La diversité dans les entreprises : responsabilité sociale ou opportunité économique ?
« Il n’existe pas de définition juridique de la diversité » et pourtant la gestion de la diversité par les entreprises a beaucoup évolué au cours des vingt à trente dernières années. À la fois sous l’influence de nouvelles normes et réglementations, mais aussi en raison de l’expansion de la fameuse RSE, la responsabilité sociale des entreprises. Entretien avec Isabelle Desbarats, enseignante-chercheuse en droit social à l’Université Toulouse 1 Capitole.
Par Paul Périé, journaliste scientifique.
Depuis plusieurs années, on entend beaucoup parler de Responsabilité sociale des entreprises (RSE). Quel est l’impact de ces politiques sur la diversité au sein des entreprises ?
Isabelle Desbarats : C’est une question délicate parce qu’il n’existe pas de définition juridique de la diversité. On sait définir l’égalité de traitement, la non-discrimination ou la parité, mais pas la diversité. Cela renvoie à la question de la mesure de la diversité et donc aux statistiques ethniques, qui ne sont que très restrictivement admises en France. Cependant, les entreprises ont pris conscience qu’il fallait se préoccuper de la gestion de la diversité et que cela pouvait s’appuyer sur la RSE.
Derrière cela, se cachent de multiples enjeux : une amélioration de l’image de l’entreprise, une optimisation des ressources humaines et une limitation des risques contentieux. Le respect des règles relatives à la non-discrimination et à l’égalité de traitement peut aider les entreprises à concrétiser cet objectif, tout comme les politiques publiques envers les personnes vulnérables que sont les femmes, les personnes en situation de handicap et les seniors. En revanche, le CV anonymisé, qui pouvait répondre à ce souci de diversité dans les entreprises tout en luttant contre les discriminations, est « mort-né » : il a été jugé inefficace contre les discriminations à l’embauche.
Comment alors contrôler la diversité au sein des entreprises ?
ID : Il existe d’autres outils. Une Charte de la Diversité a été lancée en 2004, pour inciter les entreprises à garantir la promotion et le respect de la diversité dans leurs effectifs. Le Label Diversité, créé en décembre 2008 à l’initiative de l’Association nationale des DRH (ANDRH) et de l’Association française de normalisations (Afnor), vise de son côté à concrétiser les démarches des entreprises s’engageant à promouvoir une telle diversité en prévenant les discriminations.
Par ailleurs, un Accord national interprofessionnel de 2006 précise que « la diversité peut être sociale, culturelle et ethnique ». Sur ces critères, les entreprises peuvent adopter des démarches volontaires au nom de leur responsabilité sociale et environnementale, laquelle résulte, aujourd’hui, d’un entrecroisement d’initiatives privées et publiques, nationales et communautaires.
Faut-il obligatoirement passer par des contraintes et des normes pour faire évoluer la diversité dans les entreprises ?
ID : S’il est difficile de répondre à cette question, il est certain que la France s’est dotée d’un cadre réglementaire de la RSE particulièrement étoffé, sans doute pour pallier le déficit de légitimité et/ou de crédibilité des démarches volontaires.
Au niveau européen, la Commission est favorable à la préservation du caractère volontaire des démarches alors que le Parlement est partisan d’un encadrement. La France a fait le choix d’un accompagnement public des démarches RSE. Disons que c’est un gage d’efficacité de la loi, un pas supplémentaire en faveur de sa mise en œuvre. Par la démarche RSE, l’entreprise s’approprie la loi.
Aujourd’hui, tout l’enjeu réside dans le suivi et la vérification des politiques RSE, dans une logique de transparence. Il y va de la crédibilité de l’engagement dit « éthique ». Là encore, il y a entrecroisement d’indicateurs volontaires et de relais publics. L’enjeu, c’est la progression des bonnes pratiques.
La loi Pacte (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) s’intéresse à cette question. Son objectif est de repenser la place et le rôle de l’entreprise dans la société et, pour ce faire, elle inscrit la RSE dans le Code Civil. Ces nouvelles dispositions vont en effet renforcer la responsabilité sociétale des entreprises de trois façons complémentaires, mais certains craignent un effet « cosmétique ».
