Des bulles rafraîchissantes dans l’espace

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Sciences de la matière

Des bulles rafraîchissantes dans l’espace

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Observer le comportement d’une bulle de vapeur en apesanteur : voici l’une des contributions à la conquête de l’espace des chercheuses et chercheurs de l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse (IMFT). Méfiez-vous des apparences, étudier finement l’ébullition à l’échelle d’une bulle est fondamental pour maitriser le refroidissement des composants électroniques à bord des satellites et la propulsion des fusées.

Par Anne-Claire Jolivet, de l’équipe Exploreur.

Depuis plus de 20 ans, des scientifiques de l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse - IMFT (Université Toulouse III - Paul Sabatier, CNRS, Toulouse INP) scrutent le comportement des bulles de vapeur en microgravité. Ces études d’écoulements diphasiques sont réalisées grâce au soutien du CNES et de l’Agence spatiale européenne (ESA). Entre l’amphithéâtre, la salle de travaux pratiques et la paillasse du laboratoire, le quotidien de l’enseignante-chercheuse Catherine Colin, se rythme également de vols paraboliques (initialement dans l’emblématique Caravelle et aujourd’hui dans l’Airbus A310 Zéro-G).

« En apesanteur, les bulles de vapeur deviennent beaucoup plus grosses que sur terre et restent plus longtemps en contact avec la paroi chauffée avant de se détacher. Nous pouvons ainsi plus facilement étudier les détails du phénomène pendant 10 à 20 secondes. La bulle en se formant sur une paroi extrait la chaleur de la surface du matériau. Sa fonction de refroidissement est primordiale dans bien des applications »

résume Catherine Colin, professeur de Toulouse INP – ENSEEIHT.

 

 

Refroidir par ébullition pour éviter la surchauffe des composants électroniques

Dans cette étude, il n’est pas question d’observer les bulles de nos casseroles, ni celles de nos coupes de champagne, mais celles des fluides diphasiques frigorigènes comme le FC72, le n-perfluorohexane. Ce type de fluide a l’avantage de se vaporiser facilement au contact d’une source chaude. Ils sont utilisés notamment dans les systèmes de refroidissement de nos ordinateurs et téléphones portables, dans les caloducs en contact avec les composants électroniques.

« On cherche un état d’ébullition continu permettant un bon échange de chaleur, pour éviter la surchauffe de la paroi. L’ébullition est un mode de transfert de chaleur très efficace », précise Catherine Colin.

Comment cela fonctionne ? Quand des petites bulles se forment puis se détachent rapidement d’une paroi (quelques millisecondes), l’énergie nécessaire à leur vaporisation est extraite de la paroi. C’est à l’endroit où la bulle se crée, « au pied de la bulle » et dans son voisinage, que le matériau se refroidit. Plus il y a de bulles, plus la quantité de chaleur évacuée est importante.

Mais en microgravité, c’est une autre histoire. Les bulles de vapeur ne vont pas se détacher. Elles sont moins nombreuses, elles grossissent, deviennent énormes et restent collées sur la paroi, plusieurs secondes. Alors elles bloquent le transfert de chaleur, et le composant électronique chauffe et peut se détruire.

RUBI : un instrument européen au service de la bulle

Comment garantir le fonctionnement des systèmes électroniques dans l’espace ? L’enjeu est colossal et l’expérience de référence pour l’étude de l’ébullition en apesanteur RUBI (Reference mUltiscale experiment for boiling Investigation) relève le défi. Elle a été lancée sur la station spatiale internationale le 24 juillet 2019 et entre septembre 2019 et février 2020, 4786 expériences ont été réalisées et 340 nouvelles expériences seront prévues à partir d’octobre 2020.

Depuis 2005, l’équipe de l’IMFT travaille conjointement avec plusieurs universités européennes à la définition de RUBI :  l’Université TU Darmstadt, l’Université de Pise, l’ENEA Rome, l’IUSTI Marseille, l’Université Libre de Bruxelles, l’EPFL Lausanne, l’IMFT, l’Université de Thessalonique. Cette expérience unique est financée par l’Agence spatiale européenne (ESA).

