Pyrénées : un tourisme à réinventer
Les préoccupations environnementales et le changement climatique bouleversent le modèle du tourisme de montagne. Une rupture est nécessaire, mais la transition touristique peine à se matérialiser. Le tourisme durable n’est-il qu’un élément de langage ? Deux chercheurs toulousains partagent leur vision.
Par Paul Périé, journaliste.
En février 2020, l’image d’un hélicoptère transportant de la neige du haut de la station de Luchon-Superbagnères au bas des pistes avait fait hurler les défenseurs de l’environnement et montré de manière éclatante les effets du changement climatique. Quelques semaines plus tard, la France se retrouvait confinée et, l’hiver suivant, le gouvernement décidait de ne pas autoriser l’ouverture des remontées mécaniques, mettant un coup d’arrêt à la saison touristique et entraînant de fait un changement de pratiques pour les passionnés de montagne.
Ces deux événements ont illustré, par la contrainte, la nécessité pour les Pyrénées de réfléchir à une transition touristique. Le ski alpin, ne peut plus être la seule ressource pour ces territoires. Un enjeu aussi bien économique que culturel et sociologique.
« Cette transition touristique implique une transformation radicale, une rupture, même si le tourisme s’est approprié ce terme de transition sans vraiment le définir »
souligne Vincent Vlès, professeur émérite de l’Université Toulouse Jean Jaurès, chercheur en aménagement et urbanisme touristique au Certop – le Centre d'étude et de recherche Travail, organisation, pouvoir.
Le développement durable est largement évoqué mais cette approche ne remet pas vraiment en cause la marchandisation et l’exploitation des territoires.
La fin du règne du ski alpin ?
Si l’emploi de plus en plus régulier de l’expression « transition touristique » dénote une certaine prise de conscience des acteurs du secteur, il est difficile de savoir ce qu’elle représente concrètement. Contraint par les crises écologique, énergétique, économique et sanitaire, le tourisme n’a pas d’autre choix que de se réinventer, même si « beaucoup ont sous-estimé cette phase critique », selon Vincent Vlès, qui travaille depuis 1990 sur le tourisme de montagne.
« Les professionnels de la montagne ont longtemps cru que le système allait perdurer, que les moyens techniques et technologiques permettraient de surpasser le changement climatique »
précise le chercheur.
Les surfaces enneigées en culture ont ainsi doublé depuis 10 ans, et les grands domaines, tels que Baqueira, consomment 500 000 m3 d’eau, selon lui. À cela s’ajoute la rentabilisation des investissements de longue durée, qui oblige ces stations à attirer toujours plus de touristes. Ces derniers doivent être logés, augmentant l’emprise immobilière, qui doit elle-même être rentabilisée. Un système qui n’est plus supportable.
« Les choses ont évolué depuis 2-3 ans, mais il y a cependant une grosse difficulté à sortir de cette dépendance au ski alpin, d’autant plus que les acteurs ne voient pas de roue de secours qui offrirait autant d’emplois. »
Quand la montagne vous gagne toute l’année
« La question de la transition des stations du fait du changement climatique est complexe en raison de l’amplification des phénomènes météorologiques et de leur caractère aléatoire. »
confirme Olivier Hoibian, sociologue et historien au laboratoire Framespa, enseignant-chercheur à la Faculté des sports de l’Université de Toulouse III - Paul Sabatier et directeur de l’Observatoire transfrontalier socio-économique des refuges des Pyrénées.
Si l’enneigement diminue inexorablement en moyenne annuelle, il y a encore des épisodes d’abondantes chutes de neige comme au début de cette année 2021. Ces variations aléatoires n’aident pas à prendre les décisions nécessaires avec leurs incidences en termes d’emplois permanents et saisonniers. « Il y a une vraie nécessité à sortir du modèle "tout ski", même si ce système a démontré son efficacité depuis les années 1960. Il est tellement bien rodé que l’inertie et les résistances sont très fortes face aux incertitudes pour l’avenir ; d’autant qu’il n’y a pas de modèle alternatif disponible, clé en main, dans les rayons des magasins. Il faut donc penser cette mutation en fonction des singularités des vallées et des stations. La panacée du concept de « Stations 4 saisons » n’est pas envisageable partout. » Des stations historiques comme Cauterets ou Font-Romeu se sont déjà diversifiées et sont davantage des lieux de vie aujourd’hui. Le thermalisme, très présent dans les Pyrénées, mais de moins en moins remboursé, n’est pas une solution suffisamment crédible et il est difficile de trouver des produits ludiques à même d’attirer un nouveau public.
