Sexe et amour : la conquête de la liberté

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Cultures・Sociétés

Sexe et amour : la conquête de la liberté

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Sylvie Chaperon est spécialiste de l’histoire des femmes, du genre, et de l’histoire de la sexologie, et enseignante-chercheuse à l’Université Toulouse Jean Jaurès. Pour Exploreur, elle revient sur les évolutions complexes de la relation entre sexe et amour. Longtemps indissociables, ces deux notions se conjuguent désormais au pluriel, une évolution fortement liée à la place grandissante des femmes dans la société.

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Propos recueillis par Alexandra Guyard, de l’équipe Exploreur.

Quand on est spécialiste de sexologie et des études de genre, étudie-t-on aussi la question de l’amour ou cette notion ne rentre pas en ligne de compte ?  

Sylvie Chaperon : Avant le grand bouleversement de la révolution sexuelle, le sexe et le sentiment amoureux n’étaient pas disjoints, dans la littérature scientifique en sexologie, et ce depuis la fin du XIXème siècle. Pendant  longtemps, la vision portée par les sexologues est restée profondément « pastorale », on peut dire aussi hétéro-normative, étroitement liée au couple durable et à la conjugalité entre un homme et une femme.

D’ailleurs, ils ne se penchent sur l’étude du bien-être sexuel des femmes mais aussi des hommes, que parce que l’entente sexuelle des couples est alors avant tout considérée comme le meilleur rempart prophylactique contre le divorce, dans une société encore très marquée par le poids de la religion. La femme y reste un instrument au service de la reproduction et de la jouissance des hommes, même si la question du plaisir féminin prend de l’importance. A la deuxième moitié du XIXe siècle se diffuse dans les mœurs l’idée du mariage d’amour entre deux individus et non plus du mariage comme contrat, alliance entre deux familles pour des questions patrimoniales ou de lignage.

Toutefois, ce sont les rapports Kinsey de 1948 et de 1953, qui bouleversent l’ordre établi en évoquant tous  types de sexualités, y compris l’homosexualité. Ils se livrent à une étude statistique des moyens employés par les individu.es pour parvenir à l’orgasme. Mais ce n’est que progressivement que les sexologues vont opérer un virage pour prendre en considération l’homosexualité, généralement perçue comme une pathologie ou une déviance, se détachant ainsi du paradigme du couple hétérosexuel.  Dans le contexte bouillonnant de l’année 1968, les militants de la révolution sexuelle ont poussé pour que l’on s’affranchisse de ce lien entre amour et sexe, trop liés selon eux à une acception hétéro-normée et monogame. On assiste alors à une sécularisation de la sexologie et des pratiques : la nuptialité recule, la morale sexuelle catholique régresse, les mouvements homosexuel et féministe redéfinissent la sexualité.   

L’amour est resté très longtemps associé au registre féminin. Quand assiste-t-on a un retour de balancier sur ces questions ?

C’est vrai que l’amour a longtemps été la grande affaire des femmes qui se voyaient assigner cet objectif à la naissance tandis que les hommes pouvaient eux se réaliser en dehors du foyer. Pour autant, à la fin du XIXème siècle, être un bon père de famille était aussi une injonction pour les hommes, toujours pour maintenir le couple. Les féministes dès la fin du XIXe siècle vont fortement remettre en question cette voie toute tracée pour les femmes condamnées à l’amour en quelque sorte. Par exemple, le droit au divorce reste relativement récent dans l’histoire (1884, après la brève période inaugurée par la Révolution).

Parmi elles, bien sûr, Simone de Beauvoir qui dans ses écrits mais aussi dans son couple iconoclaste avec Jean-Paul Sartre, a cassé les codes établis. Elle s’est insurgée contre le fait que les femmes ne se réalisaient que grâce à leur couple ou aux enfants. Dans une sorte de dépendance à l’autre, au moment où les enfants partent, il ne resterait alors que le vide pour elles. Progressivement les femmes vont conquérir leur indépendance économique mais aussi la liberté de penser par elles-mêmes. Dès l’entre-deux guerres, les femmes forcent les portes de l’enseignement supérieur. On assiste alors à une marche en avant inexorable. Mais tout cela reste très fragile.

1968 se pose comme une date charnière pour le sexe et l’amour. Parmi d’autres qualificatifs, on retient de cette période le terme de « libération sexuelle ». Est-ce qu’elle a vraiment changé les perceptions et pratiques amoureuses à l’époque ou n’a-t-elle finalement concerné qu’une minorité ?

Cette période a diffusé dans la culture populaire et dans les mœurs les idées qui auparavant étaient restés cantonnées à certains milieux littéraires, bohèmes et anticonformistes on peut citer  George Sand dès le XIXe siècle ou encore Simone de Beauvoir.

