Droit de la pollution plastique : la partie immergée de l’iceberg
Pailles, coton-tiges, touillettes, sacs … Depuis 2020, il est interdit en France de mettre à disposition certains objets en plastique à usage unique. Si le droit commence à limiter leur prolifération, tout ou une partie des normes attachées à leur tri et recyclage est encore à construire, que ce soit au niveau national ou international. Entretien avec Loïc Peyen, enseignant-chercheur en droit public, à l’Université Toulouse 1 Capitole.
Propos recueillis par Catherine Thèves, de l’équipe Exploreur.
Pourquoi le droit doit-il protéger l’environnement contre la pollution plastique ?
Loïc Peyen : Le problème du plastique ? On le trouve partout. Pour les océans, il est même erroné de parler seulement d’un « septième » continent puisqu’il existe DES continents plastiques. Surtout, les problèmes dont il est à l’origine sont nombreux. Le plastique transporte avec lui des espèces envahissantes, qu’il charrie sur de nouveaux territoires. Subissant une micro-fragmentation, ces plastiques se dégradent et se décomposent en microparticules et, par un effet de boucle alimentaire, se retrouvent dans les organes des êtres vivants. Les atteintes qu’ils portent à la vie marine sont encore considérables. Le plastique présente pourtant un intérêt pour l’Homme. C’est un matériau malléable, pratique, peu cher et ses propriétés ont une application dans beaucoup de domaines. Il représente de nos jours tout un réseau industriel et économique qui ne cesse d’augmenter sa production. Tout ceci met en avant un fort contraste entre un besoin « humain » et ses conséquences négatives sur l’environnement, renforçant la rupture entre le système d’économie de marché et la préservation du biotope de la planète !
Comment le droit peut-il protéger notre planète et ses écosystèmes ?
LP : Le droit de la pollution plastique est une problématique qui a du mal à émerger. Certaines conventions ou accords existent déjà concernant la préservation des milieux marins, l’environnement ou les déchets à traiter, surtout depuis la convention de Montego Bay sur le droit de la mer. Cette convention, qui lie 168 pays, comporte des engagements de « ne pas polluer », de « protéger le milieu marin » et de « traiter les déchets » des espaces marins envisagés dans leur ensemble (les étendues d’eau salée, en communication libre et naturelle). D’autres conventions ont été élaborées depuis, pour la préservation de la diversité biologique par exemple, mais les normes qu’elles contiennent sont ponctuelles et, surtout, la question des plastiques occupe une place minime.
En fait, l’émergence de ce droit de la pollution plastique est un grand pas mais beaucoup reste à faire, car il comporte plusieurs zones d’ombre. Qu’entend-on par la pollution du milieu marin ? Comment le définir et dans quelles conditions ? La pollution plastique ne pouvant être directement tracée, elle ne peut pas être directement rattachée à un État, notamment si elle résulte d’une dérive de courants marins et de l’accumulation en « soupes » dans les océans. Le droit actuel ne permet pas une appréhension efficace du plastique. Il faudrait donc mettre en place des normes sur le sujet « plastique » à part entière.
Qu’appelez-vous normes ?
LP : En droit, schématiquement, deux types de normes existent. La loi, la convention et l’accord international, sont de l’ordre de la « hard law », c’est-à-dire que ces instruments doivent être appliqués. Cependant, s’agissant des conventions, pour s’en tenir qu’à elles, il peut y avoir des « obligations molles » car les États peuvent exprimer des réserves et refuser certaines contraintes. À côté, une norme de « soft law » est plutôt de l’ordre du communiqué, du déclaratoire. Il suggère « de faire » et relève plus de l’intention que de l’action. Les États, en droit international, préfèrent souvent la « soft law », moins contraignante, plus souple, moins engageante.
Le droit international ne peut donc faire autorité sur les États ?
LP : Au-delà du fait que c’est la souveraineté des États qui prime au plan international, il est très difficile d’appréhender la pollution plastique. Il serait préférable de recourir à des instruments contraignants pour que les États soient liés et aient de vrais engagements. Il faut encore qu’il n’y ait pas d’échappatoire, puisque, outre les négociations qui affectent le contenu des instruments internationaux, tant que les États pourront émettre des réserves sur certains points, leur efficacité restera relative.
Dans le cadre régional européen, contraignant, depuis la directive UE n° 2019/904 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019, l’Union européenne a mis en place des normes pour réduire l’incidence des plastiques, qui s’imposent dans les États membres. Elle vise la réduction de l’utilisation de certains produits en plastique à usage unique (comme les gobelets) et des restrictions de mise sur le marché de certains produits en plastique jetables (telles les pailles), et ce, à compter du 3 juillet 2021.
À un niveau international plus large, les normes émergent progressivement, mais il faut aussi tenir compte des intérêts économiques et des industries plastiques des pays. Globalement, ces normes ont pour but de diminuer la production plastique en conciliant les intérêts économiques et les emplois.
Quelles sont les normes en France ?