« RUBI a la taille d’une boîte à chaussures et comprend une cellule d’essai d’environ 10 cm3 dans laquelle la bulle va être formée et toute l’instrumentation nécessaire à son étude. »

L’exercice est délicat. La bulle de vapeur est générée sur un élément chauffant en paroi par un pulse laser. La croissance de la bulle de vapeur est filmée à l’aide d’une caméra rapide et la température de l’élément chauffant est mesurée par une caméra infrarouge. Un champ électrique peut être appliqué entre une électrode et la paroi et un écoulement peut être généré par une pompe.

 

schéma RUBI
Schéma de principe de l’expérience RUBI © ESA

 

« Dans l’expérience RUBI, nous étudions pendant 10 à 20 secondes le comportement de la bulle, avec ou sans écoulement, avec ou sans un champ électrique. Nous caractérisons la vitesse de croissance de la bulle de vapeur et son diamètre de détachement et développons des modèles théoriques pour la prédiction de ces paramètres. »

complète Catherine Colin.

 

À Toulouse, Catherine Colin avec l’aide de ses collègues Julien Sebilleau de Toulouse INP et Qaisar Raza du CNES, étudient plus spécifiquement l’impact de la vitesse de circulation du fluide.

bulle apesanteur
Visualisations de la formation des bulles dans RUBI.

 

Au cœur des réservoirs cryogéniques des fusées 

Ces études de physique fondamentale sont également précieuses pour optimiser la propulsion spatiale. Le regard toujours tourné vers les étoiles, les chercheuses et chercheurs de l’IMFT se préoccupent des phénomènes d’ébullition dans les réservoirs cryogéniques du troisième étage de la fusée Ariane 5. L’objectif du projet COMPERE (Comportement des ergols dans les réservoirs) des agences spatiales françaises et allemandes (CNES et DLR) est cette fois-ci de prédire la quantité de vapeur formée dans les réservoirs d’oxygène et d’hydrogène liquide des lanceurs spatiaux. L’enjeu est crucial : cette vapeur provoque une montée de la pression nuisible au bon déroulement du vol. Aujourd’hui, lorsque le rayonnement solaire ou la chaleur du moteur génère de l’ébullition, il est souvent nécessaire de laisser échapper une partie du fluide pour éviter une trop forte montée en pression des réservoirs, ce qui est préjudiciable notamment pour les missions de longues durées. Dans le cadre de ce programme, l’IMFT et l’Université de Brème ont réalisées des expériences en fusée sonde en collaboration avec l’Esa, Air Liquide et Airbus/DS. Deux expériences constituées d’un réservoir à petite échelle ont été lancées par les fusées Maser 11 et 12 de la base d’ESRANGE à Kiruna dans le nord de la Suède.

Des recherches fondamentales à haut potentiel

« L’idée n’est pas d’étudier toute sa vie ce qui se passe à l’échelle d’une bulle. Mais de comprendre comment transposer ce qu’on observe en laboratoire ou en microgravité à ce qui se passe dans un réservoir où on a beaucoup de bulles, c’est cette transposition des modèles qui est intéressante. »

précise Catherine Colin.

La modélisation des transferts thermiques en ébullition repose souvent sur des corrélations basées sur des données expérimentales obtenues dans des conditions particulières et qui ne sont pas transposables à d’autres conditions (température, pression, fluide)

L’évolution technologique offre aux physiciens des outils pour appréhender de plus en plus finement les phénomènes et améliorer leur compréhension. La puissance des ordinateurs permet maintenant de réaliser des simulations numériques fiables à l’échelle d’une bulle, voire de quelques bulles, ce qui facilite le développement de modélisations plus génériques et leur transposition vers des plus grandes échelles proches des applications industrielles.

« Dans le futur, les défis ne manqueront pas. Certes, la course à la Lune des puissances économiques mondiales stimule le secteur des recherches dans le spatial mais l’étude des transferts thermiques dans les fluides diphasiques est également cruciale pour la sureté nucléaire et plus largement pour la transition énergétique. »

 

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