Une diversification pas assez rentable
Si l’objectif du concept de « Station 4 saisons » consiste à s’adapter à des publics différents, la question de la monétisation des activités de plein air demeure prégnante alors que la nature doit demeurer accessible à tous. Pour celui qui dirige par ailleurs l’Observatoire transfrontalier socio-économique des refuges des Pyrénées, créé en 2018, « la fermeture des remontées mécaniques cet hiver a fait la promotion d’une montagne non aménagée. Mais les attentes du public en sports d’hiver ne sont pas exactement les mêmes que celles des adeptes de ces pratiques « en autonomie ». Il est illusoire d’imaginer que les amateurs de ski alpin vont tous se reconvertir pour des activités hivernales qui font appel à d’autres représentations, à d’autres valeurs et un autre rapport à la montagne. »
Ainsi, le public qui s’est rendu dans les Pyrénées l’été dernier pour fuir la pandémie ne disposait pas forcément des codes, des usages et de la culture commune de la montagne. Les accès au Parc national des Pyrénées ont été régulièrement saturés et on a pu observer des altercations pour une place de parking. D’autre part, même en cas de forte fréquentation, ces pratiques, certes plus vertueuses sur un plan environnemental, ne génèrent pas les mêmes emplois et n’engendrent pas les mêmes revenus.
« Un randonneur moyen dépense en moyenne 40 à 50 euros par jour quand un skieur alpin dépense entre 120 et 250 euros quotidiennement »
illustre Vincent Vlès.
La diversification économique génère des recettes modestes au regard du chiffre d’affaires engendré par le ski. Même dans les Alpes, les stations qui pratiques cette diversification sont régulièrement déficitaires, insiste-t-il.
Le refuge : le dilemme d’un lieu à exploiter et à préserver
Au sein de l’Observatoire qu’il dirige, Olivier Hoibian s’intéresse au patrimoine bâti des Pyrénées, en France, Espagne et Andorre. De quoi tirer quelques comparaisons sur l’aménagement de la montagne mais aussi sur les publics qui fréquentent les refuges.
« L’objectif est de permettre aux acteurs et aux gestionnaires des hébergements d’altitude d’élaborer des stratégies concertées pour la préservation de ce patrimoine bâti en lien avec les préoccupations des usagers tout en évitant le sur-tourisme dans ces milieux fragiles »
explique Olivier Hoibian.
L’Observatoire dénombre ainsi 87 refuges dans les Pyrénées - 43 en France, dont 38 en Occitanie, 40 en Espagne, et 4 en Andorre - une définition qui tient compte des spécificités des trois pays. Leur implantation et leur fréquentation révèlent des approches différentes de la montagne en fonction des cultures nationales et des traditions propres à chaque territoire. Ainsi, côté espagnol, plus de 60 % des refuges sont situés à proximité des lieux de départ, contre 40 % en France. En Espagne, la moitié d’entre eux est accessible en voiture, contre moins de 5 % sur le versant français, où l’on compte davantage de refuges de haute montagne (13 hébergements).
Les refuges de petite capacité sont plus nombreux en France alors que ceux de plus de 80 places sont nettement plus représentés sur le versant espagnol. Par ailleurs, en Espagne comme en Andorre, le wifi est présent dans près de la moitié de ces hébergements, là où seuls 6 % des refuges français sont équipés. « Les enquêtes sur les usagers des refuges montrent qu’ils y sont plutôt opposés, car cela va à l’encontre de l’esprit des lieux qui, au-delà de leur fonction première d’abri, favorisent les rencontres, génèrent de la convivialité et permettent une coupure avec le monde d’en bas », souligne le chercheur.
