Pyrénées : scientifiques cherchent bénévoles
Comment évolue la ressource en eau présente dans la neige et les lacs des Pyrénées ? Des chercheurs toulousains analysent ces stocks d’eau importants par satellite. Une nouvelle approche complète aujourd’hui leurs recherches : la science participative. Zoom sur deux projets menés par Simon Gascoin qui étudie le manteau neigeux et Jean-François Cretaux qui s’intéresse aux lacs de montagne, avec l’aide de citoyens !
Par Clara Mauler, journaliste.
Février 2021, un événement attire l’attention : la neige des Pyrénées est orange ! Comment expliquer ce phénomène ? « Les tempêtes de sable dans le Sahara soulèvent des micro-poussières qui sont transportées par l’atmosphère. Parfois les masses d’air qui circulent les déposent jusque dans les Pyrénées. Ça peut arriver plusieurs fois par hiver, avec des intensités variables », explique Simon Gascoin, chercheur CNRS au Centre d’études spatiales de la biosphère (Cesbio). Ces poussières sahariennes recouvrent alors le manteau blanc d’une couche plus ou moins orangée. « L’événement du 6 février se produit peut-être tous les 10, 15 ans. » Face à l’ampleur du phénomène à étudier, Simon Gascoin et ses collègues du Centre national de recherche météorologique et de l’Institut des géosciences de Grenoble lancent le projet « Aidez-nous à mesurer la neige orange ».
« On ne pouvait pas aller récupérer des échantillons partout ! On a donc fait appel aux gens. Ça a vraiment été décidé dans l’urgence. On a posté l’appel sur les réseaux sociaux, des forums de skieurs… On a lancé un peu tous azimuts. Il fallait que l’info circule rapidement pour avoir un suivi assez proche de la date du dépôt ! »
Les instruments du citoyen-chercheur : pot de confiture et spatule de cuisine
L’équipe poste de courtes vidéos expliquant la marche à suivre : prélever la couche de neige orange parfois enfouie sous la neige fraîche, par exemple à l’aide d’une spatule de cuisine, puis remplir un pot de confiture, une brique de lait, une boîte hermétique ou un sac de congélation. Les échantillons peuvent fondre jusqu’à leur remise au chercheur. Ils seront ensuite envoyés à Grenoble et filtrés pour récupérer la poussière à analyser.
Vidéos de Didier Voisin, enseignant-chercheur à l'Université Grenoble Alpes, expliquant la manière de prélever de la neige orange lors de l’appel à mobilisation citoyenne (Source : Cesbio)
Et ça fonctionne. Amateurs de montagne, pisteurs et prévisionnistes avalanche s’associent aux chercheurs. Au total, 150 échantillons sont prélevés entre les Pyrénées et les Alpes qui voient également leurs montagnes colorées. Simon Gascoin les récupère à Toulouse ou part à la rencontre des bénévoles dans les Pyrénées.
Lacs pyrénéens : étude inédite pour le secteur des Bouillouses
L’observation participative du niveau des lacs de montagne est en cours depuis 2019. « Il n’y avait pas de suivi des lacs pyrénéens jusqu’ici », révèle Jean-François Cretaux, ingénieur de recherche CNES au laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (Legos). « Ces petits lacs naturels sont intéressants car ils peuvent répondre rapidement à des changements climatiques importants. »
Le chercheur s’associe pour cela à deux projets de science citoyenne : LOCSS (Lake Observations by Citizen Scientists and Satellites) piloté par la NASA (National Aeronautics and Space Administration) et OECS (Observations des eaux par les citoyens et les satellites) en collaboration avec le Centre national d’études spatiales (CNES) et l’Observatoire Midi-Pyrénées (OMP).
Le principe est simple : une règle, accompagnée d’un panneau explicatif, est installée dans chaque lac étudié. Les promeneurs intéressés prennent en photo la règle indiquant le niveau de l’eau puis l’envoient par téléphone. Le protocole va légèrement évoluer. « Ils pourront directement envoyer le niveau, non plus vers un téléphone, mais un site web, cela va simplifier la saisie d’informations. » Pour l’instant, quatorze lacs pyrénéens, dont huit dans le secteur des Bouillouses dans les Pyrénées orientales et six en Ariège, sont suivis. L’objectif est d’atteindre une cinquantaine de lacs, notamment dans le parc national des Pyrénées.
