[The conversation] - Le bonus/malus, un remède contre les arrêts maladie au travail

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Vivant・Santé

[The conversation] - Le bonus/malus, un remède contre les arrêts maladie au travail

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Aujourd'hui, de plus en plus de salariés sont malades et ils restent arrêtés de plus en plus longtemps © Dmytro Zinkevych / Shutterstock

Chaque année sortent en septembre les chiffres de l’absentéisme de l’année précédente. Chaque année, les médias les diffusent et s’alarment de l’augmentation du nombre de jours d’absence des salariés en raison d’arrêts maladie. Chaque année, le sujet est oublié deux semaines plus tard ; tout reste comme avant. L’année 2019 ne fait pas exception à cette rengaine. D’après les chiffres fournis par plusieurs assureurs, l’absentéisme a poursuivi sa croissance en 2018, ce qui a entraîné un grand nombre d’articles dans les médias. En revanche, les réactions du gouvernement et des représentants patronaux se font rares. Il semble que la résignation règne en maître. « C’est la faute de la fatalité ! » dirait Charles Bovary.

Par Denis Monneuse, Chercheur à l'Université du Québec à Montréal, AUF (Agence universitaire de la francophonie). Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

On aurait pourtant tort de baisser les bras face à l’absentéisme. Tout d’abord parce qu’il coûte cher à tout le monde. D’après la commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS), les indemnités journalières versées s’élèvent à plus de 10,3 milliards d’euros par an. Les arrêts de travail pénalisent aussi les employeurs de façon directe (coûts salariaux, coûts de remplacement, etc.) et indirecte (désorganisation du service, coûts de gestion, dégradation de la qualité du travail, etc.). À titre individuel, un arrêt de travail peut représenter une baisse de revenus pour un salarié. Au-delà de cette dimension pécuniaire, on ne peut se satisfaire du point de vue éthique que de plus en plus de travailleurs soient malades et de plus en plus longtemps.

 

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Montant annuel des indemnités journalières en 2016 et 2017.

 

Des propositions qui oublient les causes

L’été dernier, le gouvernement avait pour une fois marqué son intention d’agir afin d’endiguer le phénomène. L’idée avait alors été lancée de faire payer les employeurs à travers l’instauration d’une sorte de malus visant à sanctionner financièrement les employeurs qui auraient le plus d’arrêts de travail de courte durée. Cette réflexion fut toutefois rapidement enterrée sous la pression des organismes patronaux.

Le premier ministre Édouard Philippe avait alors confié une mission de concertation à Jean‑Luc Bérard, DRH du groupe Safran, Stéphane Oustric, professeur de médecine à l’université de Toulouse, et Stéphane Seiller, magistrat à la Cour des comptes. Ce rapport préconise plusieurs mesures. Il propose notamment d’instaurer un jour de carence obligatoire pour tous, ce qui revient à prendre les salariés malades au portefeuille. Son introduction dans la fonction publique a montré que ce type de mesure fait baisser la fréquence des arrêts, mais fait courir le risque d’une augmentation de la durée des arrêts courts, d’une part, et d’une augmentation du « surprésentéisme », d’autre part : des travailleurs peuvent renoncer à un arrêt de travail alors que celui-ci était nécessaire par rapport à leur état de santé.

Le rapport propose aussi de meilleurs contrôles médicaux, ce qui est sans doute nécessaire mais n’améliore en rien la santé au travail. Enfin, il prône l’utilisation du télétravail et du temps partiel comme alternatives à l’arrêt total du travail. Cette dernière piste est intéressante dans certains cas, mais ne s’attaque pas non plus aux causes. Autrement dit, ce rapport se propose avant tout de limiter les arrêts et leurs conséquences, s’attaquant peu à leur racine.

À quoi est dû un arrêt de travail ? Soit à un état de santé réellement dégradé, soit à un abus du système, soit à de la démotivation au sens où le premier prétexte (un petit coup de fatigue par exemple) sera utilisé par une personne qui cherche à fuir sa situation de travail. La plupart des acteurs (les gouvernements successifs, la plupart des employeurs, le rapport précité) tendent à se focaliser sur les abus. Ceux-ci sont réels, mais minoritaires. Le risque est de passer à côté des deux autres motifs d’arrêts de travail.

Comment améliorer la santé des travailleurs et accroître leur motivation ? La métaphore médicale s’impose : difficile de proposer un bon remède sans bon diagnostic préalable. Quelles sont donc les causes de la hausse de l’absentéisme ? À l’échelle sociétale, cette hausse s’explique par le vieillissement de la population active avec le recul de l’âge de la retraite, les difficultés rencontrées par les familles monoparentales, le nombre de salariés aidants, etc. Toutefois, il y a peu de chance que l’âge de la retraite soit avancé et l’on peut difficilement interdire aux couples de se séparer ou encore aux gens de ne plus s’occuper de leurs parents en état de dépendance.

À l’échelle individuelle, on peut inciter les Français à avoir une meilleure hygiène de vie, donc une meilleure santé. Aujourd’hui, tout le monde sait que fumer tue et qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour. Mais il ne suffit pas de le savoir pour le faire. Nombre de médecins fument par exemple ! On pourrait imaginer un système de bonus/malus pour récompenser/sanctionner les gens selon leur hygiène de vie, mais ce type de mesure obligerait l’assurance maladie et les assureurs à se montrer intrusifs, voire à devenir big brother.

Baisse des accidents du travail

C’est donc à l’échelle organisationnelle qu’il convient en premier lieu d’agir, en favorisant notamment le maintien dans l’emploi et l’accompagnement des salariés au retour d’un arrêt de travail pour éviter le risque de rechute. La question devient donc : comment inciter les employeurs à agir ? Certes, des dirigeants sont sensibles à ce sujet, mais d’autres ont besoin de la carotte et du bâton parce qu’ils sont évalués à court terme alors que la prévention et les plans d’action produisent des effets à plus long terme. Un système de bonus/malus inciterait les entreprises à remplir réellement leur obligation de résultat en matière de santé et sécurité.

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Les indemnités journalières ont coûté plus de 10 milliards d’euros à la Sécurité sociale en 2017 © Pixavril/Shutterstock

La principale critique adressée à cette proposition porte sur d’éventuels effets pervers : les employeurs pourraient être tentés de sous-déclarer les arrêts de travail ou faire pression sur leurs salariés pour qu’ils ne s’arrêtent pas. Toutefois, ces risques existent déjà à l’heure actuelle et des négociations entre l’État et les partenaires sociaux pourraient proposer des garde-fous ainsi que des adaptations (par exemple un bonus/malus différent suivant les branches d’activité). Certes, on peut comprendre qu’un bonus/malus effraie les mauvais élèves, mais ce n’est pas une raison pour rester les bras croisés.

Les systèmes de bonus/malus ont souvent démontré leur efficacité. Ils ont contribué à une baisse des accidents du travail à un taux historiquement bas ; il y a donc de l’espoir d’obtenir des résultats semblables pour les arrêts maladie. De même, l’index de l’égalité femmes/hommes, même s’il est en partie critiquable quant à ses modalités, produit déjà des effets incitatifs intéressants sur les entreprises.

Philosophiquement, on peut regretter d’être obligé d’agiter la carotte et le bâton, mais il faut bien tenir compte de la nature humaine. Le pragmatisme a du bon, surtout si c’est pour une bonne cause : la santé au travail.

Lire l’article original sur The Conversation