L’économie à l’épreuve de l’humain

Partagez l'article

Cultures・Sociétés

L’économie à l’épreuve de l’humain

Billet
Selon les travaux d’Ingela Alger, les personnes altruistes seraient les vraies gagnantes de la sélection naturelle © Aaron Ama / Nicku / Vectorkat / Alexandra Pourcellié

Réunir au sein d’un même laboratoire des économistes, des biologistes, des historiens, des anthropologues... C’est l’ambition de l’Institut d’études avancées de Toulouse (IAST), qui mise sur l’interdisciplinarité pour mieux comprendre les comportements humains et repenser ainsi l’économie.

Par Carina Louart, journaliste scientifique.

Qu’y a-t-il de commun entre l’économie, la biologie, les sciences cognitives et l’histoire ? À première vue, pas grand-chose si ce n’est que ces disciplines travaillent sur un seul et même sujet : l’Homme, en tant qu’animal vivant en société. C’est pour croiser les connaissances de chacune et renouveler les thèmes de recherche en sciences sociales qu’est né en 2011 l’Institut d’études avancées de Toulouse (IAST). Il est adossé à Toulouse School of Economics (TSE), et pour cause : c’est l’économiste Jean Tirole, lauréat du prix Nobel en 2014, qui est à l’origine du projet, pour lequel il s’est inspiré du prestigieux Institute for Advanced Study de l’Université de Princeton (New Jersey, États-Unis).

« Les problématiques d’aujourd’hui, comme l’adaptation de l’Homme à la raréfaction des ressources naturelles ou l’influence des religions sur telle ou telle prise de décision ou politique publique, grandissante dans le monde, requièrent les compétences de plusieurs disciplines. L’économie, avec ses modèles théoriques, ne peut plus se passer des autres sciences humaines et sociales »

explique Paul Seabrigt, enseignant-chercheur à l’Université Toulouse Capitole – TSE.

Neuf disciplines sont donc représentées à l’Institut : le droit, l’anthropologie, la biologie, l’économie, l’histoire, la philosophie, les sciences politiques, la psychologie et la sociologie.

« L’économie a besoin de s’appuyer sur les études des anthropologues et des sociologues pour savoir ce qui se passe dans le monde réel. Mais aussi sur celles des psychologues et des biologistes pour mieux décrypter le comportement humain »

poursuit Paul Seabright.

 

portrait
                                                    Paul Seabright, directeur de l’IAST

C’est l’économie dite " comportementale " qui se fonde sur l’observation des êtres humains pour expliquer nos choix en tant qu’ " agents économiques ". Ingela Alger, directrice de recherche du CNRS et responsable du pôle Biologie à l’IAST appartient à ce courant. Ses recherches portent sur l’évolution sur le long terme de nos motivations à caractère moral et altruiste. À l’aide de modèles mathématiques développés en biologie évolutive, elle a ainsi montré que les personnes altruistes étaient les gagnants de la sélection naturelle. « Une meilleure connaissance des motivations intrinsèques de l’individu, comme l’altruisme et la morale, peut s’avérer très utile en termes économiques ou politiques, par exemple pour mettre en place plus efficacement les dispositifs en faveur de l’environnement ou pour la gestion des biens publics », explique la chercheuse.

Aujourd’hui, elle étudie l’évolution des liens familiaux, et notamment l’entraide au sein des familles, en association avec les anthropologues de l’Institut. Parmi ceux-ci, Heidi Colleran travaille sur l’évolution de la fécondité et notamment sur les motivations qui guident le choix des familles à avoir un ou plusieurs enfants dans les sociétés en mutation. « Pour les économistes, le taux de fécondité est directement lié au niveau de vie d’une société. Or, comme nos études en Pologne l’ont montré, le mécanisme du choix du nombre d’enfants est en réalité beaucoup plus complexe : il combine une décision privée et des facteurs culturels et structurels qui jouent un rôle essentiel. Ceci prouve que l’anthropologie permet de mieux comprendre les mécanismes de transition démographique. Elle a donc à ce titre toute sa place en économie, où elle introduit d’autres modes de pensée que le modèle productiviste dominant. » Heidi Colleran a publié plusieurs articles sur le sujet et s’apprête à rejoindre l’institut Max-Planck de Iéna (Allemagne).

Dans un autre registre, Jean-François Bonnefon, directeur de recherche en psychologie cognitive du CNRS, achève une recherche sur le thème de " la moralité algorithmique " soulevée par l’arrivée des voitures autonomes. Avec deux chercheurs américains, il a mené une enquête auprès d’un millier d’internautes autour de la problématique suivante : en cas d’accident inévitable, la voiture devra-t-elle être programmée pour assurer la sécurité du conducteur, quitte à écraser un ou plusieurs piétons, ou bien sacrifier la vie du conducteur pour sauver ces piétons ?

« Ces questionnements sont loin d’être anecdotiques, car ils relèvent de problèmes moraux et éthiques, qui à terme seront déterminants pour la commercialisation et la mise en avant de cette nouvelle technologie »

souligne le chercheur Jean-François Bonnefon.

L’organisation de colloques et de séminaires constitue une des activités centrales de l’Institut, afin d’être au plus près des derniers travaux de recherche mais aussi pour favoriser les échanges interdisciplinaires. L’organisation de " Tuesday lunches " (repas du mardi) fait également partie des dispositifs très plébiscités. Les chercheurs de l’IAST sont régulièrement invités à exposer de manière informelle leurs derniers travaux en présence de leurs pairs.

« Cet exercice ne va pas de soi, car il faut accepter de parler de son projet autrement, en utilisant un langage commun à toutes les disciplines et en se pliant au jeu des critiques et des suggestions. Cela permet de repenser sa propre discipline »

souligne Jean-François Bonnefon.

Chiffres-clés

  • 65 chercheurs attachés à l'IAST dont 23 résidents
  • 27 séminaires
  • 14 conférences dont 3 ouvertes au public
  • 106 visiteurs venus de 25 pays
  • 37 publications dans des revues à comités de lecture
  • En 2011, l’IAST est labellisé Laboratoire d’excellence (Labex) et financé à hauteur de 25 millions d’euros sur dix ans.

TSE : Toulouse School of Economics - Université Toulouse Capitole - Inra - CNRS - EHE