Céline Castets - Renard, cyberjuriste sans frontière

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Droit・Entreprises

Céline Castets - Renard, cyberjuriste sans frontière

Portrait de Céline Castets-Renard
© Frédéric Maligne

Vision transversale, internationale et en lien avec l'actualité : Céline Castets-Renard, spécialiste du droit du numérique à l'Université Toulouse Capitole, explore avec passion le monde changeant des technologies de l'information.

Par Camille Pons, journaliste scientifique.

« J'aime ce qui est innovant, mouvant... être au cœur de l'actualité, de la cité. Avec le numérique, je suis servie, d'autant que ce n'est pas un phénomène de mode et qu'il ne repartira pas ! » De ce point de vue, Céline Castets-Renard ne s'est pas trompée en suivant ses « envies personnelles » et en axant ses recherches sur le droit du numérique. Même si, plaisante cette professeure des universités, « je n'avais rien d'une geek et je n'étais pas prédisposée à cela ». La spécialité de cette privatiste qui est aussi directrice-adjointe de l'Institut de recherches en droit européen, international et comparé (IRDEIC) de Toulouse ? « Rien ! », s'amuse Vincent Gautrais, chercheur et directeur du Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal avec qui elle vient d'entamer une collaboration en intégrant le comité scientifique de la chaire Wilson dont il est titulaire, chaire consacrée au droit des technologies de l'information et du commerce électronique. « Et c'est ce qui la rend si caractéristique et précieuse, poursuit le chercheur. Car quand on s'intéresse au droit numérique, on est obligé d'avoir une vision transversale. »

Cette liberté, elle ne se l'est pour autant « autorisée », dit-elle, qu'après l'obtention en 2001 d'un doctorat « classique » sur le droit d'auteur et la théorie du droit. Mais dès sa nomination comme maître de conférence à l'Université Toulouse Capitole l'année suivante, Céline Castets- Renard s'engouffre successivement dans le droit numérique de la propriété intellectuelle, le droit du commerce électronique, la cybercriminalité, le big data ou encore la protection des données personnelles. Avec un parcours qui sera marqué notamment par la publication, en 2009, d'une étude comparée du droit de l'Internet en France et en Europe qui fera connaître ses recherches au-delà des frontières de l'Hexagone.

« Le numérique impacte la politique, l'économie, nos usages, nos comportements, la vie privée..., ce qui implique, quand on fait de la recherche en droit, de s'intéresser tout autant à l'économie et à la sociologie du numérique. Tout est lié. On ne peut pas, par exemple, s'occuper du commerce électronique sans faire le lien avec les données personnelles ou sans prendre en compte l'impact sur le marché du travail. Ce n'est donc pas intéressant de cloisonner intellectuellement. »

explique la chercheuse.

Un constat sur lequel la rejoint Jérôme Ferret, un autre partenaire de recherche avec qui elle travaille sur un article qui proposera une comparaison des réactions, en matière de législation, des différents États face au terrorisme. Ce sociologue, enseignant à l'Université Toulouse Capitole et chercheur au Centre d'analyse et d'intervention sociologiques de l'École des hautes études en sciences sociales, est l'un des créateurs d'un pôle d'expertise pluridisciplinaire au sein de la Maison des sciences de l'homme et de la société de Toulouse (MSHS-T) – dont il est aussi le directeur adjoint – sur les questions des radicalités et des régulations. Céline Castets-Renard y fait un état des lieux des savoirs et des réflexions sur la façon dont on peut réguler et gérer ces espaces physiques et numériques où se construisent ces radicalités. « La plupart des mesures ne sont pas adaptées, estime Jérôme Ferret. Et il s'agit aussi de contrebalancer les erreurs véhiculées par les politiques et les experts qui se prononcent dans les médias sur ces questions de régulation depuis les attentats de 2015. On ne peut pas travailler sur la construction de la norme déviante, parfois ultra-violente, sans comprendre les comportements sociaux sur ces espaces, donc sans pluridisciplinarité. À ce titre, Céline ouvre un espace remarquable, et c'est la seule en France, en travaillant sur ces questions de régulations juridiques avec des sociologues, des anthropologues, des informaticiens, etc. »

Cette vision globale se justifie aussi à l'échelle internationale et explique les rapprochements opérés par la chercheuse depuis peu. Celle-ci collabore ainsi au Groupe de recherches Regroupement droit, changements et gouvernance de l'Université de Montréal au Canada. En mai dernier, elle y a donné une conférence, avec Vincent Gautrais, sur la question du transfert des données personnelles de la France vers les États-Unis. Question soulevée par l'élaboration d'un nouvel accord qui encadre ce transfert suite à l'invalidation en octobre 2015 par la Cour de Justice de l'Union européenne de l'accord précédent, " Safe Harbor ".

« On se rend compte qu'avec le temps se créent des passerelles en droit. Pourquoi ne pas imaginer aller plus loin dans l'uniformisation ? Dans le nouvel accord, il y a des apports que nous avons analysés mais le transfert des données vers l'Amérique pose encore des problèmes car le niveau de protection reste moins élevé qu'en Europe et l'activité va clairement vers ce continent ! Dans ce domaine, comme dans les autres - bancaire, santé, protection des données des mineurs...-, les réglementations restent hélas sectorielles et non générales. »

observe Céline Castets-Renard.

Elle vient d'intégrer la réserve citoyenne cyberdéfense

Ces " regards croisés ", la privatiste compte les multiplier. En partageant ses travaux sur son blog et au travers de projets de recherche transnationaux. Sa récente nomination, en tant que membre junior à l'Institut universitaire de France (IUF), à seulement 42 ans, devrait lui permettre d'approfondir ses recherches et de se déplacer davantage à l'étranger. Céline Castets-Renard est ainsi attendue à nouveau en octobre au Québec. Elle participe en effet à un projet de recherche sur les big data déposé auprès de l'Agence nationale de la recherche en France et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada ; et, toujours auprès de l'ANR, elle est partenaire d'un autre projet déposé par Jérôme Ferret et la MSHS-T avec le Centre international de criminologie comparée de Montréal, pour réaliser une étude comparée de l'activisme en ligne. Ce projet doit permettre, au travers de l'analyse de trajectoires de membres d'Anonymous (Collectif d'activistes menant notamment des attaques informatiques), de comprendre comment l'activisme en ligne modifie les dynamiques dans la société, la justice, la police...

Nul doute qu'il y aura d'autres collaborations car « elle dit toujours oui ! », s'amuse Vincent Gautrais. Normal pour une passionnée qui affirme qu'elle restera « plongée dans le numérique jusqu'à la retraite », numérique auquel cette maman de trois enfants consacre même une part de son temps libre. Céline Castets-Renard vient en effet d'intégrer la réserve citoyenne cyberdéfense et interviendra sur le thème de la cybersécurité auprès des entreprises et des décideurs.

Références bibliographiques :

« Droit de l’Internet : droit français et européen », éditions L.G.D.J, réédité en 2012

« Regards croisés transatlantiques sur la protection des données personnelles », paru dans la revue Dalloz IP-IT en mars 2016.

 

IRDEIC : Institut de recherches en droit européen, international et comparé - Université Toulouse Capitole.

MSHS-T : Maison des Sciences de l’Homme et de la Société de Toulouse - Université Fédérale Toulouse Midi-Pyrénées, CNRS.