Arctique : un laboratoire du climat
Pour prévoir les conséquences du changement climatique sur toute la planète, les chercheurs les étudient dans les hautes latitudes. C’est là, en effet, qu’elles se manifestent avec le plus d’ampleur.
Par Anne Debroise
« Ces dernières années, nous avons vu l’Arctique changer de manière spectaculaire »
témoigne Elena Zakharova, chercheuse au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS). En trente ans, la surface de la banquise a été divisée par deux. »
L’Arctique se réchauffe en effet deux fois plus vite que le reste de la planète. La violence des conséquences de ce réchauffement en fait un objet d’étude exemplaire pour tous ceux qui s’intéressent aux conséquences du changement climatique.
Au cœur de ces recherches figurent les observations de l’équipe Cryosphère satellitaire dont fait partie Étienne Berthier, au LEGOS : « Nous utilisons les images des satellites Spot ou Pléiades pour évaluer l’évolution des glaces continentales, notamment celles qui recouvrent le Groenland, le Spitzberg, l’Alaska, le nord du Canada et de la Sibérie ». La comparaison des cartes topographiques dressées à partir d’images prises à quelques années d’intervalle leur permet de calculer la perte de masse des glaciers.
« Entre 2003 et 2009, l’Arctique a ainsi perdu 177 milliards de tonnes de glace par an» souligne-il. L’Arctique représente les deux tiers de la fonte des glaciers de la planète, elle-même responsable d’un tiers de la hausse du niveau moyen de la mer. Ces données, fondamentales, sont mises à disposition de la communauté scientifique et ont notamment servi à la rédaction du dernier rapport du GIEC.
À la fonte des glaces continentales s’ajoute celle du pergélisol, le sol gelé toute l’année mais que le réchauffement de surface amène à fondre. L’eau issue de la fonte draine de nombreux éléments chimiques (carbone, métaux lourds, etc.) vers l’océan. Roman Teisserenc, professeur à l’INP-ENSAT, de l’équipe Biogéochimie et Transfert aux interfaces du Laboratoire d’écologie fonctionnelle et environnement (EcoLab), suit depuis avril 2014 les flux de matière organique dans le plus grand fleuve arctique, l’Iénisseï, dans le cadre du projet TOMCAR-Permafrost : « Nos premières constatations révèlent que les quantités de carbone exporté vers l’océan sont beaucoup plus importantes que ce que l’on pensait, particulièrement au moment de la crue de printemps.
À cette période, il s’agit en plus de matière peu dégradée, qui a donc encore du potentiel pour se décomposer et donc produire du CO2 qui pourrait s’ajouter à celui émis par les activités humaines et accentuer le réchauffement. » Une fois intégrées dans les modèles globaux du carbone, ces nouvelles données permettront de mieux appréhender le cycle du carbone et son rôle dans le changement climatique.
Ces nouvelles données permettront de mieux appréhender le cycle du Carbone
L’effet exacerbé de ce dernier dans l’Arctique pourrait-il aussi favoriser la propagation de certaines maladies infectieuses ? C’est une des questions que s’est posées Jean-François Magnaval, médecin, parasitologue et membre du laboratoire Anthropologie moléculaire et imagerie de synthèse (AMIS). En 2012, son équipe a réalisé, avec des collègues yakoutes, une enquête épidémiologique auprès d’habitants de deux villages de la région de Verkhoïansk, située au-delà du cercle polaire et réputée la plus froide du monde : « Nous avons été surpris de trouver, dans les échantillons sanguins, des anticorps qui témoignent qu’une proportion notable des habitants a été infectée par des zoonoses que l’on pensait restreintes à des zones plus chaudes, comme la maladie de Lyme qui est transmise par les tiques ». L’élévation des températures d’été pourrait étendre encore l’aire de ce type de maladies.
Poisson au mercure
Dans l’Arctique, le réchauffement climatique a un effet inattendu : l’accentuation de la pollution au mercure. Bien que très éloignée des zones industrielles ou minières, la faune de la région exhibe les taux de contamination par cet élément les plus élevés de la planète. Jeroen Sonke, au laboratoire Géosciences Environnement Toulouse (GET) s’est penché sur ce paradoxe grâce à un financement du Conseil européen de la recherche (ERC).
Le mercure est émis sous forme de gaz par les industries. Après environ six mois dans l’atmosphère, il se dépose dans les océans où il est transformé par les bactéries en méthylmercure, capable de contaminer la chaîne alimentaire » souligne Jeroen Sonke. Ses prélèvements dans l’océan Arctique indiquent que la transformation en méthylmercure a lieu vers 20 mètres dans l’Arctique, alors qu’elle se produit entre 400 et 1 000 mètres ailleurs.
La raison ? « À cause de la stratification des eaux due à la température, les microbes qui assimilent le mercure pour le transformer en méthylmercure sont confinés dans la couche supérieure des eaux arctiques » explique le chercheur. À cette profondeur, la vie abonde et le méthylmercure s’accumule donc dans la chaîne alimentaire. Un tel mécanisme pourrait s’accentuer avec la fonte massive des glaciers, qui va renforcer la stratification des eaux arctiques.
LEGOS : Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiale – OMP – Université Toulouse III – Paul Sabatier, CNES, CNRS, IRD.
GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
EcoLab : Laboratoire d’écologie fonctionnelle et environnement – OMP – INRA, CNRS, Université Toulouse III – Paul Sabatier, Toulouse INP
AMIS : Anthropologie moléculaire et imagerie de synthèse – Université Toulouse III – Paul Sabatier, CNRS, Université de Strasbourg.
GET : Géosciences environnement Toulouse – OMP – Université Toulouse III – Paul Sabatier, CNES, CNRS, IRD.