Cancer : à chacun son traitement
La médecine personnalisée est de plus en plus appliquée en cancérologie. Etienne Chatelut, pharmacien et enseignant-chercheur à l’Institut universitaire du cancer - Oncopole Toulouse (IUCT), nous présente en quoi consiste ces traitements et en quoi sont-ils plus efficaces ?
Propos recueillis par Valérie Ravinet, journaliste. Entretien co-publié par Exploreur et par l'Université Toulouse III - Paul Sabatier.
Qu’est-ce que la médecine personnalisée ?
Etienne Chatelut : Dans le cas du cancer, il s’agit de ne pas proposer le même traitement à des patients présentant des cancers similaires (c’est-à-dire des cancers de même localisation dans l’organisme, et de même type cellulaire), mais de rechercher des caractéristiques moléculaires plus précises de leurs cellules tumorales. Grâce aux techniques modernes et à une meilleure compréhension des processus tumoraux, il est possible de choisir un traitement adapté et donc différent d’un patient à un autre atteint du même type de cancer.
Quelle est la nature de vos travaux ?
EC : Je suis responsable du secteur pharmacologie du laboratoire de biologie de l’IUCT-Oncopole. Nous y menons des activités de routine pour assurer le suivi thérapeutique pharmacologique des patients. Nous réalisons des dosages de médicaments dans des prélèvements sanguins de patients, pour comprendre et prévenir leurs effets indésirables, et les nécessités d’adapter les traitements. En termes de recherche, nous travaillons sur de nouveaux médicaments ou de nouveaux protocoles d’adaptation des doses à chaque patient.
Le dosage du médicament dans le sang des patients est-il un élément de l’individualisation des traitements ?
EC : En matière de cancer, cette pratique qui n’était pas appliquée à la chimiothérapie classique se développe pour les médicaments récents (thérapies ciblées) administrés chaque jour par voie orale. Ainsi, des patients traités par le même médicament peuvent se voir prescrire des doses différentes adaptées à leurs caractéristiques fonctionnelles (fonction rénale et hépatique), la détermination de leur concentration sanguine en médicament permettant d’effectuer cette adaptation de la dose.
Le domaine du cancer est-il en avance en matière de médecine personnalisée ?
EC : C’est en effet un domaine pour lequel le concept de médecine personnalisé se développe particulièrement. La maladie étant liée à des cellules qui présentent des anormalités très différentes selon les individus, les travaux ont montré que l’efficacité des traitements peut être différente d’un patient à l’autre en fonction des caractéristiques moléculaires déjà évoquées.
A-t-on mesuré la réussite de la médecine personnalisée ?
EC : La médecine personnalisée a prouvé son intérêt. Des tests sont aujourd’hui réalisés en routine à partir des prélèvements tumoraux des patients et certaines prescriptions de médicament ne sont réalisées qu’une fois ces tests effectués. Dans le cas du mélanome, par exemple, certaines thérapies ciblées ne sont efficaces que si les cellules tumorales présentent une mutation dite de BRAF : on ne les dispense qu’en fonction des résultats des tests.
Quelles sont les limites de la médecine personnalisée ?
EC : Elles se situent à plusieurs niveaux. Première limite : pour un type de tumeur donnée, on perçoit facilement que la réalisation d’un test qui s’intéresse à une caractéristique moléculaire particulière ne permet pas de maîtriser la complexité de ce cancer ; la recherche est sans fin et chaque découverte nécessite elle-même une période de validation avant d’être appliquée en pratique de soin quotidien. Seconde limite : la réalisation de ces tests quand ils sont envisagés en routine à l’ensemble des patients peut être contraignante et coûteuse ; la généralisation de la personnalisation doit être menée en veillant à ce qu’elle puisse être appliquée à l’ensemble des patients sans restriction géographique sur l’ensemble du territoire.
Etienne Chatelut est enseignant-chercheur en pharmacologie à l’Université Toulouse III – Paul Sabatier, Institut universitaire du cancer - Oncopole Toulouse (IUCT) et responsable de l’équipe Individualisation des doses thérapeutiques anti-cancer du Centre de recherches en cancérologie de Toulouse (Inserm, Université Toulouse III – Paul Sabatier, CNRS)