Le choix assisté par ordinateur, avec Hélène Fargier
Curieuse, Hélène Fargier s’intéresse aux idées et projets autant qu’elle aime rencontrer les gens pour confronter ses points de vue. Une attitude ouverte qu’elle adopte aussi en matière d’intelligence artificielle, dans son rôle de porteuse de chaire, au sein de l’Institut interdisciplinaire de recherche en intelligence artificielle (IA) de Toulouse, ANITI. Focus sur un parcours fait de décisions et de hasard.
Par Valérie Ravinet, journaliste.
Quand on lui demande de se présenter, Hélène Fargier, chercheuse CNRS à l’Institut de recherche en informatique de Toulouse (IRIT) répond : « je suis éclectique dans mon travail comme dans la vie ; j’ai plutôt tendance à butiner ! ». Elle s’intéresse à tous les domaines, mais n’en place pas moins l’aide à la décision au cœur de ses travaux. « Tout se rattache à l’idée de faire des choix. En recherche fondamentale, je travaille en théorie de la décision, qualitative, sous incertitude, multicritères ; en recherche appliquée, je développe les algorithmes qui permettent de les réaliser. On raisonne rarement simplement pour savoir, mais aussi pour agir. ».
Que l’on parle d’économie, de psychologie, ou de support aux industriels, Hélène Fargier est une interlocutrice privilégiée. « L’informatique n’est pas une science classique, elle invente des objets, des modèles d’après des réalités. Si on veut confronter nos idées au réel, on développe des applications, qui font surgir les questions. Lorsque je me confronte aux problèmes des industriels, ce n’est pas tellement pour les résoudre, mais pour susciter de nouvelles interrogations ». Elle décrit ainsi une étude sur un configurateur automobile axé sur les options des véhicules. « Si on prend de manière exhaustive un catalogue pour choisir les options de sa voiture, il y a, en théorie, un nombre extrêmement important de possibilités de configurations. En réalité, on opère sur des variables auxquelles on affecte des valeurs, en combinaison avec des contraintes. Par exemple, on ne peut pas configurer un toit ouvrant sur une décapotable ; ou, au contraire, on peut recommander un volant sport depuis le choix d’un véhicule de couleur rouge ». Posant ainsi de nouvelles questions sur les options compatibles.
De l’ingénieure à la chercheuse : hasard ou évidence ?
Le chemin qu’a tracé Hélène Fargier est constitué justement à la fois de hasard et de décisions successives. « Au lycée, j’étais bonne en mathématiques. J’ai choisi une école d’ingénieurs plutôt qu’une prépa HEC parce que je ne parvenais pas à me projeter dans les métiers envisagés dans cette filière », confie-t-elle. À l’Université de technologie de Compiègne, elle poursuit des études généralistes, apprend des langues, suit les modules de culture générale. En deuxième année, elle passe une nuit entière sur un projet en informatique, « une expérience inédite pour moi, la découverte d’un monde ludique qui m’était facile d’accès. Je n’ai pas vraiment réfléchi, je n’ai pas rencontré de vocation, mais j’ai pris plaisir à la discipline ». A l’issue de sa formation, en 1988, Hélène Fargier occupe son premier poste au Centre de Marcoussis d’Alcatel Alsthom. « Quand on a suivi un cursus en école d’ingénieurs, on est conduit quasi automatiquement vers un métier de recherche appliquée », commente l’informaticienne. « Durant trois années passés au sein de ce laboratoire, j’ai codé et découvert le monde de la recherche appliquée. Mais c’est surtout une double rencontre avec Didier Dubois et Henri Prade qui va orienter sa carrière. Avec eux, elle s’embarque dans l’aventure d’un projet européen et poursuit un travail de recherche. En 1994, elle soutient sa thèse et devient docteure en informatique. « Je pensais retourner à l’industrie après de grandes vacances scientifiques, mais j’ai finalement postulé et obtenu un poste au paradis des chercheurs, le CNRS. Encore un coup du hasard », sourit Hélène Fargier.
Nom de code : fidélité
De proche en proche, la chercheuse de l’IRIT affine ses théories. « On rencontre les gens à cause des questions qu’on se pose. On travaille ensuite avec eux parce qu’on s’entend bien », lance-t-elle, posant la qualité de la relation comme postulat de ses collaborations et du choix des projets dans lesquels elle s’investit. « Je choisis les gens plutôt que les projets. Je ne choisis pas un projet pour l’argent ou la notoriété. Je continue parfois à travailler sur de petits projets industriels pour les gens qui les conduisent ».