Mai 68 a indubitablement ouvert des brèches et a été un formidable accélérateur de transformation de la société en matière de déconstruction de la norme amoureuse, de la monogamie, le désir d’enfant ou la vision de la famille. L’État a aussi accompagné ce changement d’ère en baissant la majorité civile, en autorisant la pilule, l’avortement, etc. La jeunesse de mai 68, a pu s’épanouir comme aucune autre génération avant elle. Ce fut sa grande chance de vivre au moment des Trente glorieuses, période d’apaisement politique et économique marquée tout à la fois par l’évolution du droit, un accès toujours plus large à l’enseignement supérieur et donc à la réflexion, des parents plus ouverts, etc. Grâce aux slogans, aux chansons, aux publications militantes, l’action des féministes, des homosexuel.es et des gauchistes ont pu toucher cette jeunesse nombreuse, baby-boom oblige. À cette époque pour les femmes, un nouvel avenir s’ouvre avec la réalisation par le diplôme et non plus par le mariage. Dans la relation au sexe opposé, ce sont les sentiments qui vont primer. Portée par un contexte favorable aussi bien politique qu’économique, cette génération prend à bras le corps sa vie privée et veut la modeler à son avantage.

Pendant les années 1970, la remise en questions des normes conjugales se diffuse dans l’ensemble de la société. Bien sûr, cette période a aussi été celles des expérimentations radicales avec des communautés qui rejettent le mariage, la monogamie, l’orientation sexuelle exclusive, etc.

Aujourd’hui, avec le mouvement #balancetonporc en France et #metoo aux États-Unis, on assiste à une troisième vague féministe à l’ére du numérique en quelque sorte. Pensez-vous que ce soit un mouvement de fond ?

Effectivement on peut parler de renouveau du mouvement féministe après un reflux dans les années 80-90 marquées par le « triomphe » du néolibéralismeet la fin supposée des idéologies. Le numérique qui a permis l’éclosion de cette prise de parole militante, même si la question du viol et des violences était déjà au centre des combats des femmes. Je peux notamment citer le procès retentissant des années 70, menés par Gisèle Halimi dans l’affaire Tonglet Castellano à Aix-en-Provence.

Mais la caisse de résonnance n’était pas la même à l’époque. Avec l’avènement d’internet, pour le pire et le meilleur, tout le monde peut prendre la parole avec un blog ou un tweet ! Aujourd’hui, on assiste à l’éclosion d’une nouvelle génération de militants et de militantes qui utilisent de façon habile les moyens à leur disposition comme levier pour dénoncer les violences sexuelles ou le patriarcat. Dans notre société hyper-connectée leur voix n’en est que plus forte ! Cette génération très active et mixte renouvelle les questionnements : comment conjuguer sexualité et égalité ? Comment s’affranchir du diktat d’un plaisir sexuel formaté et centré sur la pénétration et l’éjaculation et donc sur le plaisir masculin ? etc. Mais enfin et surtout, elle s’attaque au genre ce qui n’était pas forcément le cas des générations passées, en s’émancipant de la binarité, et en évoquant librement les représentations et les stéréotypes sexistes, l’égalité, l’homoparentalité ou le changement de genre.

 

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L’écoféminisme occitan : particularités régionales

"Le Mouvement de libération des femmes (MLF) a été pendant longtemps perçu comme un mouvement essentiellement parisien. Or, il a été très actif dans l'ensemble du pays, dans certaines villes plus que d'autres : Grenoble, Lille, Lyon, Rennes, Toulouse et Tarbes, en particulier."

Lors de son doctorat à l'Université Toulouse Jean Jaurès, Justine Zeller observe les dynamiques spécifiques au mouvement dans ces deux dernières villes. Bien sûr, les militantes partagent les revendications des Parisiennes, à savoir : historiquement dans les années 70, les luttes pour la contraception et l'avortement libres et gratuits, contre les violences faites aux femmes, de solidarité internationale (aux Iraniennes, aux Argentines, notamment). En revanche, des luttes ont une faible portée en Midi-Pyrénées, comme la solidarité avec les actions des prostituées par exemple. Notons, que l'homosexualité d'une grande partie des militantes de la région produit des dynamiques différentes de celles du reste du pays ; autre spécificité locale, la surreprésentation de luttes écologiques associées.

En effet, des féministes ont tenté de "vivre leur engagement au quotidien" grâce à l'existence de communautés alternatives dans les territoires plus ruraux. A Tarbes, le MLF perdure jusqu'en 1983 et officiellement à Toulouse jusqu'en 1985. Mais, le mouvement ne disparaît jamais réellement... il se transforme. Le féminisme toulousain devient plus culturel, avec l'apparition d'un bar (La Gavine), d'un ciné-club (le Ciné-club de la Maison des femmes de Toulouse), etc. Le féminisme investit également les institutions par les études féministes au Mirail, à l'Université Toulouse – Jean Jaurès.