Ça chauffe en ville !

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Terre・Espace

Ça chauffe en ville !

Projet Eurequa
Aude Lemonsu, chercheuse CNRS au laboratoire GAME qui fait des mesures de paramètres météorologiques (Température de l'air, vent, humidité) et de qualité de l'air, route de Seysses à Toulouse. © Archives du Projet ANR-EUREQUA

Les citadins sont les premiers à souffrir des pics de chaleur estivale. En cause : un phénomène baptisé "îlot de chaleur urbain".

Comment faire face ? Géographes, urbanistes et climatologues s’associent afin d’imaginer des solutions pour rafraîchir les villes.

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LE DÉFI CLIMATIQUE Comprendre, lutter, s'adapter

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Par Carina Louart, journaliste scientifique.

Les villes sont plus chaudes que leur campagne environnante, et pas de quelques dixièmes de degrés...

« L’écart de température entre les centres-villes et les zones rurales environnantes peut atteindre en France de 2 à 10 °C en été en fonction des caractéristiques de la ville. Plus la surface est artificialisée et la ville peuplée, plus le différentiel de température ville-campagne est élevé »

explique Julia Hidalgo, chercheuse en climatologie urbaine au LISST-CIEU.

Exemple : 10 °C à Paris, 7 à 8° C à Toulouse ou Strasbourg. Avec le réchauffement climatique, les impacts nuisibles de ce phénomène ne feront que se renforcer. Contrairement à une idée répandue, ce phénomène d’îlot de chaleur urbain (ICU) n’est pas principalement dû à la pollution et aux activités humaines, mais à la minéralisation de nos villes. En cause : les matériaux des bâtiments, le bitume des routes qui stockent l’énergie solaire et la restituent en fin de journée, ce qui limite le rafraîchissement de l’air. Lors de la canicule de 2003, un excédent de 15000 décès avait été observé en France, dont 5 000 rien qu’en Île-de-France.

« C’est la nuit que l’écart de température entre ville et campagne est le plus important, lorsque le corps a besoin de récupérer, ce qui expose les personnes les plus vulnérables à un risque de surmortalité »

souligne Valéry Masson, climatologue, responsable de l’équipe de recherche en climat urbain au Centre national de recherches météorologiques (CNRM) à Toulouse.

Nous avons constaté l’inégalité des citadins face au risque climatique

Face à ce qui est devenu un véritable enjeu de santé publique, les recherches pluridisciplinaires se multiplient. À Toulouse, les projets ANR Modélisation appliquée et droit de l’urbanisme climat et énergie (MAPUCE) dirigé par l’équipe de Valéry Masson, et Évaluation multidisciplinaire et requalification environnementale des quartiers (EUREQUA), coordonné par le LISST, associent des climatologues, des géographes, des sociologues, des urbanistes et des architectes.

Objectif : croiser les compétences de chacun afin d’établir la meilleure stratégie d’adaptation de la ville à mettre en œuvre par les acteurs de l’aménagement. Afin de quantifier ces degrés supplémentaires, l’équipe de Valéry Masson a, dès les années 2000, mis au point un modèle numérique climatique urbain inédit, baptisé TEB pour Town Energy Balance ["équilibre énergétique de la ville"]. Lancé en 2014, le projet MAPUCE vise à introduire de nouveaux paramètres dans celui-ci : les consommations d’énergie des logements et des bureaux, et les usages des habitants en matière de climatisation et de chauffage.

« Au terme du projet, en 2018, nous espérons proposer un outil sur lequel les décideurs pourront s’appuyer afin de mettre en œuvre des politiques locales d’économie d’énergie et de gestion du climat », précise le climatologue. Encore faut-il identifier les zones vulnérables. L’épisode de 2003 montre que la surmortalité est liée à une situation résidentielle spécifique : logements situés au dernier étage, dans des immeubles mal isolés et localisés dans des quartiers denses, peu végétalisés et par conséquent plus exposé aux ICU.

C’est précisément pour obtenir une évaluation objective (basée sur des mesures physiques) et subjective (ressenti des habitants) du cadre de vie des citadins que l’étude EUREQUA a été conçue. Menée depuis 2012 dans trois villes (Toulouse, Paris, Marseille) à l’échelle d’un quartier, elle s’est s’appuyée sur une équipe associant géographes, sociologues, physiciens de l’atmosphère, acousticiens et architectes et s’est concentrée sur trois types de critères environnementaux : le confort climatique, le bruit et la qualité de l’air.

« Nous avons constaté l’inégalité des citadins face au risque climatique »

souligne Sinda Haouès-Jouve, coordinatrice du projet EUREQUA.

Premier enseignement, issu des mesures de température et des enquêtes auprès des habitants. Ainsi, l’étude menée sur le quartier de Bordelongue-Papus-Tabar, à Toulouse, a révélé que d’une rue à l’autre, la température pouvait varier de 4 °C. Et l’étude a livré d’autres résultats surprenants : l’exposition au bruit et à la pollution de l’air constitue un obstacle important à la régulation du confort climatique dans une perspective d’adaptation au réchauffement. « Ces nuisances constituent une telle contrainte que les ménages renoncent à ventiler leur logement » observe en effet la géographe. Achevée au printemps 2016, EUREQUA servira à proposer des actions d’amélioration de la qualité environnementale tenant compte à la fois de l’expertise scientifique et des attentes et propositions des habitants. Car, dans la lutte contre l’îlot de chaleur urbain, la dimension participative est fondamentale.

L’îlot de fraîcheur de Montaudran

En 2019, des bâtiments sortiront de terre au cœur de la nouvelle ZAC de Montaudran-Aérospace à Toulouse, au bord de l’ancienne piste en asphalte des pionniers de l’Aéropostale, lieu de mémoire qui a été conservé. Mais comment atténuer l’effet de fournaise que celle-ci produira en été ? C’est l’objet de l’étude appelée "IFU" (Îlots de fraîcheur urbains) réalisée par une équipe de chercheurs du laboratoire de recherche en architecture, à la demande de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), en partenariat avec Toulouse Métropole. Elle a mis en avant quatre scénarios. Le vert : doubler le nombre d’arbres par rapport au projet initial ; le bleu: augmenter le nombre de surfaces d’eau dans le quartier ; le blanc : éclaircir les toits et les façades des bâtiments ; le "prospect" : doubler la hauteur des bâtiments pour assurer plus d’ombre.

« Le meilleur scénario est le bleu qui rafraîchit l’air de 2 à 6°C selon les endroits, suivi du vert. La hauteur des immeubles n’a aucun effet, et l’éclaircissement est contre-productif, puisqu’il réchauffe l’air »

explique Luc Adolphe, professeur au Département de génie civil et urbain de l’INSA de Toulouse, coordinateur de l’étude.

C’est pourquoi davantage de fontaines et de brumisateurs sont d’ores et déjà prévus dans le projet.

LISST-CIEU : Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires – Université Toulouse – Jean Jaurès, CNRS, EHESS (Centre interdisciplinaire d’études urbaines – CIEU)

CNRM-GAME : Centre national de recherches météorologiques - Groupe d’étude de l’atmosphère météorologique – Météo-France, CNRS

TEB : projet porté par l'INSA, l' Université Toulouse III – Paul Sabatier et le Laboratoire de recherche en architecture de l'École nationale supérieure d’architecture de Toulouse

LRA : Laboratoire de recherche en architecture – ENSA Toulouse, INSA