LP : En droit interne, quelques normes spécifiques ont été mises en place et sont liées à des considérations sanitaires ou environnementales. Il s’agit, par exemple, du problème sanitaire du bisphénol A entrant dans la composition de plastique alimentaire ; plus récemment les enjeux environnementaux liés à la pollution plastique ont conduit le législateur à produire des normes d’interdiction pour les couverts, assiettes, pailles, barquettes alimentaires, gobelets, coton-tiges, sacs, mais ceci est limité au plastique à usage unique.
Cette dernière avancée se retrouve très concrètement dans la loi du 10 février 2020 qui énonce les futures interdictions pour mettre fin à l’emballage plastique à usage unique d’ici 2040. Elle tend donc à donner le temps aux industriels de s’adapter à une nouvelle activité, quoique l’action est limitée à la réduction uniquement des productions.
Que fait-on du plastique actuel, déjà produit, en place dans l’environnement ?
LP : C’est la grande question des déchets plastiques. Le nettoyage ponctuel des lieux par des associations, des ONG peut constituer des actions « d’alarme » mais cela ne permet pas une gestion complète du circuit du plastique. Il manque tout le suivi de la collecte, du tri et le recyclage des déchets. Actuellement, les pays en développement ont la double peine : consommant parfois peu de plastiques, ils ont en plus des difficultés à mettre en place un système de gestion des déchets plastiques. Certains pays côtiers reçoivent indirectement, via les flux océaniques, les plastiques qui finissent par s’échouer sur leurs côtes. Or, la provenance de cette pollution est difficile à déterminer. On peut donc se poser légitimement la question de la prise en charge des déchets plastiques à l’échelle internationale (mais aussi nationale).
Comment inciter les États à appliquer des normes de dépollution ?
LP : Concernant la dépollution, il n’existe pas de solution miracle. Il faut une prise en charge étatique de la pollution plastique. Il reste beaucoup à faire. Concernant les pays en développement, ils n’en ont sûrement pas les capacités financières et techniques ; surtout, ils n’en auraient peut-être pas la volonté politique, ayant par ailleurs d’autres priorités sur les plans économique, social et sanitaire. Un autre problème tient au fait que les amas de plastiques se trouvent dans des zones de haute mer, qui ne sont pas soumises à des droits particuliers des États. Seul un accord international peut ici mettre fin à l’indifférence. Un accord relatif à la préservation de la biodiversité dans ces zones hors juridiction est actuellement en négociation. La problématique est donc complexe, et la question d’un système de recyclage est prépondérante.
On peut noter qu’il existe plusieurs initiatives privées qui récupèrent, traitent et créent de nouveaux matériaux à partir de ces déchets. Il y a un vrai intérêt économique pour certaines entreprises impliquées dans l’innovation. Les déchets représentent un vrai circuit économique de gestion, le plastique pouvant par la suite redevenir une matière première, ce qui s’ajoute à l’image de marque de l’entreprise.
Quelles sont les perspectives en France ?
LP : Reprenons la loi sur l’économie circulaire de février 2020 : Loi anti-gaspillage pour une économie circulaire. Celle-ci exige une stratégie nationale pour 2022, ce qui vaudrait un « plan d’action ». Si la loi a le mérite d’exister, ses obligations sont parfois molles. La loi se donne des objectifs à atteindre d’ici 2040. Reprenons ici quelques exemples :
- Sortir du plastique jetable : c’est toute une série de décrets qui permettront progressivement d’éliminer tous les plastiques jetables d’ici 2040. Par exemple, la fin des jouets plastiques gratuits dans les menus ou la mise en place de filtres dans les machines à laver pour retenir les microplastiques présents dans les lessives. On peut se demander si vingt années n’est pas un délai (pour la planète ou l’environnement) trop long pour appliquer ces directives ?
- Lutter contre le gaspillage et soutenir un réemploi solidaire. Les grossistes de l’alimentation auront désormais l’obligation de donner leurs produits alimentaires invendus en faveur des associations. A défaut, le recyclage sera encouragé.
- De nouvelles filières de pollueur-payeur sont créées afin que les producteurs, importateurs prennent en charge leur fin de vie (recyclage/déchets). Ainsi, un bonus-malus écologique sera appliqué pour les producteurs. Par conséquent, l’utilisation, dans la production, de matériaux biologiques permettra de recevoir un bonus tandis que l’utilisation de plastiques jetables conduira à s’acquitter d’une contribution pour le recyclage. Inclure la matière biosourcée dans les futurs emballages peut être une bonne solution. Cet axe de la loi encourage à une meilleure production et responsabilise les industriels.
Loïc Peyen conclut : « Tout est une question de volonté. Les pouvoirs publics mettent en place un calendrier afin que les industriels s’adaptent, plus ou moins vite – et l’expérience a montré qu’ils peuvent s’adapter rapidement ! Gouvernement, entreprises, investisseurs, institutions financières, société civile (incluant donc les consommateurs), etc. sont tous responsables. Si les normes et solutions doivent aussi venir des pouvoirs publics, les comportements privés, des industriels ou des consommateurs, sont loin d’être négligeables. Tous ont un rôle à jouer dans la production, l’utilisation, la collecte et le recyclage du plastique. Il ne faut pas oublier le poids considérable du consommateur dans une économie de marché où l’offre et la demande dictent les règles ».