Nathalie Vergnolle. Du cœur au ventre

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Vivant・Santé

Nathalie Vergnolle. Du cœur au ventre

Portrait Nathalie Vergnolle
© Frédéric Maligne

Cette spécialiste des maladies inflammatoires intestinales crée à Toulouse l’Institut de recherche en santé digestive. Portrait d’une passionnée de physiologie humaine, modeste autant que déterminée dans son objectif de soulager la douleur des patients.

Par Jean-François Haït, journaliste scientifique.

Rubor et tumor cum calor et dolor... « Rougeur et gonflement, avec chaleur et douleur. Vous le saviez ? C’est Celse, un médecin romain, qui a défini il y a deux mille ans ce qu’était l’inflammation. Et sa définition est toujours valable ! »

Nathalie Vergnolle sourit, s’excuse du désordre du bureau plutôt modeste qu’elle vient d’investir au Centre hospitalier universitaire de Purpan. Elle vient en effet d’y lancer officiellement, le 1er janvier 2016, l’Institut de recherche en santé digestive, dont elle prend la direction. Elle n’a guère eu le temps de s’installer, mais a placé les photos de ses enfants sur la table. Au mur, un calendrier. On peut y lire : « Paris, Cancún, Croatie, Californie... » Et d’autres destinations de congrès et colloques, sur un planning déjà bien rempli début janvier. C’est la rançon de la notoriété internationale que cette directrice de recherche à l’Inserm de 47 ans a acquise dans le domaine des maladies inflammatoires qui affectent le tube digestif.

Longtemps considérées comme peu glamour en recherche médicale – on leur préférait le cœur ou le cerveau –, les tripes sont aujourd’hui à la mode. Témoin Le Charme discret de l’intestin, le livre de vulgarisation d’une doctorante allemande, Giulia Enders, qui s’est vendu à près de 1 million d’exemplaires en Allemagne. Un intérêt qui trahit un réel problème de santé publique :

« Il y a ces dernières années une incidence croissante de maladies digestives inflammatoires. L’inflammation, c’est normal, poursuit-elle avec pédagogie. C’est une manière pour l’organisme de se protéger d’une agression, c’est un signal d’alerte. »

souligne Nathalie Vergnolle.

Mais lorsque cette inflammation devient disproportionnée et durable, rien ne va plus. Il en résulte des maladies inflammatoires chroniques intestinales, ou MICI : la rectocolite hémorragique et la maladie de Crohn, très douloureuses et invalidantes. Elles provoquent une nécrose des tissus. Dans les cas les plus graves, une ablation partielle de l’intestin est nécessaire. En France, près de 150 000 personnes en sont atteintes. L’inflammation conduit aussi à des pathologies moins graves, comme le syndrome du côlon irritable, cause de diarrhées répétées. « Jusqu’à 20 % de la population est touchée à des degrés divers », souligne la chercheuse [Étude menée par Caroline Canavan, revue Clinical Epidemiology, 2014]. En prime, une gêne quotidienne, souvent assortie d’une honte qui empêche d’en parler et de consulter. Jusque récemment, l’affaire était promptement classée : les symptômes étaient attribués à des causes psychologiques, avec traitement antidépresseur à la clé. Et pour cause : cerveau et intestin se ressemblent plus qu’on ne le croit.

« L’intestin est un organe extraordinaire. Il contient quantité de neurones, de récepteurs. Il est notre deuxième cerveau, en connexion directe avec le premier. De plus, il renferme des milliards de bactéries dont on connaît mal le rôle. On n’a pas fini d’en percer les mystères »

explique Nathalie Vergnolle.

Comprendre le fonctionnement du corps humain a toujours été son moteur. Née dans une « famille d’ouvriers, toujours boursière sur critères sociaux », elle rate sa première année de médecine mais, marquée par un professeur de physiopathologie humaine, s’oriente vers cette discipline. En DEA, elle atterrit un peu par hasard à la Station de pharmacologie de l’Inra à Saint-Martin-du-Touch, dans le laboratoire de Lionel Bueno. Ce chercheur disparu en 2015 travaillait sur les contractions digestives de l’intestin chez l’animal et l’homme. « Un scientifique hors pair », reconnaît-elle, mais un bourreau de travail extrêmement exigeant. Autre figure marquante du labo : Jean Fioramonti, lui aussi disparu en 2015, « doté d’une extraordinaire culture scientifique ». Les conditions de travail sont dures, mais l’équipe se serre les coudes. La jeune femme en tirera des leçons sur la manière de diriger : « Il faut à la fois savoir trancher et être à l’écoute. » Claude Knauf, professeur des Universités et chercheur à l’Inserm, spécialiste de l’axe intestin-cerveau, qui a rejoint l’Institut, confirme : « Elle ne compte pas ses heures à discuter avec les chercheurs et les techniciens. » Elle aime par-dessus tout la simplicité dans les rapports humains, trop rare selon elle en Europe mais qu’elle a beaucoup appréciée au Canada. En 1997, après sa thèse, elle postule en effet pour un post-doctorat à l’Université de Calgary, au sein du Groupe de recherches en inflammation. « Je vois arriver une jeune femme mariée depuis deux jours à peine. Elle était brillante, cultivée, et n’avait que très peu besoin d’être supervisée. Elle a été mon meilleur post-doc », résume John Wallace, qui a dirigé le groupe pendant vingt ans.

