[The Conversation] - Néandertal et les fake news : histoire d’un « documenteur »

Partagez l'article

Cultures・Sociétés

[The Conversation] - Néandertal et les fake news : histoire d’un « documenteur »

Image du film "Le fils de Neanderthal" © Jacques Mitsch.tv
Image du film "Le fils de Neanderthal" © Jacques Mitsch.tv

C’est l’histoire d’un canular scientifique aux allures de fake news qui, nous allons le voir, va nous permettre de réfléchir à la responsabilité propre au scientifique dans la diffusion d’une information aussi vraie que possible, dans l’état actuel des connaissances.

Par Nicolas Teyssandier, chercheur CNRS.

 

C’est l’histoire d’un canular scientifique aux allures de fake news qui, nous allons le voir, va nous permettre de réfléchir à la responsabilité propre au scientifique dans la diffusion d’une information aussi vraie que possible, dans l’état actuel des connaissances.

Tout le monde, ou presque, sait aujourd’hui ce que signifie le terme fake news. Soit ces informations sciemment falsifiées et diffusées sur le web afin de tromper le public dans un but politique ou économique. Depuis leur émergence, les discussions sur le sens de la vérité sont vivement débattues. Elles occupent les journalistes, interrogent les pédagogues, mais pas seulement : les scientifiques, philosophes, historiens, climatologues ou astrophysiciens, sont convoqués à témoigner. Chercheur en préhistoire, je m’interroge aussi et me demande, comme tout un chacun, comment nous pouvons lutter et éduquer les citoyens face à ce phénomène planétaire.

Pour illustrer mon propos, je vais vous raconter une expérience personnelle et les réactions publiques qu’elle a suscitées. Vous allez peut-être la juger curieuse et antinomique avec l’objectif visé et pourtant, j’y crois ! En 2016 et 2017, comme préhistorien, j’ai participé à l’élaboration du documenteur Le fils de Néandertal ou le secret de nos origines diffusé sur Arte le 1er avril 2017 en prime time, à 20h50.

Bande annonce du film.

Vous avez bien lu : documenteur. Ce « mot-valise » désigne un support audiovisuel utilisant la forme du documentaire à des fins parodiques ou satiriques. À mes yeux, il s’agissait d’utiliser ce type de fiction pour faire réfléchir à la fois sur le sens et la portée des résultats scientifiques mais aussi sur la forme des films les plus généralement proposés au grand public : les docus-fictions.

L’essor des docus-fictions

Ce genre documentaire émergea en France au début des années 2000. Ils mettent en scène une fiction inspirée par des personnages et/ou des faits ayant existé. Leur succès a clairement donné au documentaire un nouvel élan, passant, en diffusion, d’horaires très tardifs aux honneurs du prime time. Les docus-fictions ont rapidement investi les périodes historiques dépourvues d’images d’archives. En science et en histoire, les succès ont été « L’odyssée de l’espèce » ou « Le dernier jour de Pompéi ». A chaque fois grosse audience, des millions de téléspectateurs… De même pour notre film Le fils de Néandertal ou le secret de nos origines : près de 1,5 million de téléspectateurs en France, Allemagne et Belgique lors de sa diffusion.

Nous avons donc proposé au public ce documenteur aux allures de docu-fiction « traditionnel ». Mais étais-je dans le juste pour fabriquer un canular avec un réalisateur de fiction en utilisant mes connaissances et mon statut de chercheur ? Était-ce antinomique ou étais-je à ma place de scientifique, dans cette histoire inventée, souvent burlesque, mettant en scène mon avatar, Nicolas Darvain, enquêtant sur une intrigante sépulture, redécouverte dans le capharnaüm d’une grange basque où un explorateur des débuts du XXe siècle avait entassé pêle-mêle ses trouvailles ?

La question s’est posée, se pose encore. Parmi les réactions les plus vives, celles de personnes qui n’ont pas compris, et pas appréciées, de s’être fait berner par un chercheur, qui plus est sur Arte, média de référence en ce qui concerne la diffusion des savoirs. Dans leurs esprits, chercheur et diffuseur agissaient de concert : ce qu’ils produisaient sur ce média « sérieux » devait être la Vérité, univoque et implacable, de la Science. Chacun devait revêtir son habit d’autorité – la blouse blanche du chercheur soulignée par la voix off du docu – et délivrer le message sacré. Qui, évidemment, ne pouvait être que nouveau, voire révolutionnaire.

C’est en effet une pratique courante de la télévision que d’annoncer une découverte scientifique en faisant croire que tout était faux avant, comme si une nouvelle connaissance venait « remplacer » les précédentes. Or, cette façon de présenter est à l’inverse de ce qu’est réellement la science : rien n’y est vrai pour l’éternité, ni définitif ; le savoir s’accumule. C’est bien pour cela que tous les scientifiques ne sont pas d’avis unanime sur une question donnée. Karl Popper, le grand philosophe des sciences du XXe siècle ne disait-il pas qu’une hypothèse est scientifique si et seulement si elle est réfutable.

