Ville fragile ?
Et si le développement urbain était facteur de fragilité ? C’est en partant de ce postulat que des chercheurs de l’Université Toulouse – Jean Jaurès se sont penchés sur l’analyse des effets, notamment sociaux, que peut aussi avoir l’attractivité des territoires.
Par Camille Pons, journaliste scientifique.
« Avec attractivité va croissance, avec croissance, crise de croissance : augmentation du prix de l’immobilier, engorgements, problèmes d’intégration sociale... »
Fabrice Escaffre, géographe spécialisé en aménagement et urbanisme, s’est intéressé à une nouvelle approche de ce que les sociologues nomment " fragilités urbaines ". Elles sont habituellement associées aux quartiers défavorisés, aux populations exposées aux risques industriels ou environnementaux. Mais le dynamisme d’une métropole comme Toulouse ne peut-il aussi générer des fragilités ? Avec Marie-Christine Jaillet, Jocelyn Bourret, et Anne Péré, Fabrice Escaffre a tenté de répondre à cette question dans le cadre du programme POPSU, en étudiant un territoire " ordinaire ", ni favorisé ni défavorisé, le secteur nord de l’agglomération toulousaine qui englobe 13 communes et 4 quartiers toulousains, choisi pour sa très forte croissance ces quinze dernières années.
Leur étude s’est appuyée à la fois sur des données statistiques, des rencontres avec des représentants de Toulouse Métropole et de collectivités concernées, ainsi que des enquêtes menées auprès d’habitants par des étudiants. Car s’en tenir aux seules données statistiques est insuffisant, selon Fabrice Escaffre qui appelle à une " compréhension plus qualitative ". Celui-ci a d’ailleurs, avec le chercheur lyonnais Emmanuel Roux, écrit un article sur les indicateurs qui pourraient être mobilisables pour mesurer ces fragilités. Par exemple, dans le nord toulousain, les données montrent que les habitants sont un peu moins diplômés et avec des rémunérations plus faibles que dans d’autres territoires " ordinaires ".
« Est-ce un indicateur de fragilité, comme cela pourrait l’être dans un quartier prioritaire ? Non, car en discutant avec les habitants, nous avons appris qu’une large part d’entre eux appréciait leur vie dans ce territoire. »
interroge le chercheur.
À l’inverse, l’étude a fait remonter des " frustrations " chez ceux qui étaient déjà ancrés dans ces quartiers : « De grands immeubles ont poussé là où avant il y avait des maisons, et sont arrivés de nouveaux profils qui ont parfois généré un phénomène de repli de ceux qui étaient là. C’est l’une des fragilités consubstantielles du développement et l’un des enjeux est de les réguler », souligne Fabrice Escaffre. C’est l’une des principales observations qui ressortent de ces travaux : une croissance démographique et économique ne peut donc se contenter de réponses en termes d’infrastructures routières, en matière d’habitat, d’équipements d’accueil (écoles, crèches...) sans prendre en compte la question de l’intégration, des relations entre individus, composantes mêmes d’une ville.
Imposer la cohabitation relève d'une vision angélique des rapports sociaux
Pour Fabrice Escaffre, cette régulation passe par le développement de la concertation avec les habitants mais aussi par un travail d’explication : qu’est-ce qu’une métropole en tant qu’institution politique, qu’est-ce qui la constitue sur les plans géographique et politique, comment se construit-elle ?... Car celle-ci a une compétence en aménagement et urbanisme et peut donc créer et gérer de grandes zones d’implantation de logements et d’activités. Des enjeux qui dépassent l’habitant pour qui son quartier ou sa commune de résidence gardent « une grande dimension dans l’imaginaire collectif », observe le géographe qui plaide pour le développement de " lieux intégrateurs " et d’ " espaces publics ". Conseils citoyens, conseils de développement ou encore comités de quartiers comptent d’ailleurs parmi les outils mobilisables. La sociologue urbaine Lydie Launay, se penche de son côté sur les phénomènes de ségrégations socio-spatiales. Elle a analysé les politiques mises en œuvre à Londres et à Paris pour tenter de favoriser la mixité sociale par la promotion de logements sociaux, dans des quartiers soumis à des phénomènes de " gentrification ". Ce terme désigne le phénomène urbain par lequel des personnes plus aisées s’approprient un espace initialement occupé par des habitants ou usagers moins favorisés. Les conclusions de ses travaux vont dans le même sens :
« Certes, la promotion de logements sociaux dans les quartiers de gentrification permet aux personnes qui y sont relogées de s’y maintenir alors que d’autres sont évincées par l’augmentation du prix de l’immobilier. Mais cela ne crée pas pour autant une émulsion sociale, une rencontre. On remarque plutôt qu’à partir du moment où des personnes ont l’impression d’être l’instrument de ces politiques, ils ont tendance à mettre de la distance avec leurs voisins et à créer des frontières sociales. »
souligne Lydie Launay.
Pour la sociologue, qui a notamment observé cette politique dans le XVIe arrondissement de Paris et les effets sociaux sur les populations qui y sont logées, imposer la cohabitation relève d’une « vision angélique des rapports sociaux qui se créent dans la ville ». Permettre à ces populations de postuler sur des offres de logements, modèle appliqué dans le dispositif britannique et qui se répand à Paris, pourrait, selon elle, constituer un levier pour lutter contre ces phénomènes de repli.
Fabienne Escaffre, Marie-Christine Jailllet et Jocelyne Bourret sont chercheuses au LISST (Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires – CNRS, Université Toulouse – Jean-Jaurès, ENSFEA, EHESS).
Anne Péré est enseignante-chercheuse à l'École nationale d'architecture de Toulouse
Lydie Launay est maître de conférences en sociologie à l’Institut national universitaire Champollion d’Albi et chercheuse au LISST.
Référence bibliographique : Des HLM dans les beaux quartiers. Les effets de la politique de mixité sociale à Paris, revue Métropolitiques, novembre 2012.