Là encore, sans participation citoyenne, impossible de réaliser autant de relevés, même si les confinements ont impacté la collecte...
« À partir de mars 2020, c’était le calme plat. Et dès le 11 mai, date du déconfinement, je me suis retrouvé d’un coup avec des dizaines et des dizaines de photos ! »
se réjouit Jean-François Cretaux.
Citoyens et satellites : deux poids, deux mesures ?
Pour les deux projets, les mesures des citoyens vont permettre de valider des données satellites. Explications de Jean-François Cretaux : « On va comparer les données mesurées sur le terrain aux données mesurées par satellite pour avoir une idée de la qualité des mesures satellitaires. »
Le principe sera appliqué au satellite franco-américain NASA/CNES, appelé SWOT (Surface Water OceanTopography), qui sera lancé fin 2022 pour suivre les eaux sur Terre. Après son lancement, SWOT sera positionné sur une orbite précise et passera tous les jours au-dessus des mêmes endroits, dont les Pyrénées. L’équipe de recherche comptera alors sur des écoles, lycées, étudiants ou clubs de randonnée pour obtenir des données de validation tous les jours pendant trois mois. « On ne pourra pas s’en tenir à la bonne volonté de quelques randonneurs qui passent par là. »
Une fois cette phase de validation passée, le satellite couvrira l’ensemble de la Terre pendant les trois années de sa mission. « On va pouvoir mesurer les niveaux, étendues et variations de stock d’eau de millions de lacs et de fleuves, comme l’Amazone. Ça va être une nouvelle connaissance incroyable. Aujourd’hui, c’est inatteignable, on ne peut pas installer une règle sur 8 millions de lacs et demander aux gens d’aller mesurer ! »
Les mesures participatives sur les lacs assureront également un suivi au long terme des conditions hydrologiques. SWOT étant une mission expérimentale de trois ans, un suivi satellitaire ne se poursuivra peut-être pas au-delà. « Quand je serai à la retraite, j’espère que les citoyens continueront d’envoyer des informations pour qu’on puisse dire dans 10, 20, 30, 40 ans, comment les quantités d’eau évoluent en fonction du temps, des grands événements climatiques… »
Cartographier les poussières sur l’ensemble de la planète
Pour Simon Gascoin, ce sont les couleurs des images satellite qui seront reliées aux quantités de poussières récoltées. « Une carte de poussières faite par satellite n’a jamais été comparée à 150 endroits différents pour vérifier la qualité des données », précise le chercheur. « Si on arrive à mettre en place un algorithme qui calcule automatiquement la quantité de poussières à partir d’images satellites, on pourra avoir une bonne cartographie des quantités de poussières dans d’autres chaînes de montagne, pas seulement les Pyrénées. » Cette méthode s’appuiera sur le satellite européen Sentinel-2 qui donne des images prometteuses.
Des mesures utiles pour modéliser le changement climatique ?
Les données récoltées sur la neige orange et le niveau des lacs permettent également d’affiner des modèles numériques simulant l’évolution du climat, la vitesse de fonte de la neige ou encore la circulation de masses d’air. Les indications fournies par le satellite SWOT pourront renseigner des modèles d’évolution du climat. « C’était compliqué jusqu’à présent de prendre en compte la présence des lacs sur Terre, qui représentent tout de même 3 ou 4% de la surface continentale. Aujourd’hui, les modèles s’affinent et commencent à en tenir compte dans le cycle de l’eau et l’évolution des variables climatiques, comme les précipitations, les températures… », révèle Jean-François Cretaux.