En premier lieu, le Code Civil est modifié pour que, désormais, toutes les sociétés concernées « prennent en considération » les enjeux sociaux, et également environnementaux, dans la gestion de leur activité. En deuxième lieu, les sociétés souhaitant aller plus loin pourront se doter d’une « raison d’être » dans leurs statuts. Enfin, celles voulant se montrer plus exemplaires encore, pourront se transformer en sociétés à mission. La loi Pacte a été définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 11 avril 2019. Le Conseil constitutionnel a été saisi le même jour, repoussant ainsi la date de publication de la loi au Journal Officiel.
Comment est née cette idée de RSE ?
ID : La RSE est une notion anglo-saxonne qui a une origine gestionnaire. En effet, ce sont des chercheurs américains qui, dans les années 1950, ont souligné le fait qu’il pouvait être profitable, pour les entreprises, de ne pas se concentrer uniquement sur les profits mais de s’intéresser aussi aux impacts sociaux et environnementaux de leurs actions. On a ensuite observé une montée en puissance de cette problématique sous la pression des diverses parties prenantes, à la fois internes (les salariés et leurs représentants) et externes (associations…). Mais la mise en œuvre de ces politiques RSE se fait initialement sur une base volontaire.
Les enjeux économiques ont donc été centraux dans l’émergence de la RSE. Mais à partir de quand est-elle devenue une véritable préoccupation pour tous ?
ID : La RSE est la déclinaison micro-économique de la logique de développement durable. Son expansion a été progressive. Cet essor de la RSE s’explique par les nombreux enjeux sous-jacents, qu’il s’agisse de l’accroissement de la performance globale de l’entreprise, de la prévention et de la maîtrise des risques, de l’acceptabilité sociale de l’activité économique ou de l’accession à de nouveaux marchés. Depuis 2011, la Commission Européenne définit la RSE comme « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société ».
On a justement parfois l’impression que c’est, plutôt, un moyen de communication pour les entreprises : un exemple de « social washing » …
ID : Le risque pour les entreprises est en effet que la politique RSE mise en place soit réduite à une opération marketing. Tout l’enjeu est d’échapper à cela, de montrer qu’il s’agit d’un véritable changement de paradigme. Voilà pourquoi la question du suivi et de l’évaluation des actions RSE est très importante, en interne, dans une logique de transparence des pratiques et de renforcement de leur crédibilité. Et puis, l’action publique a subi une double métamorphose en matière de RSE. Aujourd’hui, un contrôle judiciaire est opéré sur les codes de conduite et chartes éthiques. En outre, il existe un véritable soutien public aux démarches RSE, quelles que soient leurs formes. En France, la RSE n’est plus synonyme de volontariat et elle en devient davantage crédible.
Comment s’est institutionnalisée la RSE ?
ID : Cette institutionnalisation date des années 2000, au cours desquelles plusieurs réglementations ont été adoptées, qui ont posé les bases de la RSE moderne. La loi de 2001 a obligé certaines entreprises à rendre publiques leurs performances en matière de développement durable. Cette obligation de reporting a été transformée en obligation de déclaration extra-financière en 2017. La loi Sapin II de 2016 est un deuxième axe important, avec sa volonté de transparence et de lutte contre la corruption. Enfin, il y a la loi « Vigilance », adoptée à la suite du drame du Rana Plaza, du nom d’un immeuble bangladais qui abritait des ateliers de confection et qui s’est effondré en faisant plus de 1000 morts. Ces personnes étaient employées par diverses entreprises textiles sous-traitantes pour des marques occidentales. L’objectif de cette loi de 2017 est de responsabiliser les entreprises sur l’ensemble de leurs activités et de leur chaine de sous-traitance, au-delà des démarches RSE reposant sur une base volontaire (ISO 26000, Global compact, etc.).
Isabelle Desbarats est enseignante-chercheuse à l’Université Toulouse 1 Capitole, au Centre de droit des affaires (CDA) et dirige le Master 2 Droit et Sciences du Travail Européen (M2 DSTE).