Penser de nouveaux modèles
En montagne peut-être plus qu’ailleurs, le tourisme est donc à l’intersection d’enjeux culturels, environnementaux, économiques, immobiliers … À chaque crise, il a su se réinventer, mais la crise actuelle, liée notamment au changement climatique s’annonce plus complexe alors que, selon les estimations de Météo France, la neige artificielle ne sera pas une solution dans le cas d’un scénario moyen de réchauffement de 4 à 5°C. Face à ces constats, quel modèle envisager pour le tourisme pyrénéen alors que les alternatives ne semblent pas faire légion et qu’il est essentiel de ne pas s’engager dans la voie de nouveaux investissements trop coûteux ? Des préoccupations que Vincent Vlès résume ainsi :
« Il faut passer d’une vision de l’homme vivant à côté de la nature et cherchant à la dompter à l’idée que la nature est quelque chose à préserver, et donc à des formes de découvertes plus respectueuses de la faune et de la flore. »
Selon lui, il faut à tout prix éviter la dispersion des flux touristiques, d’autant plus que la montagne est déjà fortement pénétrée par l’homme. L’avenir est, à ses yeux, sur un nombre de touristes plus faible, mais mieux géré, avec des séjours plus longs pour un système plus équilibré. En reconnaissant que tous les territoires n’ont pas un potentiel touristique, on diminuerait la concurrence entre les destinations alors que l’offre est arrivée à maturité.
« Il faut également développer davantage l’accès aux loisirs de montagne pour les populations locales en été comme en hiver plutôt que de vouloir à tout prix attirer les clientèles lointaines », ajoute Olivier Hoibian tout en soulignant que « désormais la surfréquentation touristique engendre souvent des réactions de rejet de la part des habitants ».
Mais la réflexion doit aller au-delà. L’écotourisme, souvent présenté comme une solution d’avenir, n’est envisageable que s’il est abordé de manière globale. Alors que le tourisme est encore très dépendant des énergies fossiles, la transition post-carbone du tourisme n’est pas suffisamment étudiée en France. Or, sans mobilité douce en amont, comment envisager un tourisme « responsable » ? Vincent Vlès regrette ainsi que les réflexions portent plus sur un perfectionnement du système actuel que sur la création d’un nouveau modèle. Si certains territoires ont déjà engagé une réflexion pour s’adapter au mieux aux différentes contraintes, d’autres tentent de pousser le schéma actuel à ses limites, faute de voir comment faire autrement. La transition doit être envisagée sous de nouveaux critères et, comme le tourisme nécessite de l’investissement, celui-ci doit être orienté vers un modèle réellement vert.
Parmi les modèles alternatifs plus vertueux, on peut citer la station de pleine nature du Mas de la Barque, dans les Cévennes, la vallée du Louron, dans les Pyrénées, ou encore le Vercors qui combinent activité de plein air et valorisation patrimoniale. « Mais aucun ne parvient pour l’heure à créer autant d’emplois ou de retombées économiques que le ski alpin, même s’ils sont rentables », précise Vincent Vlès. Davos, qui a misé sur le tourisme d’affaires, Chamonix ou Katmandou, spécialisés sur l’alpinisme, ont trouvé des modèles plus rentables et vertueux, mais peuvent difficilement être copiés. Pour le chercheur, le changement passe donc par une sortie de l’économie de consommation et de prédation de la planète, ce qui demande un accompagnement fort car les comportements ne pourront évoluer qu’à travers une meilleure sensibilisation et une formation des différents acteurs.
« Entre résistance et résilience, le tourisme pyrénéen devra choisir pour survivre. »
Références bibliographiques
- Hoibian, O.,(Dir), La montagne pour tous. La genèse d’une ambition dans l’Europe du XXe siècle, Toulouse, Éditions Le Pas d’Oiseau, 2020.
- Hoibian, O., « Les usagers des refuges : « terra incognita » de la fréquentation de la montagne ? Étude sur les refuges des Pyrénées Centrales en haute saison touristique », Revue Sud Ouest Européen, n°59, décembre.
- Vles, Vincent, 2021, « Anticiper le changement climatique dans les stations de ski : la science, le déni, l’autorité », préface du numéro spécial de SUD-OUEST EUROPEEN, « Sports d’hiver, territorialité et environnement », Hagimont S., Minovez J.M., Vlès V. (Ed), à paraître 2021, https://hal.archives- ouvertes.fr/hal-03070853
- Vles, Vincent, 2021, « Stations de sports d’hiver, stations de montagne », in Dictionnaire du tourisme, Kadri B, Grenier A., Roche Y., Delaplace M. (Ed), PUQ, à paraître fin 2020 ou 2021.
FRAMESPA : laboratoire France Amérique Espagne, Sociétés, Pouvoirs et Acteurs (Université Toulouse - Jean Jaurès, CNRS).
CERTOP : Centre d'Étude et de Recherche Travail, Organisation, Pouvoir (CNRS, Université Toulouse Jean Jaurès, Université Toulouse III – Paul Sabatier)