Les quantités de poussières sahariennes, leurs masses et propriétés optiques, sont quant à elles intégrées à une simulation qui évalue leur impact sur la vitesse de fonte de la neige. En effet, quand la neige est colorée, les rayons du soleil sont moins réfléchis et davantage absorbés, ce qui la réchauffe et accélère sa fonte. « Avec les dépôts de février, on estime que la fonte pourrait avoir jusqu’à 30 jours d’avance », dévoile Simon Gascoin.
Est-ce que ces phénomènes augmentent avec le changement climatique ? Le chercheur répond prudemment. « Il y a peu d’évènements de ce type, il faudrait qu’il y en ait très souvent et surtout qu’on les ait enregistrés sur plusieurs décennies pour dégager une tendance. »
Les modèles atmosphériques pourront également s’appuyer sur les informations relatives à la neige orange. « Les météorologues font circuler les masses d’air et simulent le mouvement des poussières. On a ici un bon moyen pour vérifier si le transport atmosphérique des poussières a été bien modélisé », souligne Simon Gascoin qui souhaite utiliser au maximum le travail des citoyens. « On a à cœur de bien valoriser ces échantillons. On a un joli jeu de données pour aborder plusieurs questions scientifiques. »
Une collaboration chercheurs-citoyens à poursuivre !
Les échanges chercheurs-citoyens dans les Pyrénées amènent des données chiffrées pour valider des démarches d’observations satellitaires qui apporteront de nouvelles connaissances sur le suivi des ressources en eau et pour les modèles atmosphériques et climatiques. « Il y a aussi vraiment un côté humain », souligne Jean-François Cretaux. Des bénévoles se sont particulièrement impliqués. Simon Gascoin complète : « Tous les témoignages nous confortent dans l’impression que c’était un phénomène exceptionnel ». Ce lien créé entre sciences et société pourrait perdurer confie l’hydrologue.
« On a envie de tenir les participants informés rapidement parce qu’on a des gens qui ont réagi vite. Et on va garder ce réseau d’observateurs sur lequel on pourra s’appuyer pour être plus réactifs l’année prochaine si l’occasion se présente. La plupart semblent partants pour recommencer. »
La neige et les lacs ne sont pas les seuls terrains d’exploration pour les citoyens-chercheurs. Les projets de sciences participatives poussent comme des champignons dans les montagnes pyrénéennes.
Les plantes subaquatiques présentes dans ses lacs intéressent Arthur Compin, biologiste, ingénieur CNRS au laboratoire toulousain d'écologie fonctionnelle et environnement. Pour comprendre si les variations de niveaux d’eau sur les bords de lacs menacent la survie de la subulaire aquatique, une petite plante amphibie, il invite également les promeneurs à photographier le niveau des lacs. Le transport atmosphérique de microplastiques et leur dépôt dans des zones reculées, comme les montagnes pyrénéennes, est l’objet d’un autre projet de science citoyenne mené par Gaël Le Roux, chercheur CNRS, bio-géochimiste dans le même laboratoire.
« C’est dans l’air du temps, il y a de plus en plus d’initiatives », souligne Jean-François Cretaux. « Ça existe depuis un moment... Météo France a travaillé pendant longtemps avec des particuliers qui avaient un thermomètre, un pluviomètre et un baromètre dans leur jardin, et qui envoyaient ces informations qui étaient ingérées dans les bases de données pour faire des prévisions. Il y a aussi beaucoup d’astronomes amateurs qui faisaient des relevés d’étoiles et qui les envoyaient aux organismes de recherche qui n’avaient matériellement pas le temps d’observer le ciel en permanence. Il y a plein de domaines où des gens passionnés envoyaient des infos utiles pour les chercheurs. Ça a été re-popularisé. »
En effet, le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a justement annoncé fin avril 2021 le lancement de mesures issues de la loi de programmation de la recherche autour de la thématique « science avec et pour la société ».
Citoyens curieux, la science a besoin de vous !
Legos : Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (Observatoire Midi-Pyrénées, IRD, CNES, CNRS, Université Toulouse III – Paul Sabatier)
Cesbio : Centre d'études spatiales de la biosphère (CNRS, IRD, CNES, INRAE, Université Toulouse III - Paul Sabatier)