Durant sa carrière, Hélène Fargier n’a quitté son laboratoire qu’à trois reprises. D’abord pour un séjour en Irlande, en 2005, pour travailler sur un modèle de satisfaction des contraintes au Cork Constraint Computation Centre. Puis, quelques années plus tard, à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) sur un projet d’implémentation de compilateur de connaissances. « Il s’agit de compiler une base de données pour permettre les requêtes rapides, comme dans le choix des options pour les voitures », explique-t-elle. « A l’époque, je n’ai pas réussi ce projet, mais maintenant je sais pourquoi ! » s’amuse-t-elle. Enfin, elle fait un stage de six mois à l’Onera Cert « durant lequel j’ai appris à mieux coder et fait de belles rencontres ».
Une chaire ANITI dédiée à la compilation des connaissances
« C’est encore le hasard qui m’a rapprochée d’ANITI, grâce à un projet ANR (Agence nationale de la recherche) ; j’en ai repris le sujet lorsque Nicholas Ascher m’a proposé de prendre la tête d’une chaire au sein de l’institut », note Hélène Fargier. Retenue à la tête de la chaire consacrée aux techniques de compilation des connaissances pour réduire la complexité des algorithmes et pour résoudre les problèmes d'incertitude et de préférences, elle a constitué une équipe, avec Jérôme Mengin et Romain Guillaume de l’IRIT, Cédric Pralet de l’Onera et Christian Artigues du Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes, le LAAS-CNRS. « Il me semblait important pour ANITI d’avoir une équipe de chercheurs issus de différents laboratoires. ». Aujourd’hui, près de 15 étudiants, doctorants et chercheurs étudient des structures de données et des langages aux côtés des industriels. « J’apprécie le côté créatif et inventif de l’équipe, c’est enthousiasmant », reconnait Hélène Fargier.
La chercheuse est tout juste de retour d’un séjour à Canberra, où elle a retrouvé Sylvie Thiebaux, spécialiste d'intelligence artificielle mondialement reconnue. Elle a particulièrement apprécié l’organisation du laboratoire de sa consoeur, « d’excellents informaticiens qui travaillent sur des problématiques de planification, aux côtés de philosophes qui se concentrent sur la théorie de la décision ». Elle aimerait s’inspirer d’un même modèle, en France. Et garder, toujours, le plaisir de chercher et d’apprendre.
Voix off
- Quelle est la première chose que vous faites en vous levant ? Je me lave les dents, avant le petit déjeuner. C’est bizarre, non ?
- Quel est votre principal trait de caractère ? Je suis curieuse.
- A quelle époque auriez-vous aimé vivre ? Je ne me suis jamais posée cette question ! En tant que femme, c’est compliqué… Peut-être avoir eu 20 ans au début des années 1960.
- Quel est l'objet préféré de votre bureau ? Aucun. Je n’ai pas de préférence sur les objets.
- Ce que vous appréciez le plus chez vos collègues ? Une forme de simplicité, d’honnêteté. J’aime qu’on vienne contredire mes idées, les échanges sont parfois tendus mais aussi très rapidement apaisés.
- Le don de la nature que vous voudriez avoir ? La gentillesse. C’est la qualité que j’apprécie le plus chez les gens. La véritable gentillesse est un don.
- Quel rêve vous reste-t-il à accomplir ? J’en ai plusieurs sur ma liste ! J’avais inscrit « aller en Polynésie », et j’ai réalisé deux fois ce rêve ; j’ai aussi vu un volcan en éruption. Ce que je ne pourrai pas faire, c’est voir la terre depuis l’espace. Il reste : voir une aurore boréale. Et ça je devrais y arriver !
- La dernière fois que vous avez ri aux larmes ? Il n’y a pas très longtemps, mais je ne sais plus pourquoi.
- Quel chercheur.e vous a inspiré ? Didier Dubois et Henri Prade, c’est une évidence !
- Quel est la dernière chose que vous faites avant de vous coucher ? J’éteins la lumière !
IRIT : Institut de recherche en informatique de Toulouse - CNRS, Toulouse INP, Université Toulouse 1 Capitole, Université Toulouse - Jean Jaurès, Université Toulouse III - Paul Sabatier.