De l’usage aux abus : les plastiques au cœur de notre modernité !

Partagez l'article

Cultures・Sociétés

De l’usage aux abus : les plastiques au cœur de notre modernité !

usage et abus plastiques
© Ronise Daluz, by Unsplash.

Plus que tout autre matériau, les plastiques sont de puissants révélateurs de la modernité de nos sociétés.  Leur avènement, loin d’être un choix est le résultat largement non planifié d’une double exploration : celle des propriétés dérivées du pétrole, puis celle des usages possibles grâce à ces propriétés exceptionnelles. Franck Cochoy, enseignant-chercheur à l’Université Toulouse - Jean Jaurès, sociologue des marchés, spécialiste des produits jetables, partage son expertise sur les usages et mésusages des plastiques.

Cet article fait partie du dossier

PLASTIQUE De la passion à la raison

Lire le dossier

Propos recueillis par Élodie Herrero et Alexandra Guyard, de l’équipe Exploreur

 

Portrait Cochoy
Franck Cochoy travaille au sein du Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires (LISST) et est membre sénior de l’Institut Universitaire de France © Émilie Merlevede, UT2J.

 

Pourquoi les plastiques sont-ils au cœur de notre modernité ?

Franck Cochoy : L’économie du plastique est une illustration typique de la modernité, cette fantastique capacité à innover, à aller de l’avant, à tirer parti de la moindre découverte, à s’enthousiasmer à la vue des nouveautés, au risque de toujours privilégier les bénéfices apparents des technologies, et d’oublier dans le même temps d’examiner leurs possibles inconvénients. C’est une attitude très tenace, que l’on retrouve aujourd’hui avec la 5G.

 

 

 

 

Aujourd’hui, le plastique est souvent mis à l’index pour des raisons écologiques. De quand date ce glissement dans la perception du plastique autrefois roi ? Qu’est-ce qui a provoqué cette chute ?

FC : La mise en cause actuelle du plastique, plutôt que sa chute, relève du décalage entre la prise en compte des bénéfices et le constat des problèmes liés aux innovations. À la décharge des innovateurs modernistes, il faut noter que la survenue des difficultés est souvent décalée dans le temps : il a fallu attendre plus d’un siècle pour que l’accumulation des gaz à effets de serre dans l’atmosphère produise des effets délétères sur le climat ; ce n’est qu’après un demi-siècle que l’on constate aujourd’hui à quel point la dissémination des micro-plastiques met en danger la santé et les écosystèmes. Mais l’excès d’enthousiasme et l’incapacité à prendre en compte les leçons du passé n’aident pas à la correction de ce genre d’asymétrie.

A-t-on vraiment raison de diaboliser le plastique ? Qu’est-ce que serait, selon vous, une consommation raisonnée du plastique ?

FC : Je pense qu’on ne comprendra bien et on ne luttera efficacement contre les méfaits du plastique qu’en menant un procès à charge mais aussi à décharge. On aurait tort d’oublier que le plastique est doté d’incroyables propriétés qui expliquent très largement son succès : c’est un matériau bon marché, léger, souple, étanche, très précieux pour éviter les contaminations, que l’on songe à l’emballage des aliments… ou aux masques sanitaires en polypropylène ! Une consommation raisonnée du plastique exigerait de restreindre l’usage du matériau à des situations où les substituts sont inexistants ou déficients, et bien sûr l’aménagement d’un écosystème complexe capable d’en prévenir et d’en limiter les inconvénients.

Le recyclage est-il, selon vous, une panacée ?

FC : Le recyclage est très largement illusoire pour une raison que nous connaissons tous : « recyclable » ne veut pas dire « recyclé ». L’économie circulaire, hélas, s’apparente souvent sinon à un vœu pieu, du moins à une conduite percée. On sait à quel point il existe des inégalités dramatiques en termes de traitement des déchets au niveau mondial, que l’on songe par exemple à la gestion des produits d’hygiène en Inde, mais aussi aux rejets sauvages chez nous. En outre, la globalisation du recyclage est responsable de nouvelles inégalités internationales, avec l’externalisation des déchets produits dans les pays les plus riches vers les pays les plus pauvres. Le recyclage est très largement aux déchets ce que la compensation carbone est aux gaz à effets de serre ; il s’agit d’efforts curatifs, alors que la prévention serait évidemment préférable.

