Économie : sauver le climat, à quel prix ?

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Économie : sauver le climat, à quel prix ?

Installation Isaac Cordal
Sculpture-installation de l’artiste espagnol Isaac Cordal intitulée : Suivez les leaders. Elle a été rebaptisée sur les réseaux sociaux : « Les politiciens discutent du changement climatique ». © Isaac Cordal

Pour les chercheurs de l’École d’économie de Toulouse, la réduction des émissions de CO2 passe par la création d’un marché mondial du carbone. Mais quel prix donner à la tonne de CO2 et quel coût pour les conséquences du changement climatique ?

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Par Anne Debroise, journaliste scientifique.

« En 1992, les États signataires du protocole de Kyoto se sont engagés à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre. Mais ils n’ont pas tenu leurs engagements. C’est pourquoi nous plaidons pour l’introduction d’outils économiques qui pourraient rendre plus efficace le prochain accord, celui de la COP21 à Paris cet hiver »,  souligne Christian Gollier membre du GREMAQ (Groupe de recherche en économie mathématique et quantitative), directeur de l’école d’économie de Toulouse (TSE) et membre du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).

Celui qui s’est spécialisé dans la prise de décision en contexte d’incertitude attribue l’immobilisme politique actuel au délai qui existe entre les émissions de gaz à effet de serre et leurs conséquences. Or, certains mécanismes économiques permettent justement de faire payer le coût du changement climatique aux générations qui en sont responsables et non pas à leurs descendants. « Il y a par exemple les taxes carbone à appliquer sur les produits de consommation. Mais elles sont très mal perçues par les populations et ont donc peu de chance de voir le jour...

On peut aussi citer les primes à l’installation d’équipements pour limiter les émissions, comme les panneaux photovoltaïques, mais ce système, s’il se veut réellement incitatif, coûte très cher à l’État. C’est pourquoi, avec plusieurs collègues de TSE, nous avons étudié une troisième solution : un système international de permis d’émission de carbone » explique Christian Gollier.

Un tel système s’impose depuis 2005 aux entreprises européennes émettant de grandes quantités de gaz à effet de serre, comme les producteurs d’électricité ou de ciment. Celles-ci disposent chaque année d’un quota de droits d’émissions. S’ils les épuisent, ils peuvent en acheter à des entreprises plus vertueuses, qui se voient ainsi récompensées de leurs efforts. Le marché européen a cependant perdu toute efficacité suite à la stagnation économique et à la délocalisation de certaines activités hors d’Europe, qui ont entraîné la chute du prix de la tonne de CO2 (voir les chiffres-clés).

La solution avancée notamment par Jean Tirole, Prix Nobel d’Économie en 2014, et Christian Gollier consiste à inciter les pays à adhérer à un marché mondial (sous peine de surtaxation à l’importation, supervisée par l’Organisation mondiale du commerce), en fixant un prix suffisamment élevé qui serait soutenu par une gestion stricte des quotas mis en circulation.

Encore faut-il que ce prix corresponde au dommage généré par les émissions, en accord avec le principe pollueur-payeur. C’est pourquoi, à TSE, une trentaine de chercheurs planchent sur la valeur économique des composantes de l’environnement, qui pour certaines sont directement affectées par le changement climatique. On cherche ainsi à définir des méthodes pour évaluer le coût de la perte de biodiversité, de la désertification, de la diminution des ressources énergétiques, de la déforestation, des effets sanitaires de la pollution de l’atmosphère...

La question des impacts sanitaires est ainsi au cœur du travail de Nicolas Treich, chercheur à l’Inra et responsable du groupe d’économie de l’environnement à TSE : « Le changement climatique a, par exemple, des effets sur la mortalité : les vagues de chaleur tuent, les maladies vectorielles se répandent et la malnutrition risque d’augmenter. Mais aujourd’hui, il faut réfléchir aux efforts que nous sommes prêts à faire pour limiter cette mortalité à venir ». Son travail démontre que l’incertitude pèse sur l’effort que les États et les citoyens sont prêts à consentir : plus le gain attendu est incertain, moins nous serions prêts à investir dans l’avenir.

Selon Christian Gollier, l’incertitude serait ainsi la principale cause du peu d’engagements pris par les États lors des précédentes Conférences des parties (COP). C’est pourquoi cette question devait être abordée lors de la conférence organisée le 14 octobre 2015 à Paris par les économistes de TSE conjointement avec la chaire " Climat " de l’université Paris-Dauphine, intitulée : « Voies pour un accord ambitieux et crédible à Paris ».

Chiffres-clés

  • 1 tonne de CO2 équivaut à 8 pleins d’essence
  • 17 € : le prix de la tonne de CO2 sur le marché européen en 2001
  • 7 € : le prix de la tonne de CO2 sur le marché européen en 2015
  • 100 € : le prix de la tonne de CO2 recommandé par le GIEC pour 2030
  • 40 € : le prix de la tonne de CO2 recommandé par Christian Gollier et Jean Tirole

 

Partager l’eau

« Le changement climatique va induire une plus grande variabilité des ressources en eau, avec notamment des périodes de sécheresse plus longues. Il y a donc un risque accru de conflits »

prévoit Stefan Ambec, membre du Laboratoire d’économie des ressources naturelles (LERNA) à TSE.

À partir de données historiques sur les ressources hydrologiques, il a conçu un traité de partage de l’eau qui serait toujours respecté par les parties. Son étude a porté sur le fleuve Syr-Darya, utilisé par le Kirghizstan, en amont, pour produire de l’électricité notamment pour le chauffage en hiver, et par l’Ouzbékistan et le Kazakhstan en aval, pour l’irrigation l’été. Le meilleur accord consiste à définir, mois par mois, le débit minimal que doit assurer le Kirghizstan, et des compensations (charbon, gaz, pétrole) que les pays en aval doivent lui fournir en période de pénurie. Ce travail pourrait servir de référence dans le cadre de la renégociation des accords de partage de l’eau dans la région.

Références bibliographiques

- C. Gollier, J. Tirole, Negotiating Effective Institutions Against Climate Change, Economics of Energy and Environmental Policy, 2015, à paraître.

- S. Ambec, A. Dinar et D. McKinney, «Water sharing agreements sustainable to reduced flows », Journal of Environmental Economics and Management, 2013, 66, 639-655.

- « The value of a statistical life under ambiguity aversion », 2010, Journal of Environmental Economics and Management, 59, 15-26.

 

GREMAQ : Groupe de recherche en économie mathématique et quantitative – Université Toulouse Capitole, CNRS, Inra, EHESS

TSE : Toulouse School of Economics.

LERNA : Laboratoire d’économie des ressources naturelles – Université Toulouse Capitole, Inra