... En dehors de ces rendez-vous, toutes les occasions sont bonnes pour échanger : à chaque palier des bâtiments, on trouve un espace " Mathématiques et convivialité " à l’intérieur duquel on devise équations et formules autour d’un café.

Pour autant l'IMT ne fonctionne pas en vase clos.

« Travailler sur des conjectures ou des problèmes non élucidés ou sur des formes qui n’existent pas, peut sembler étrange, voire inutile. Mais personne ne peut prédire ce que les recherches théoriques induiront comme implications ! »

reconnaît Bertrand Toën, chercheur en mathématiques fondamentales et spécialiste des travaux d'un mathématicien mythique, Alexandre Grothendieck.

La géométrie algébrique ou la loi des grands nombres ont effet trouvé des applications tardives et inattendues en codage et en cryptologie, pour transférer des données bancaires par exemple. De même que la théorie des graphes est utilisée pour la gestion du trafic aérien ou routier, des files d’attente ou des réseaux sociaux. Autant de sujets sur lesquels travaillent les chercheurs de l’IMT.

C'est pourquoi ceux-ci sont aujourd’hui très sollicités et collaborent à de nombreux projets dans les secteurs tels que l’industrie aéronautique et spatiale, la météorologie, la médecine, la sécurité nucléaire et l’énergie, le transport, l’énergie, le big data … En 2012, le CNRS classait l’IMT comme le laboratoire de France ayant le plus grand nombre de contrats industriels. Près de 95% des diplômés toulousains en mathématiques de niveau Master 2 trouvent un emploi la première année qui suit leurs études. Et l'employeur va de la petite start-up au grand groupe comme Google, EDF ou Airbus.

« Aujourd’hui, les mathématiques contribuent à hauteur de 15% du PIB français et ont un impact direct sur 9% des emplois »

souligne Jean-Michel Loubes, chercheur en statistique et probabilités et chargé de mission CNRS pour le Labex AMIES (Agence des mathématiques en interaction avec l'entreprise et la société), créé en 2011 pour rapprocher les maths et le monde économique.

« Lorsqu’une entreprise ou un organisme de recherche nous sollicite pour résoudre un problème tels que l’identification des interactions de certains gènes, la prévision des comportements des réacteurs nucléaires ou la gestion des foules dans un stade, nous utilisons les mathématiques pour les modéliser. Mais dans de nombreux cas, cela donne lieu à de nouvelles recherches qui elles-mêmes peuvent aboutir à de nouvelles théories susceptibles de trouver de nouvelles applications. Le réel nourrit la recherche et réciproquement »

constate Jean-Michel Loubès.

Tous Matheux !

L’IMT consacre environ 20 % de son temps à la diffusion des mathématiques, principalement vers le milieu scolaire. Parmi les opérations phares : " Maths en jeans " vise à constituer un mini-laboratoire dans les écoles, collèges et lycées sous la houlette d’un chercheur, avant la présentation orale des élèves à l’occasion d'un congrès annuel (mars-avril). Pour les lycéens, " Hippocampe " propose une immersion de trois jours au sein d’un laboratoire. Coté grand public, " Les café de l’IMT " abordent des thèmes aussi différents que " La difficulté des prévisions météorologiques " ou " Infini, art et mathématiques. " Parmi les autres possibilités en Région, l'association Fermat sciences, à Beaumont-de-Lomagne (82), propose quantité d'animations mathématiques pour les enfants.

L'Institut de mathématiques de Toulouse – IMT est en cotutelle avec le CNRS, l'INSA, l'Université Toulouse III - Paul Sabatier, l'Université Toulouse - Jean Jaurès et l'Université Toulouse Capitole.