Une prétendue bombe archéologique

 

 

Revenons à notre documenteur et racontons l’histoire pour ceux qui ne l’auraient pas vu. La sépulture qui y est redécouverte par mon avatar est un bloc de terre plâtré contenant des ossements humains qui s’avèrent rapidement être les vestiges archéologiques d’une inhumation volontaire. Dès lors, à grand renfort d’analyses en laboratoire, l’incroyable découverte révèle peu à peu ses mystères : ceux d’une femme Sapiens, morte en couche il y a 25 000 ans et portant un fœtus néandertalien. Une véritable révolution scientifique aux sources du métissage primitif…

Au-delà de cette prétendue bombe archéologique, désamorcée au final, le film nous amène à réfléchir aux implications de ce métissage plurimillénaire avec Néandertal. Car tout n’est pas bidon, dans cette histoire fausse : ces dix dernières années, les plus grandes revues scientifiques ont fait leur une sur les liens unissant Néandertal et Sapiens et sur les 1 à 4 % de ces gènes archaïques qui subsistent aujourd’hui dans notre génome. Des chercheurs vont encore plus loin aujourd’hui pour repérer ce qu’il y a de Néandertal en nous, humains du XXIe siècle. Dans une étude publiée dans la revue Science en 2016, un groupe de chercheurs en génomique et biomédecine a révélé que des allèles néandertaliennes sont corrélées avec certains phénotypes cliniques des Européens actuels. Ces variantes génétiques remontant à notre métissage avec Néandertal seraient associées à des facteurs affectant la peau (risques liés à l’exposition au soleil), le sang (hypercoagulation) et les risques de dépression mais aussi des phénomènes addictifs comme celui de la dépendance à la nicotine. Notre film vous le dit : si vous n’arrivez pas à arrêter de fumer, c’est votre part néandertalienne qui joue contre vous !

Ces études très sérieuses nous ont servi dans le film à inventer des recherches au sein d’un laboratoire fictif de psycho-archéologie. Dans ce lieu, des cobayes humains au génome recélant une forte part néandertalienne (l’un d’eux affichant jusqu’à 66 % de gènes archaïques hérités !) ont participé à des tests psycho-cognitifs. Le film n’hésite pas à aller très loin dans un certain délire : la sensibilité écologique serait une valeur très Néandertal, puisque le curieux cobaye aux 66 % de gènes ancestraux serait très écolo, économisant l’eau à travers la permaculture et vivant en parfaite harmonie avec la nature.

Réfléchir sur les frontières du vrai

Le canular est donc servi par une histoire fictive et farfelue. Mais on l’a vu, elle se fonde en partie sur de véritables données scientifiques. Et c’est là, à mon sens, que le documenteur prend toutes ses vertus pédagogiques, en nous conduisant à réfléchir sur les frontières du vrai et faux et les enseignements que l’on peut en tirer.

En nous trompant, en nous faisant rire, ce genre nous pousse dans nos retranchements, nous interroge sur le pouvoir des mots et des images et sur le poids de la narration et du récit quand ceux-ci nous convoquent dans une intrigue où l’enchaînement et le rythme des évènements rendent délicats la prise de recul instantanée.

Il nous invite à la prudence aussi, à nous départir de toute certitude, à accepter que certaines données ou avancées scientifiques sont provisoires. Que la frontière entre ce que l’on pouvait dire ou ne pas dire il y a 10 ou 20 ans n’est plus la même aujourd’hui. Faire un docu-fiction il y a un quart de siècle sur le métissage des populations Sapiens et néandertalienne relevait de la plus stricte science-fiction ou du film d’anticipation, ce qui n’est plus le cas en 2018 puisque l’on sait que ces deux humanités se sont rencontrées et mélangées.

Mais alors, me direz-vous, ce film était-il à propos alors que le monde est entré dans une ère de post-vérité ? Et bien je répondrai, oui, justement, ce film tombe à pic. il est temps de contrer par tous les moyens ces logiques falsificatrices qui renvoient davantage du côté de la foi et des croyances que du côté du doute et de la science. Il faut aussi éduquer, par tous les moyens possibles, pour réveiller les esprits critiques et ce dès le plus jeune âge. Plus d’un an après la diffusion de notre documenteur, si je dois lui reconnaître un point positif incontestable, c’est bien dans l’accueil qu’il trouve auprès des pédagogues et des formateurs, pour nourrir les débats avec les jeunes publics. Ça valait bien la peine de rire un peu tout en éveillant les consciences par l’imaginaire de la fiction.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.