À l’évocation de ces propos, rubor et calor envahissent le visage de l’intéressée... sans tumor ni dolor toutefois : elle pique simplement un fard, ce qu’elle fera à plusieurs reprises en entendant des commentaires élogieux sur son compte. Elle convoque alors modestement le « facteur chance » : chance que ses superviseurs canadiens lui permettent de « faire des bébés » en embauchant un technicien pour l’aider dans ses recherches, chance d’arriver dans une discipline où tout est à défricher, chance enfin que John Wallace l’affecte sur un sujet qui va prendre une ampleur considérable : les PAR (protease-activated receptors). Un récepteur est une protéine qui, lorsqu’elle reçoit des stimuli spécifiques, déclenche une réponse des cellules. On soupçonne alors ces récepteurs constitués de protéines, présents à de nombreux endroits de l’organisme, de jouer un rôle d’alarme. Sont-ils impliqués dans l’inflammation, notamment au niveau digestif, et par quel mécanisme ?

« Je tournais en rond jusqu’à ce que je tombe, dans un congrès, sur un poster qui montre la présence de ces récepteurs sur les neurones. Bingo ! Ces récepteurs doivent activer des neurones qui relâchent alors des neuropeptides, responsables de l’inflammation ! »

s’exclame celle qui voit « la recherche comme un jeu, une enquête policière ».

La publication des résultats dans Nature Medicine en 2 000 signe le début de sa notoriété et suscitera des milliers de travaux sur le même thème. Conséquence : l’Université de Calgary lui propose un poste d’assistant professeur. Elle ne reviendra en France qu’en 2007, grâce à la fondation Bettencourt-Schueller qui rapatrie les chercheurs talentueux.

Depuis, elle n’a eu de cesse de bâtir. Outre l’Institut, elle lance avec Claude Knauf un Master en santé digestive à Toulouse. Son prochain chantier : la création d’une plateforme destinée à la production d’« organoïdes » unique en France : il s’agit, à partir de cellules souches cultivées en laboratoire, de recréer des organes en miniature – intestin, pancréas, vessie –, parfaitement fonctionnels, à des fins de recherche. Enfin, elle est consultante pour les grands industriels de la pharmacie, « car elle a toujours pour souci de soulager la douleur du patient », souligne Claude Knauf. Nathalie Vergnolle confie que, hors du labo, elle est une « maman avant tout ». Le peu de temps qu’il lui reste, elle le consacre à soutenir l’Orchestre de chambre de Toulouse, dont un de ses proches est administrateur, et à diffuser sa musique vers les lieux qui en sont privés – hôpitaux et prisons par exemple. Elle participe également aux initiatives de culture scientifique régionale. Aller vers les autres, transmettre... « C’est ce qui me donne de l’énergie pour aller plus loin. » On dit aussi : « du cœur au ventre ».

 

Esprit d'équipe

L’Institut de recherche en santé digestive, créé à l’initiative de Nathalie Vergnolle, et opérationnel depuis le 1er janvier 2016, comprend une centaine de personnels affiliés à l’Inserm, l’Inra, l’Université Toulouse III – Paul Sabatier et l’École nationale vétérinaire de Toulouse. Ils sont répartis en quatre équipes thématiques : pathophysiologie de l’épithélium intestinal ; pathogénicité et commensalisme des entérobactéries; interactions neuro-immunes dans l’intestin; et génétique de la régulation du métabolisme du fer. À Toulouse, l’Institut collabore notamment avec les Laboratoires Pierre Fabre, et l’Institut des technologies avancées en sciences du vivant (Centre Pierre-Potier) pour l’imagerie (ITAV, Université Toulouse III - Paul Sabatier, CNRS).