La France a fixé à l’horizon 2040 l’interdiction des plastiques à usage unique. Comment expliquer ce choix à une aussi longue échéance alors que l’urgence est là ?

FC : Tout d’abord, il faut rappeler que l’Union européenne a une politique volontariste en la matière. En effet, dès le 12 juin 2019, elle a publié dans son Journal officiel la directive qui interdit la mise sur le marché de plusieurs plastiques à usage unique à l’horizon 2021. Le délai est de deux ans, pas 20 ans ! Cet objectif ambitieux se heurte à la réalité du terrain et notamment aux freins de l’industrie du plastique qui déplorent une incapacité de l’Europe, par ses décisions générales et autoritaires, à tenir compte des circonstances, exigences et contraintes locales. L’octroi de délais par les institutions publiques locales est souvent très utile : il offre un espace qui permet à la fois d’aller fermement vers le but souhaité tout en permettant aux acteurs de s’adapter, de trouver des alternatives, d’imaginer un monde sinon sans plastique, du moins plus faiblement ou autrement « plastifié », comme le montrent par exemple l’essor du vrac ou la production de matières biodégradables. Pour autant, l’action volontariste de l’Europe est une chance unique qu’il convient de souligner en ces temps de défiance vis-à-vis des institutions.

Quels sont les principaux responsables de l’abus des plastiques ? Uniquement les consommateurs ?

FC : Il me semble qu’on a tendance à trop placer l’accent sur la responsabilité des consommateurs. Ils ne jettent jamais que le plastique qu’on leur fournit. Avant de culpabiliser les consommateurs, on devrait plutôt s’assurer que toutes les parties prenantes sont concernées. Il ne faut pas oublier que la plupart des produits plastiques ont été développés par des entreprises qui se souciaient davantage de leurs marchés et de leurs profits que de la santé et du bien-être de leurs clients, sans parler de la planète qui, jusqu’à récemment, était totalement négligée.

Les déchets de consommation ne sont rien comparés aux déchets industriels et ne représentent généralement qu’une petite partie du total des déchets. À cet égard, les statistiques sont non seulement déroutantes mais aussi dangereusement trompeuses ; la production de déchets est souvent présentée en termes de « kilogramme par habitant ».  Une telle présentation conduit les gens à penser que les déchets sont directement produits par ces habitants et qu’ils doivent donc être traités par eux. C’est faux, bien sûr ; par exemple, en Europe, les déchets de consommation ne représentent que 8,5 % de la quantité totale, le reste étant produit par les industries et les services. Évidemment, cela ne veut pas dire que les déchets plastiques domestiques ne contribuent pas au problème général et qu’il ne faut pas s’efforcer de réduire leur part. Tous les déchets comptent. Cependant, ces déchets devraient être mieux replacés dans le réseau plus large auquel ils appartiennent.

« Gouverner les conduites » pour l’intérêt général est un objectif noble et nécessaire, mais le marché devrait également être gouverné et, mieux encore, repensé. Il est souhaitable d’aider les consommateurs individuels à faire mieux, mais cela doit être entrepris avec un soin extrême, en prêtant une attention particulière à leurs expériences, à la technologie elle-même, et à l’infrastructure et à l’environnement du marché au sens large auquel ils appartiennent. En d’autres termes, les préoccupations environnementales être intégrées non seulement dans l’esprit des consommateurs, mais aussi dans les technologies, ainsi que dans l’esprit des décideurs politiques et des chefs d’entreprise. De tels objectifs nécessitent évidemment des efforts difficiles et collectifs, qui impliquent certes les consommateurs, mais surtout les entreprises et les pouvoirs publics.

 

LISST : Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires (CNRS, Université Toulouse – Jean-Jaurès).